Red Mourning

Interview date

20 Juin 2014

Interviewer

Didier

I N T E R V I E W

Interview Hoog 'JC' Doorn (face à face)


Bonjour, peux-tu nous présenter le groupe ?

Bien sûr, nous sommes un groupe de metal français, nous sommes quatre, et nous mélangeons à notre musique quelques influences dont le blues, avec quelques instruments insolites comme l'harmonica, la slide ou le piano. Nous sommes sur Paris, mais aucun de nous n'est parisien, je suis moi-même hollandais.

Tu sais que, en France, la moitié des gens qui parlent de vous disent Red Morning, et pas Mourning ? Explique-leur la différence.

Je sais bien oui, mais en fait il y a un "U" donc Mourning, ça veut dire Deuil Rouge. Je peux expliquer vite fait l'origine du nom. Il faut savoir que le rouge était la couleur du deuil des esclaves du sud des USA. Ce sont eux qui ont inventé le blues et comme c'est une de nos influences majeures, c'était une façon de leur rendre hommage. Le thème du deuil et de l'esclavage au sens large, d'être enchaîné, l'injustice, sont de choses qui collent bien avec les émotions qu'on essaye de faire passer avec notre musique. Tout ça semblait tout à fait logique comme nom pour nous.

Vous êtes au Hellfest mais vous ne jouez pas. N’est-ce que ça n’est pas un peu frustrant ? Et puis pourquoi d’ailleurs ?

Ben oui, je sais c'est pas nous qui décidons, il y a peu de groupes français qui jouent au Hellfest, c'est pas si évident. Je ne le vois pas comme une frustration, pour tout dire. On a déjà joué au Hellfest, après notre premier album et grâce au magazine Rock Hard qui pouvait placer un groupe sur une des scènes, et qui nous avaient choisis. Nous leur en sommes très reconnaissants car ç'avait été une expérience incroyable. Cette année, c'est aussi super cool de rencontrer plein de passionnés, comme toi, par exemple, et puis de voir plein de concerts...

Vous allez assister à des concerts j’espère ? Des noms que vous voulez voir en particulier ?

Oui bien sûr, sauf que le soucis c'est que demain on n'est pas là, on joue à Rambouillet mais on revient dimanche. Mais là après les interviews, j'irai voir Pro-Pain, Electric Wizards, et peut-être Slayer. Dimanche, je ne sais pas encore.

Que diriez-vous aux gens qui continuent de se battre contre le festival, et le metal en général ?

C'est débile, ça ne fait de mal à personne. C'est cinquante mille personnes par jour, et j'ai pas l'impression que ce sont des gens qui mangent des enfants. Donc laissez-nous tranquilles...

Nous avons bien apprécié votre dernier album « Where Stone And Water Meet ». Peux-tu nous en expliquer le titre ?

C'est un des morceaux de l'album. En général, on aime bien utiliser un titre pour donner le nom à l'album. C'était un des titres qui nous semblaient les plus aboutis. Le thème du morceau nous tient aussi à cœur. Il a un côté violent, puisqu'il représente les vagues qui viennent se fracasser sur les rochers du rivage. J'ai composé une grande partie de l'album devant l'océan et donc c'est de là que viennent les mots. Il y a cette violence qui correspond bien à notre musique, il y a aussi le fait que dans cet affrontement entre les vagues et les rochers, les rochers finissent toujours par perdre en fait. Ils sont réduits en sable et balayés. Et ça, c'est un thème qui me touche et qu'on peut transposer sur la vie en général. Et c'est pareil dans nos vies, les combats qu'on mène peuvent rester, même quand on est parti, ils peuvent perdurer, voire même être éternels.

Depuis vos débuts, le thème central de vos compos semble être l’esclavage. Peux-tu expliquer cette thématique ?

On n'est pas du tout un groupe avec un message politique, même si ça ne nous empêche pas d'avoir un avis sur la question. Ca n'est pas le but. Mais malgré tout, et on en revient au blues, cette souffrance que subissaient les esclaves, et qui existe toujours aujourd'hui puisque l'esclavage existe encore, est un symbole fort. Cette injustice, être enchaîné, exploité, c'est quelque chose qui me parle et qui parle beaucoup au groupe. Le fait que ce soit eux qui aient inventé le blues, qui a donné le rock, qui a donné le metal finalement , c'est la base de tout. C'est notre culture musicale. Quand j'étais petit, j'écoutais du blues à la maison ; mon premier CD a été un CD de B.B. King, alors tu vois. Donc, c'est assez naturel que ça soit ça qui ressorte finalement.

