Il y a cinq ans, je chroniquais World On Fire, le dix-neuvième album de Malmsteen, guitariste suédois qu’on ne présente plus. J’ai fait l’impasse sur Blue Lightning (2019), son essai blues essentiellement constitué de reprises... parce que bon, vu ce que je m’étais infligé avec ses deux opus précédents, j’avais besoin de marquer une pause. Cinq ans plus tard, la pause a été faite (et bien faite), je suis prêt à jeter une oreille sur Parabellum, histoire de voir s’il y a quelque chose à en tirer. Pour contextualiser, j’avais conclu la chronique de World On Fire ainsi : "Malmsteen est une ex-pointure d’un genre tombé en désuétude. Et, depuis trop longtemps, son travail n’est que le reflet de sa grandeur disparue. Le maestro recycle inlassablement les mêmes idées, les mêmes plans... Bref, rien n’a vraiment changé depuis la dernière fois. Le sursaut d’orgueil n’a toujours pas eu lieu. Rendez-vous dans quelques années pour un constat similaire. A moins que...". Alors, constat similaire ou bonne surprise ?
Après son incartade en territoire blues, Yngwie revient à ses premières amours, le hard néoclassique. Genre qu’il a exploré sur un nombre incalculable de disques (si, en fait, c’est tout à fait calculable). Deux interrogations surviennent : a-t-il quelque chose de neuf à dire ? Se donne-t-il les moyens de bien le dire ? Allons voir ça.
Au menu de Parabellum : dix pistes. Comme c’est globalement le cas depuis le bien décevant Relentless (disque à partir duquel j’ai cessé d’acheter les albums du monsieur...), la majorité est instrumentale, seules quatre compos sont chantées. C’est d’ailleurs le cas de Wolves At The Door qui ouvre le bal. Généralement, le morceau d’ouverture d’un opus de Malmsteen ne saurait être mauvais et il faut reconnaître que cette règle est encore une fois respectée ici... même si l’on a connu mieux. Le père Yngwie sait toujours balancer un bon riff bien heavy, propose un tempo entraînant, s’y connaît en matière de mélodie accrocheuse et sa technicité (sa rapidité) légendaire ne s’est pas fait la malle. Cependant, quelques bémols - devenus malheureusement habituels - sont également de la partie. Le maestro ne collaborant plus avec personne, c’est encore lui qui joue de tout (sauf de la batterie, probablement programmée, vu le son et le rendu ultra mécanique), chante et produit. Le chant n’est pas inécoutable mais bien en deçà des performances offertes par les vocalistes ayant travaillé avec le guitariste. La production n’est pas immonde non plus (il y a eu pire) mais ça ne sonne quand même pas très bien (il y a la batterie que l’on vient de citer mais également beaucoup de réverbe sur la voix et des transitions ou placements qui semblent parfois approximatifs). Et, surtout, il y a l’effet de redite, le manque de surprise en terme de composition pure, encore plus dommageable que le reste. L’autocitation avec Malmsteen, ce n’est pas nouveau, bien au contraire, c’est un problème récurrent. Au bout de vingt-et-un albums, ça ne s’arrange pas. Sur l’instrumental Presto Vivace In C# Minor qui suit, le guitariste nous ressort d’ailleurs plusieurs fois, l’air de rien, un thème déjà utilisé sur le morceau Vengeance (album Magnum Opus, 1995). Autre problème détecté sur les premières pistes de Parabellum, les morceaux sont trop longs. Entre cinq et six minutes au compteur alors que tout est dit au bout de quatre. D’où cet effet de répétition qui finit par peser. D’autant plus que quand la plage s’étire, c’est pour permettre au monsieur de caser une surabondance d’aller-retours sur son manche en un temps record. Certes, il y a de la virtuosité, ça impressionne... mais ça fatigue aussi.
Quelques points positifs ? Relentless Fury, bien que peu original, est un morceau heavy mid-tempo chanté plutôt accrocheur (il a tendance à s’éterniser mais sa mélodie est agréable) et l’instrumental (Si Vis Pacem) Parabellum est sacrément fougueux, son riff emportant tout sur son passage, à la vitesse de la lumière... Par la suite, ça se gâte un peu : Eternal Bliss est une ballade qui, pour totalement séduire, aurait (en plus de se montrer plus originale) nécessité la présence d’un vrai chanteur. Et, à partir de cette piste, problème : il en reste encore cinq (dont quatre instrumentales)... ce qui veut se dire qu’on va se manger de la branlette néoclassique jusqu’à la crise de foi. Mais tout n’est pas désagréable. J’ai même été séduit par l’ambiance de God Particle ou le riff ultrasonique de Magic Bullet qui rappellent que la notoriété de Malmsteen ne vient pas de nulle part. Mais tout de même, au bout d’un moment, l’overdose menace. Les compos sonnent plus comme des prétextes à balancer du solo qu’autre chose (et l’occasion de jeter à l’auditeur un petit "Alors, c’est qui le plus rapide, hein ?"). Quand arrive le dernier instrumental (Sea Of Tranquillity), c’est bien simple, je n’en peux plus. Je jette l’éponge. Mes oreilles sont épuisées. En plus, elle dure huit minutes...
Verdict : pas de remise en question, pas de surprise. Yngwie est un technicien hors norme mais l’inébranlable vision qu’il a de son art peut lasser. On ne saurait contester qu’il se surpasse pour en mettre plein les mirettes aux fans de vélocité mais ses propositions sentent la facilité tant on a l’impression de les avoir déjà entendues cent fois auparavant. Comme aucune influence nouvelle n’a pu se frayer de chemin jusqu’à ses oreilles (le monsieur refusant d’écouter ce qui se fait), qu’aucun producteur ou collaborateur n’est engagé pour tenter de ralentir ce boulimique de notes dans ses fringales les moins raisonnables et qu’il n’y a même pas de bon chanteur ou autre musicien talentueux pour enrichir l’ensemble... que dire ? Malmsteen n’a besoin de s’accompagner de personne pour tout ce qui touche à sa musique, la prochaine étape logique serait qu’il finisse par être seul... à l’écouter. Ce serait triste mais qu’y pouvons-nous ? Cette dernière considération relève bien évidemment du fantasme. Yngwie est encore adulé par une partie de ses fans, il suffit d’observer bon nombre de commentaires dithyrambiques qui fleurissent sur la toile. Certains ne semblent absolument pas contrariés par la redondance et le déclin de ses productions, tant mieux pour eux... et pour lui. Parabellum est donc un disque conseillé aux fans les plus conservateurs du monsieur, ceux qui tolèrent que le Suédois coupé du monde, enfermé dans sa bulle et totalement autosatisfait, fasse toujours la même chose (en moins bien, à mon sens).
Tracklist de Parabellum :
01. Wolves At The Door 02. Presto Vivace in C# minor 03. Relentless Fury 04. (Si Vis Pacem) Parabellum 05. Eternal Bliss 06. Toccata 07. God Particle 08. Magic Bullet 09. (Fight) The Good Fight 10. Sea Of Tranquillity