« Fly, you fools… »
Après un projet qui virevoltait un peu dans tous les sens (Cara Neir), Garry Brents se lance dans l’aventure solo, tout en reprenant le schéma musical du dernier bébé, Phase Out, sorti cette même année. Opus à succès d’ailleurs, ce n’est donc pas étonnant de le voir poursuivre avec ce side-project joliment nommé Gonemage.
Le succès n’était pourtant pas gagné avec le pari ambitieux - mais finalement assez logique dans sa finalisation conceptuelle - celui de mixer Black Metal et musique 8-bit. Vous avez bien lu : Black Metal et jeux vidéo. En tout cas, pour ces derniers, le son si caractéristique des premières consoles dites « 8-bit »: puce informatique des Nintendo, Commodor, Amiga, qui permet ensuite une synchronisation MIDI, pour ceux qui se rappellent de ce format si mythique à l’époque. Un son que toutes les générations 80-90 connaissent a priori, et qui est d’ailleurs remis à l’honneur grâce au phénomène du « rétro-gaming ». Mais passons.
BM feat gaming, blague de geek introverti ?
La recette semble bancale, comme celle du professeur Utonium et son ajout « accidentel » de « l’agent chimique X », créant ainsi les Super Nanas. Réussite similaire pour Garry Brents (si l’on considère que les Super Nanas sont un succès en soi, bien sûr…) ? À mon goût, oui, parce que jeux vidéo et Black Metal ont beaucoup de choses en commun, surtout en ce qui concerne l’univers, parfois dur, sombre, complexe qu’ils partagent tous les deux.
Pensez à Dark Souls par exemple, humain maudit traversant des contrées plus qu’inhospitalières… Sinon, plus logiquement, Legend, Contra III, et Doom premier du nom, évoluant dans des univers similaires (même si je grossis un peu le trait) créés chez Marduk, Holocausto, Mayhem, ou plus récemment Summoning. La folie de ces jeux ! On dit du BM qu’il est élitiste, n’est-ce pas le cas des quatre jeux précités ? Die and retry à son plus haut niveau de torture. J’en bave encore, mais j’ai toujours autant de plaisir à y jouer, et à réussir à la fin. Enfin, pour terminer là-dessus, imaginez bien que quand je joue à Doom je ne dis pas non pour me mettre un Pure Fucking Armageddon en bande son derrière. Jouissif je vous dis. Question de forme ?
Reprenons. Sur la forme il y a des parallèles, on vient de le voir. Mais dans le fond, sur le plan musical, le mélange est-il réellement possible ? Parce qu’échanger une bande son contre une autre ce n’est pas tout à fait la même chose que de mixer les deux, vous en conviendrez. Les résistances des plus fermés d’entre vous sur le BM se feront donc logiquement de ce côté-là. Même si une similarité d’ambition demeure sur le fond : faire des sons cheap. Vous vous souvenez de Fenriz expliquant dans Until The Light Takes Us qu’il enregistrait sur des lecteurs K7 pour enfants ? Un point de concordance donc. Mais cela ne suffit pas, parce qu’il faudrait partager ensuite un goût commun pour le médium vidéoludique, ce qui est encore un autre cap. On est de nouveau bloqué.
Concordances, discordances ?
J’ai tenu à créer les ponts (ou pas), afin de mieux préciser aux moins sensibles à la chose, qu’il y a tout de même pas mal de points d’achoppements entre les deux, et que ce n’est pas une idée totalement déjantée. Et quand bien même, c’est là tout l’intérêt du produit. Personnellement ça a résonné en moi. Je m’explique. Gonemage a touché ma fibre « vieux jeux », la partie de moi qui jouait, et joue encore à ces excellents jeux. J’ai torché Legend sur SNES en une soirée avec mon frère : pas questions d’abandonner, de toute façon tu n’as pas de sauvegardes. Bref. Le pari de Garry Brents n’est pas si fou, il est nostalgique. Et de ce point de vue-là, c’est touchant.
Sudden Deluge est une vraie réussite. Ce n’est donc plus le fond, la forme qui importent, mais votre mémoire sensitive, auditive, votre imaginaire aussi, la « synthèse de l’imagination » comme dirait Kant, qui, par analogie, associe BM et chiptune. L’opus est rapide, peut-être un peu trop, car ça va vite, très vite. Gonemage ne se complait pas dans le 8-bit contemplatif à la Fire Emblem période SNES et GBA, mais dans des mélodies speed et entêtantes, sans jamais laisser un moment de respiration. Presque trente minutes de plongée artistique du côté des jeux fantasy (Tales Of Phantasia ?), voilà à quoi il faut s’attendre. Avec une conclusion digne des jeux de l’époque, la parenthèse apaisée après deux heures de jeu acharnées. La parenthèse qui fait plaisir au hardcore gamer, comme on le dit maintenant. Je me suis épanché, peut-être un peu trop, sur Sudden Deluge, mais il fallait remettre les pendules à l’heure sur les quelques a priori qui existent sur l’un ou l’autre genre. La conclusion, c’est qu’au-delà des points d’appuis ou des tensions entre les deux, Gonemage a réussi quelque chose de touchant et mémorable, au sens premier du terme. C’est déjà un grand pas, dont je me régale en jouant à Boss Monster, mais c’est encore une autre histoire, "les enfants"…
Tracklist de Sudden Deluge :
01. Shifted 02. Paraselene 03. Sulk Sheets 04. Gumubulang Na Alon 05. No Corpse Found, Just A Spirit 06. Prisoner of a Gaudy And Unlivable Present 07. Wisteria Sights (Pushed To Extreme Delights) 08. Pixel Expedition 09. Delirium 10. Scrying (by Lunar Cult)
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