Ça tourne à l’obsession ?

Non pas du tout. Car on aborde aussi d'autres thèmes. Mes paroles, même si elles ne sont pas très explicites, volontairement, sont très personnelles. J'essaye d'exprimer ce que je ressens. J'aime bien, quand j'écoute les paroles d'un groupe, que le chanteur ne me raconte pas sa vie, mais qu'il utilise des images sur lesquelles je peux me projeter moi-même. C'est ce que j'essaye aussi de faire.

Comment se passe l’écriture au sein du groupe ?

Pour la musique, je n'ai qu'un rôle au niveau de la mélodie du chant. J'écris par contre les paroles. Il y a juste dans ce troisième album un morceau où ce ne sont pas mes paroles mais celles d'un poème que j'avais lu juste avant de rentrer en studio, et que j'ai voulu mettre en musique.

Est-ce que vous avez travaillé différemment par rapport à Pregnant with Promise ?

On avait le même ingé son, le même producteur, le même studio, ce qui nous a permis de ne pas repartir de zéro ; et du coup, on s'est donné plus de temps pour construire des ambiances, des interludes, des sonorités, pour enrichir et faire de cet album un ensemble cohérent. L'autre différence c'est que plus ça va et plus on est libre et on s'autorise des choses, un peu plus folles et moins stéréotypées. Dernière différence sur cet album, et contrairement aux albums précédents, où les harmonies vocales étaient toutes faites par ma voix, enregistrée plusieurs fois : ici, les autres membres chantent aussi. Des backing chantés, des backing gueulés, et même presque des leads, car on a un batteur qui a une super voix.

Dans sa chro, Lurk parle de troisième album et de maturité. Pensez-vous avoir passé un cap, et atteint une certaine maturité ?

C'est une évolution permanente, en fait. On continue à écrire des morceaux, à évoluer. C'est vrai que chaque album marque un certain point, mais c'est un processus continu et qui, j'espère, durera encore longtemps.

Je dois reconnaÏtre, que votre son est étonnant, nous l’avons classé BluesCore. Ça vous semble cohérent ?

[Rires] C'est pas évident de trouver une étiquette. C'est vrai qu'on a une grosse influence blues. Mais le côté hardcore me tient aussi à cœur ; donc oui, c'est cohérent.

Et d’où vous vient ce côté blues alors ?

Tout comme moi, Romaric, le guitariste est aussi fan de blues, de country même à la base.

Par exemple d’où vient cette idée géniale de caser de l’harmonica dans vos morceaux ? Qui en joue d’ailleurs ?

C'est moi qui joue. Je me souviens très bien de quand on a pris cette décision : c'était pour notre maxi avant le premier album. On s'est posé la question : "c'est pas très metal, ça n'ira pas". Et puis on s'est regardé et on s'est dit : "mais on s'en fout !". Comme je jouais de l'harmonica, on a décidé de le faire avec Romaric, et je crois que c'est la meilleure décision qu'on ait jamais prise. Ca a été très libérateur.

J’aime beaucoup un morceau comme The Sound Of Flies, le refrain est excellent. Vous bossez dur sur vos refrain ou ça vient tout seul ?

On a en fait des visions assez différentes de la musique au sein, même du groupe. Certains ont une vision plus progressive, qui serait de ne jamais répéter un truc deux fois ; et d'autres comme moi, plus attachés à une structure couplet/refrain. Tout ça se mélange. J'aime bien les refrains, car c'est là que se posent les repères. Donc oui, en tant que chanteur j'y apporte plus de soin. Ce sont souvent des passages plus chantés, avec des harmonies vocales.

Ce qui surprend dans votre dernier album c’est l’alternance de morceaux pêchus avec des trucs plus profonds comme Emily ou Work Song. Vous aimez les contrastes ?

Oui, on aime bien ça et c'est la première fois qu'on a pu vraiment le faire, et faire des recherches dans ce sens-là. On en a profité au maximum, on a construit des ambiances, enregistré des choses a cappella. On adore, ouais. C'est aussi quelque chose que tu retrouves dans le blues d'ailleurs, avec des moments où les gens crient puis des moments très soft.

