On vous l'a dit, on vous l'a répété (en tout cas, sur ce site), le Thrash Metal a connu son heure de gloire entre 1983 et la fin des années 80. C'est à cette époque que sont sortis les meilleurs albums du genre, et pas un ou deux par année ! Prenons par exemple cette année 1988 : And Justice For All de Metallica, South Of Heaven de Slayer, The New Order de Testament, Fabulous Disaster d'Exodus, So Far, So Good… de Megadeth, Forbidden Evil de Forbidden... auxquels on peut rajouter le succulent EP de Sacred Reich, Surf Nicaragua. Les Américains de Phoenix, Arizona (même port d’attache que Sacred Reich), au nom de groupe pour le moins original, nous sortent cette année leur second album. A ranger également dans les incontournables du Thrash de cette année 1988 !
Après la sortie de son très réussi premier album, Flotsam And Jetsam avait perdu son talentueux bassiste, Jason Newsted, puisqu'il avait été, comme vous le savez, débauché par Metallica pour prendre la place du malheureux Cliff Burton. Etant donné qu'il était l'un des compositeurs principaux du groupe, on pouvait s'inquiéter. Eh bien, point d'inquiétude. Déjà parce que Newsted laisse encore sa patte sur cet album en co-signant trois titres dont le morceau I Live You Die, le titre grâce auquel le groupe s’était fait connaître sur la célèbre compilation Metal Massacre (le volume VII, en 1986) et dont on trouve ici un nouvel enregistrement. Point d’inquiétude également parce que les autres ont relevé le défi en sortant un second album presque aussi bon que le premier. Je dis presque parce que Doomsday For The Deceiver était un sans faute. Dans l'ensemble, No Place For Disgrace comporte un ou deux morceaux moins captivants. Il n'en reste pas moins qu'il comporte aussi et surtout de sacrés pépites, notamment au début de l’album. En effet, l’enchaînement No Place For Disgrace, Dreams Of Death et N.E. Terror ne laisse planer aucun doute quant à la force de frappe de ce groupe, avec ou sans Newsted, et surtout met tout le monde d’accord. La putain de mandale qu’on se ramasse d’entrée ! Le style du groupe reste le même que sur l’album précédent : un Thrash rapide et technique sur des titres assez longs (six minutes de moyenne pour les quatre premiers) sur lesquels le chanteur Eric AK Knutson montre un réel talent. Sa voix est puissante et mélodique et il n’hésite pas à monter dans les aigus sans pour autant que ça devienne insupportable (écoutez donc sa prestation sur le petit break oriental de N.E. Terror). Avec Russ Anderson (Forbidden), c’est sans doute la plus belle voix du Thrash à l’époque (pas trop difficile, ceci dit...). Après ces trois morceaux d’une efficacité absolue, Flotsam tente une petite accalmie avec Escape From Within, la première ballade du groupe. Une ballade thrash dans la tradition bien sûr, avec les parties chant assez calmes et avec les parties instrumentales bien speed qui arrachent. Puis, c’est au tour de la reprise improbable avec le Saturday Night’s Alright For Fighting de Elton John. Ce sera d’ailleurs l’un des premiers groupes de Thrash à reprendre un titre non metal. La reprise est un exercice dont le résultat n’est pas toujours indispensable. Ici, c’est carrément réussi. De l’originale, le groupe a gardé le petit gimmick de piano avant le refrain. Pour le reste, c’est une grosse tornade, la fin du morceau notamment, hyper rapide. Fun ! Le groupe en a tiré une vidéo. La seconde moitié d’album est moins impressionnante, il faut dire que la barre a été placée très haut sur la première partie. Le bien lourd Hard On You est toutefois un bon morceau, ainsi que le fameux I Live You Die qui pète bien et où le travail des deux guitaristes, Michael Gilbert et Ed Carlson, comme sur le reste de l’album ceci dit, est fabuleux. Mais il faut reconnaître que la suite fait un peu retomber l’intensité. Misguided Fortune, seul morceau où est crédité le nouveau bassiste Troy Gregory, qui a très peu pris part à la composition puisque l’essentiel de l’album était écrit avant son arrivée, a du mal à rivaliser avec ce qui a précédé. La partie avec les solos, bien mélodique, est toutefois très réussie. P.A.A.B avec ses parties qui blastent furieusement relance bien la machine et The Jones (un instrumental bien lourd) qui clôt l’album reste un morceau honnête mais pas exceptionnel non plus. Au final, No Place For Disgrace est un très bon album de Thrash et surtout, l’un des deux meilleurs albums de Flotsam And Jetsam. Un groupe qui n’a malheureusement pas su proposer par la suite des albums aussi excellents que ses deux premiers opus.
Un petit détail pour terminer : j’aime beaucoup la petite dédicace dans le livret, à la fin des remerciements, adressée à tous ceux qui ont découvert un intérêt soudain pour le groupe une fois sous les feux des projecteurs grâce à Metallica et que je ne résiste pas à vous livrer : "Special fuck you to the unsupportive people who didn’t believe in us then, who suddenly developed the urge to believe in us now"… bien vu ! Ca en dit long sur les rapaces qui volent au-dessus du music business en quête de thunes à se faire et pour qui le talent n'entre pas en ligne de compte…
No Place For Disgrace a été entièrement réenregistré par le groupe en 2014 (procédé de plus en plus répandu chez les groupes en panne d’inspiration). Une version inutile que je vous déconseille. L’album originel était très bien exécuté et doté d’une production tout à fait honnête. A partir de là, je ne comprends vraiment pas bien l’intérêt de ré-enregistrer de tels classiques quand c’est pour les dénaturer.
Tracklist de No Place For Disgrace :
01. No Place For Disgrace 02. Dreams Of Death 03. N.E. Terror 04. Escape From Within 05. Saturday Night’s Alright For Fighting 06. Hard On You 07. I Live You Die 08. Misguided Fortune 09. P.A.A.B. 10. The Jones
|