Le Hellfest aime à varier l'offre musicale c'est bien connu. La variété proposée est ici une marque de fabrique. Les fans de folk metal l'avaient sans doute repéré, l'édition 2024 présentait un plateau folk mystique de très haute volée avec en apothéose Eivør en tête d'affiche. Déjà vue (pour un concert très apprécié par l'auteur de ces lignes) au dernier Echos & Merveilles au cœur d'une soirée mystique. Ce registre a le vent en poupe porté par d'incroyables formations (Heilung a à ce titre généré un sacré mouvement). L'intérêt pour les cultures nordiques et chamaniques allant crescendo dans notre époque dépourvue de sacré, la présence de ce genre d'affiches est finalement très logique. Ce fut d'ailleurs ma première question lors de mon entrevue avec la très classieuse Eivør sur son ressenti sur sa présence dans un festival Metal. Même si cela ne nous surprend plus dans nos Fest, cela peut l'étonner elle qui ne vient absolument pas de l'univers Metal. Il s'agit là de son premier fest dans notre genre musical de prédilection donc forcément on la sentait dans l'expectative d'être bien reçue tout en se demandant pourquoi on l'a fait jouer si tard dans nos fest français. Elle sera vite rassurée tant le concert fut un succès. Sous une Temple blindée et malgré une heure tardive, le show fut remarquable et particulièrement applaudi. N'empêche, se retrouver à jouer là, juste après Metallica, a dû sacrément la surprendre elle qui pressent que le public veut écouter autre chose aussi dans ce genre de lieu.
Eivør nous vient du grand Nord, des sublimes Iles Féroé et elle est issue d'une formation classique. Venant d'un village de 400 âmes dans la partie la plus septentrionale de l'archipel, la vocaliste a dû quitter le nid familial pour rejoindre la grande sœur islandaise où elle a reçu une très solide formation classique. Ah comme j'aimerai pouvoir partager ce moment où elle me fit une démonstration de voix growlée (sans forcer, naturel) tout en assurant ensuite des aigus incroyables en live. Surdouée techniquement, inspirée par les grands espaces de ces pays à la lumière si spéciale, venant d'un pays âpre où il ne fait pas toujours bon vivre mais fascinant, Eivør propose un univers très original qui m'a rappelé les géniaux Sigur Ros qu'elle n'a pas hésité à présenter comme une immense influence pour mon grand plaisir (et sans que cela étonne les connaisseurs de ce groupe).
La connexion avec le Metal se fait sans doute là, cette dimension sombre dans sa musique mais aussi cette lumière qui jaillit et Eivør incarne à merveille cette dualité qu'on retrouve sur son excellent dernier disque Enn paru il y a peu. Deux ans de travail pour une artiste qui ne ménage pas sa peine, elle qui a aussi œuvré pour la BO de la série The Last Kingdom (bossant sur les cinq saisons de la série) où elle a d'ailleurs joué une scène en guest.
Point qui m'a fasciné dans cette conversation difficile à retranscrire sous forme d'interview question-réponse (d'où ce format un peu inédit), l'aspect artiste total d'Eivør. L'interrogeant sur son parcours, quelle ne fut pas ma surprise de voir qu'elle n'avait jamais envisagé de faire autre chose que chanter, qu'elle n'a jamais eu d'autres emplois, que c'était son rêve et la vie qu'elle voulait mener. Une artiste, une vraie qui incarne d'ailleurs une certaine idée que je me faisais d'une chanteuse. Point une diva tant elle a fait preuve de simplicité, de gentillesse. Mais on sent qu'elle était faite pour ça et pas autre chose. Un sentiment difficile à exprimer mais évident en sa lumineuse présence. Influencée par des Joni Mitchell et autre Kate Bush, elle a aussi cité Led Zeppelin et étonnamment, je l'ai parfois senti plus étonnée d'être là que l'inverse. L'ouverture du public est ici une marque de fabrique.
Artiste incroyable qui dégage une classe, une aura presque intimidante dont on ne recommandera que trop la musique, elle donnera un concert au Trianon le 13/10/2024 avec l'excellente Sylvaine en première partie. C'est ce qu'elle aime le plus, chanter sur scène pour vivre ce moment pur de l'Instant Présent pendant lequel "you don't think, you are just here, giving". Une belle présence au moment que je pressentais mais qui était ici parfaitement incarnée.
Au terme de cet entretien trop court où bien sûr les bonnes questions ne me sont venues qu'après, elle m'expliquait être arrivée à 20h sur le site, prête pour jouer à 1h du matin avant de reprendre la route pour prendre un avion et aller jouer dans un autre fest en Finlande. J'ai tout de même pu voir un petit moment de "lassitude" devant ce programme épique. "C'est la vie d'artiste, on vient, on donne et on ne peut pas se plaindre". C'est surtout cette façon de prendre sur elle, d'accepter cette vie d'artiste dans sa globalité qui m'a impressionné. Une artiste qui prend le job tel qu'il est, très professionnelle, surdouée musicalement et bluffante de créativité en plus de savoir retranscrire l'ambiance de ces incroyables contrées du grand Nord qu'avec d'autres artistes, elle incarne si bien. Une belle rencontre à mi-chemin entre interview et fanitude. Et en ce qui me concerne le plus beau show de cette édition 2024. Les artistes du grand Nord ne cessent de nous épater.