Raconte-nous, justement, qui est cette Emily ?

En fait, c'est Emily Dickinson, une poétesse du sud des Etats Unis, du XIXème siècle. Tout le monde crois que c'est ma copine, mais non, pas du tout [rires]. C'est un poème qui m'a beaucoup touché, que j'ai lu juste avant de rentrer en studio et que j'ai voulu utiliser. En dix secondes, elle parle de sa souffrance et de celle des gens qui l'entourent, et qu'elle ne peut pas s'empêcher d'analyser.

Et donc Work Song, est une chanson d’esclaves. Pas très metal, malgré le bruit des chaînes, mais déroutant...

[rires] C'est toujours cette histoire de remonter aux racines. Ca existe toujours, ces Chain Gang ; et les mecs, ils chantent en cassant des cailloux. On a pris une work song qui existe, on a mis nos paroles dessus, et on l'a interprétée nous-mêmes et voilà, on a mis une ambiance sonore qu'on aime beaucoup.

Commercialement, comment ça se passe pour vous avec cet album ?

Bof, on est un groupe de metal et français, on ne gagne pas d'argent, soyons clair. On a un label avec qui on a une super relation, qui nous a signés sur le premier album alors que personne ne nous connaissait. Merci Eric de Bad Reputation, d'ailleurs. Après, Carine, notre manager, croit en nous, elle bosse avec nous ; Roger s'occupe de la promo,  donc le groupe se développe au fur et à mesure : on tourne de plus en plus loin, en Belgique ; et là, on essaye de monter une tournée européenne, mais c'est pas évident...

Vous chantez en anglais, avec un bon accent qui plus est ; comment ça se passe pour vous à l’étranger ?

Merci mais j'ai aucun mérite, puisque j'ai vécu à l'étranger, depuis gamin. Bad Reputation assure une distribution européenne. On tourne de plus en plus en Belgique, et on essaye de pousser un peu ailleurs ; ça va se mettre en place, mais c'est pas évident...

Est-ce que c’est difficile d’être un groupe de metal en France ?

Oui, c'est difficile. Mais je pense que c'est juste difficile d'être un musicien en France, tout court. Le musicien en France n'est pas pris au sérieux, en fait. On ne considère pas que c'est un professionnel, contrairement à d'autres pays. J'ai vécu en Angleterre par exemple, et là-bas la musique c'est un métier. C'est respecté, en tout cas. En France, ça n'est pas le cas. C'est comme ça. C'est la faute à personne, après la France n'est pas non plus un pays de Rock 'n' Roll. Ca progresse et ça évolue, mais bon j'aime beaucoup la France ; aussi donc c'est comme ça, il faut faire avec...

Ne seriez-vous pas mieux nés dans un bayou de la Nouvelle Orléans, comme les gars de Crowbar par exemple ?

[rires] Peut-être mais d'un autre côté, l'endroit où tu vis, ça fait qui tu es et ça fait eu final la musique que tu fais, donc c'est difficile de savoir. Après, le fait d'être en France n'empêche pas d'avoir cette culture musicale et de partager cette musique. On a eu l'âge d'or du metal à une époque, mais c'est passé. Les gens aujourd'hui sont frileux, ils ne veulent pas se mettre en difficulté. C'est la crise du disque aussi. Il faut faire avec...

Quels sont vos plans pour les mois à venir ?

On va sortir un clip pour The Sound of Flies. Il va être pas mal, on s'est bien marré. On joue donc demain, on joue aussi le 6  juillet au Triel Open Air en Ile de France. C'est un super festival qui mélange plein de styles musicaux. On y a déjà joué il y a deux ans et le groupe avant nous jouait du reggae instrumental. Tu vois le genre... Ensuite on fera une pause pour l'été. On va chacun bosser sur nos projets perso, et on se donne rendez-vous à la rentrée pour de nouveaux concerts. On a pas mal tourné pour le deuxième album, j'espère qu'on fera encore mieux pour celui-là et qu'on rencontrera plein de monde.

Vous suivez la Coupe de Monde ? Un pronostic ?

Je n'arrive pas trop à y échapper, mais c'est pas trop mon truc. Je suis à moitié hollandais, donc je vais dire que j'espère que les Pays-Bas vont gagner, ils ont bien commencé. Mais bon, je préfère la musique.

Merci à vous et bon Hellfest !

Merci à toi !

 


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