Des groupes de Noirs (houlala, attention, il faut dire "personnes de couleur" maintenant, sinon on risque de déclencher un tollé lancé depuis les réseaux sociaux) dans le metal ou même dans le rock, il n’y en avait pas légion au début des 90s. Aussi bien à cette époque que maintenant, soit dit en passant. Il y avait Living Colour. Et ? Bah c’était tout. Il faut dire que le Rock n’a jamais trop été leur tasse de thé. Les Noirs personnes de couleur, on les trouvait principalement dans le Rap. Et c’est justement du Rap que provient Ice-T, le leader et fondateur de Body Count. Celui-ci, avec son acolyte guitariste Ernie-C, voulait faire quelque chose de plus abrasif musicalement pour faire passer son message. L’idée a germé à partir du titre intitulé Body Count justement, que l’on trouve sur son quatrième album solo, sorti en 1991. Titre qui sera repris un an plus tard, sur l’album dont nous allons parler maintenant.
Cet album sort une première fois sous le titre Cop Killer, avec le morceau en question qui va déclencher une polémique monumentale aux USA puisque ça va même remonter jusqu’à la Maison Blanche. Un excellent titre, à l'énergie punk, qui est une diatribe anti-police, suite aux bavures répétées de la police de Los Angeles à l’époque et notamment au tabassage en règle de Rodney King par des policiers. Dans le contexte, ce qui est pris pour un appel à tuer des flics, ça ne passe pas. L’album est alors purement et simplement retiré de la vente. Ice-T n’a d’autre solution que de virer le titre de la tracklist - ainsi que son intro parlée, Out In The Parking Lot - et l’album est réédité sous le titre Body Count (on efface aussi l’inscription "Cop Killer" sur le torse du gars sur la pochette). A la place de Cop Killer, on trouve un autre morceau, Freedom Of Speech, qui est en fait un titre qui provient d’un des albums solo de Ice-T mais réenregistré ici avec la voix de Jello Biafra en plus. Un morceau nettement moins intéressant que celui qu'il remplace, hélas. La censure a frappé. Toutefois, elle n’empêchera pas le groupe de jouer le morceau Cop Killer à chacun de ses concerts. Mais voilà, vous ne trouverez plus ce morceau sur ce disque (ni sur aucun autre album studio). Ceux qui détiennent la version Cop Killer possèdent un vrai collector.
Heureusement, des bons morceaux, il y en a un paquet d’autres sur cet album. Et on s’aperçoit rapidement que ce que propose cet ancien rappeur n’est pas un simple album de rap avec des grosses guitares (ça aurait été un peu trop facile) mais bien un album de Metal. D’ailleurs, les intéressés eux-mêmes n’aiment pas que l’on parle de "Rap Metal" à propos de leur musique et qualifient leur groupe de "Black Hardcore band". Les influences de Ice-T et Ernie-C, les compositeurs de tous les morceaux, sont des groupes comme Suicidal Tendencies, Slayer et Black Sabbath. Effectivement, c’est pas très rap… Et effectivement, contrairement à ce qu’on pourrait penser de prime abord vu d'où il provient, Ice-T ne fait pas que rapper sur ce disque, il chante même la plupart du temps.
On commence par Body Count's In The House, un morceau où Ice-T présente son équipe sur fond de guérilla urbaine avec bruits de sirènes et de coups de feu. Ca met de suite dans l’ambiance. L’ensemble de l’album propose des titres variés, groovy à souhait (Body Count, KKK Bitch, Voodoo), parfois bien lourds (Momma’s Gotta Die). Ice-T s’essaye même à la ballade, avec réussite, sur The Winner Loses. On pourra éventuellement reprocher le manque de puissance de certaines rythmiques, ça manque parfois un peu de mordant (on ne trouve pas ici de morceaux bien thrash, comme on en trouvera sur l'album suivant.) D'un point de vue personnel, je mettrai aussi de côté le titre Evil Dick que je trouve un brin lourdingue (surtout sa partie centrale). Le guitariste et compositeur de toutes les musiques, Ernie-C, montre tout au long de ce disque qu’il maîtrise son instrument (Body Count, C Note) et dégaine des solos qui n’ont rien à envier à ceux d’autres guitaristes (blancs). Bref, le Metal, ça peut être aussi l’affaire des Noirs personnes de coul… oh et puis zut ! Cet album, c’est donc aussi et avant tout celui d’un homme en colère. On l’a vu avec l’épisode Cop Killer. Les autres morceaux, s’ils ne sont pas aussi radicaux dans les paroles, dénoncent aussi le racisme ambiant qui gangrène la société américaine. C’est le sujet numéro un sur cet album, les nombreux interludes parlés y font - presque - tous référence de manière plus ou moins directe. Le sujet est parfois traité avec un certain humour (noir) mais le message est clair. Et que pense notre ami Ice-T du fait que le Rock, c’est de la musique pour Blancs et le Rap, de la musique pour Noirs ? Réponse dans le morceau There Goes The Neighborhood où l’on peut lire les paroles suivantes, qui résument ce que pensent pas mal de gens : "Don't they know rock's just for whites? / Don't they know the rules? / Those niggers are too hardcore / This shit ain't cool." On a même droit à un solo de batterie de Beatmaster-V (RIP) sur ce titre, histoire de montrer à ces mêmes personnes que les Noirs savent aussi jouer d’un instrument.
Outre la polémique qu’il a pu déclencher, ce premier album de Body Count fait office de référence aujourd’hui pour avoir amené le Metal au-delà de ses frontières naturelles. L’album reçut d’ailleurs un très bon accueil, se classant plusieurs semaines dans le billboard 200 américain et fut certifié disque d’or dès le mois d’août 1992. Le point de départ de la vague Rap Metal aux USA et ailleurs, même si, on l’a vu, Ice-T a toujours rejeté cette étiquette.
Tracklist de Body Count :
01. Smoked Pork 02. Body Count's In The House 03. Now Sports 04. Body Count 05. A Statistic 06. Bowels Of The Devil 07. The Real Problem 08. KKK Bitch 09. C Note 10. Voodoo 11. The Winner Loses 12. There Goes The Neighborhood 13. Oprah 14. Evil Dick 15. Body Count Anthem 15. Momma's Gotta Die Tonight 16. Ice T / Freedom Of Speech
|