Master of Puppets marquait la fin d'une période pour Metallica. Cliff Burton, le prodigieux bassiste du groupe, perdait la vie dans un accident de car lors de la tournée européenne qui suivit. Les trois autres, fortement marqués par cette perte, décidèrent tout de même de continuer l'aventure et lui trouvèrent un remplaçant en la personne de Jason Newsted, transfuge de Flotsam and Jetsam. En 1987, Metallica offrit aux fans, pour les faire patienter, un mini album de reprises, le fameux Garage Days Re-revisited qui permit de présenter Newsted à la "Metallica Family" et d’en savoir un peu plus sur les influences du combo. Mais en 1988, retour à du sérieux. Metallica revenait avec un véritable nouvel album studio, ... And Justice For All. Un double album même (dans son édition vinyle), à cause de sa durée qui dépasse l'heure.
En 1988, Metallica n'a déjà plus besoin de convaincre qui que ce soit. Les trois albums précédents étaient tous entrés au panthéon du Metal. ...And Justice For All était attendu comme le messie. Et c'est peut-être cette attente terriblement forte qui va avoir pour conséquence la légère déception de certains fans du groupe. Légère car l’album va quand même être accueilli à sa sortie comme il se devait : le nouvel album du plus grand groupe de Thrash. Si au premier abord ...And Justice For All peut paraître austère, c'est que ses compositions sont plus alambiquées et plus sombres que sur les albums précédents. La longueur des titres y est aussi pour quelque chose, les morceaux les plus longs atteignant quasiment les dix minutes. Mais ...And Justice For All montre un groupe qui maîtrise parfaitement son sujet. Les parties de batterie de Lars Ulrich sont démentes (ce rythme sur le titre éponyme ou ce tabassage sur Dyers Eve, c'est du grand art). Les plans de guitares du duo Hetfield / Hammett sont parmi les plus complexes du groupe. Seul point noir et pas des moindres : la quasi inexistence du son de basse sur tout l'album. Comme pour montrer que Cliff n’est plus là. Jason Newsted, petit nouveau, n'a pas dû avoir son mot à dire lors du mixage. Le pauvre voit ses parties de basse reléguées très en retrait. Et ce n'est pas le plus grand service que Metallica pouvait rendre à son nouveau bassiste. Ou du moins, pouvaient-ils montrer autrement que Cliff était irremplaçable. Le son de batterie, lui, est très sec. Bref, la production est le véritable défaut de cet album. Commençons par le commencement : Blackened. Contrairement aux albums précédents, ce n’est pas un titre très speed qui ouvre les hostilités, celui-ci est même doté d’une partie centrale bien heavy. Et déjà, alors que sur les albums précédents, le titre introductif n'atteignait que les cinq minutes maximum, celui-ci dure presque sept minutes. C’est aussi le seul morceau de l’album où Newsted est crédité à la composition (il était pourtant l’un des principaux compositeurs chez Flotsam and Jetsam). Le premier morceau de bravoure est le titre éponyme, du haut de ses neuf minutes quarante. De nouveau, ce n’est pas un rythme très speed qui nous accueille. Le morceau est très technique, le rythme change à tout bout de champ mais le tout est tout à fait cohérent. Les guitares sont mélodiques et le chant d’Hetfield se bonifie au fil des années. Eye Of The Beholder, véritable rouleau compresseur, montre encore une fois que Metallica a apparemment décidé de ne plus composer de titres extrêmement rapides. Les structures des morceaux lorgnent de plus en plus vers le Heavy Metal, ce qui annonce déjà la route musicale que suivra Metallica sur l'album suivant, le fameux Black Album. C’est encore plus vrai avec le bien lourd Harvester Of Sorrow, qui va devenir un des grands classiques du groupe en concert. Second morceau de bravoure, la Thrash ballade One. le thème est fort, adapté du roman Johnny s'en va-t-en guerre (un soldat qui a perdu tous ses membres, la vue, l’ouie et la parole et qui est maintenu en vie alors qu'il aimerait en finir). Le titre va faire l'objet d'une superbe vidéo, la première pour le groupe, avec de nombreux extraits du film tiré du roman. Le titre s'emballe dans sa seconde partie, après un passage extrêmement fort ou le martèlement de la batterie rappelle les saccades des mitraillettes. C’est paradoxalement sur ce titre que l’on découvre la partie la plus speed depuis le début de l’album.
The Shortest Straw se veut plus léger et alterne un refrain assez lourd mais avec des couplets construits sur un rythme plus rapide. Si The Frayed Ends Of Sanity commence par un air tiré du Magicien d'Oz (la chanson que chantent les soldats de la sorcière), le morceau ne parle pas du tout de l’univers onirique de ce conte mais de la paranoïa. Encore une fois, par les thèmes abordés tout au long de l’album, sociaux ou politiques, Metallica montre que les sujets développés dans le Metal ne tournent pas toujours autour du diable ou du sexe. C’est par contre typiquement le morceau qui aurait gagné à être plus court. L'instrumental To Live Is To Die (dernier instrumental pour le groupe avant un bon bout de temps) est un hommage direct à Cliff Burton puisqu'il comprend un texte écrit par Cliff et récité par James Hetfield. Une nouvelle fois, le titre est extrêmement lourd, avec une partie centrale particulièrement sombre. On sent que Hetfield et Ulrich ont composé ce morceau en pensant à leur ami. L'album se termine sur Dyers Eve, le morceau le plus speed (et le plus court) de l'album, à la manière d’un Damage Inc. ou d’un Battery, avec encore une fois un thème très fort (l'enfance surprotégée qui découvre la dure réalité du monde). Un morceau très agressif jusque dans le chant d’Hetfield. Ce sera le dernier morceau speed écrit par Metallica avant un sacré bout de temps.
Si aujourd’hui ...And Justice For All apparaît comme le moins bon des albums de la première période du groupe (celle qui précède le Black Album), notamment à cause de sa production mais aussi de quelques longueurs (Kirk Hammett lui-même n’a-t-il pas déclaré que chaque chanson aurait pu être amputée d’une bonne minute ?), il est tout de même considéré, à juste titre, comme un grand classique du Metal qui contient son lot de morceaux incontournables du groupe. Gageons qu’avec une production à la hauteur, cet album aurait encore davantage marqué les esprits.
Tracklist de ...And Justice For All :
01. Blackened 02. ...And Justice For All 03. Eye Of The Beholder 04. One 05. The Shortest Straw 06. Harvester Of Sorrow 07. The Frayed Ends Of Sanity 08. To Live Is To Die 09. Dyers Eve
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