Artiste/Groupe:

Evilon

CD:

Ginnungagap

Date de sortie:

Avril 2025

Label:

Fetzner Death Records

Style:

Death Melo, Folk Metal, Viking Metal

Chroniqueur:

Le Diable Bleu

Note:

18/20

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Amies lectrices, amis lecteurs, rappelez-vous... sinon revoyez l’épisode précédent... Le Grand Ordonnateur pensait que son heure était venue. L’heure âpre, celle du jugement. Il s’était levé ce matin-là convaincu que les sbires encagoulés du Hell-redpent viendraient le chercher pour l’emmener devant le Tribunal des Grands. Un cercle austère où siégeaient les Entités supérieures de la Rigueur, du Goût absolu et de l’Objectivité impartiale.

Car depuis peu, on lui reprochait tout : des abus de subjectivité aggravés, des envolées lyriques non justifiées, des comparaisons douteuses entre riffs Death Metal et techniques de curling scandinave. Son dernier édito, qualifié de “chronique totalitaire” par un obscur conseiller en style, sans doute sbire du Hell-redpent, avait été la goutte de trop. Il rassembla donc ses petites affaires, relut ses dernières lignes comme un condamné relit ses aveux, et attendit la sentence ou le départ de son dernier voyage en tant qu’être libre.

Au lieu d’un fourgon blindé, ce fut une Kangoo blanche qui se gara devant chez lui. Deux infirmiers souriants l’invitèrent à monter. « On file à Saint-Rythme-et-Souffle, la Maison de Repos et de Remise en Forme pour Cadres de la Critique Métallique, vous verrez, c’est plein de lumière et de bienveillance ! »

Rapidement débarqués sur les lieux, en effet, pas de menottes, pas de toge noire, pas de bourreau masqué. Juste une infâme bouillotte à thé et une playlist "Lo-fi pour esprits tourmentés". Le Grand Ordonnateur comprit alors : il n’était plus question de tribunal. Bien pire, c’était la maison de santé.

Le purgatoire du moelleux, où l’on soigne les tyrans fatigués avec des coussins à mémoire de forme, des ateliers d’expression corporelle, et des conférences sur l’écriture inclusive appliquée aux chroniques Doom. Un lieu de réhabilitation molle, où l’on tente de remplacer l’ironie par la sérénité forcée, et le sarcasme par des jus détox. Et c’est là que toute sa nouvelle vie commença.

On l’avait affecté à l’aile B, dite « introspective ». Là où les murs sont peints aux couleurs pastel, où les regards se croisent doucement, et où les conflits se règlent à coups de post-it apaisants (apposés sur le mur de toutes les paix). Il partageait dorénavant son quotidien avec quelques autres âmes à la dérive :

Le Grand Financier, arrivé depuis quelque temps maintenant, et reconverti en coach de respiration abdominale. La forme avait changé, mais son fond était toujours bien présent, donc toujours prompt à donner des leçons sur des sujets qu’il maîtrisait en théorie, mais jamais en pratique. Il devrait y rester encore quelques lustres avant de gommer cette suffisance. Alors, Le Grand Financier, toujours vêtu de ce trois-pièces aussi austère que son esprit, venait lui annoncer les futurs taux d’intérêt sur dix ans entre deux réflexions sur les bienfaits du capitalisme régulé par les gens raisonnables (lui, donc). Il n’écoutait jamais les remarques, ce qui tombait bien, car personne ne lui en donnait.

Le Ced, en formation accélérée de rééquilibrage postural, dispensait des conseils en vélo elliptique sans frein. Il avait bâti toute sa pédagogie sur l’interprétation fine des vidéos où l’art en pédalage de notre Thibaut Pinot national était mis en lumière. Le Ced affublé d’un short moulant à port permanent, transpiration de rigueur, évoquant les vertus du vélo pour pump track et l’importance d’une selle bien adaptée au fessier d’un homme en quête de renaissance, donnait le plus bel exemple qu’il fût, l’exemple sportif.

Le Kabet, chantre de la pédagogie inversée, essayait d’initier tout le monde à la musique classique, forcément symphonique, à l’aide de kalimbas recyclées. Comme toujours, comme pour tout, il y mettait un gros cœur et l’énergie d’un dragon. Jamais désespéré par la médiocrité de ses élèves, bien au contraire, il justifiait leurs piètres avancées par le fameux adage, si souvent mis de côté dans le monde de la pédagogie : "pas de mauvais élèves, juste le mauvais Prof".

Le Botem, obsédé par Napoléon et la fabrication de lames de rasoir artisanales, animait des séminaires sur l’échec historique comme outil de développement personnel. Notre chroniqueur historique, toujours affublé d’un sweat “Waterloo 1815 – RIP”, lui apportait chaque mercredi un nouveau tome sur Napoléon. Le dernier en date était "Bonaparte et la stratégie de communication sur les réseaux sociaux si TikTok avait existé en 1798". Passionnant, et lourd, surtout. Un hymne à l’endormissement incontrôlé.

JeanMich’Hell, à moitié repenti, donc éternel repentant, dirigeait depuis son arrivée un club de dégustation de bières sans alcool (mais avec amertume). Il avait transformé la salle commune en bar clandestin : IPA des Charentes, Triple Blondes du Morbihan et la Brune Motocultor Révolutionnaire étaient dégustées dans des verres en plastique marqués "Urgence", histoire de ne pas éveiller l’attention du corps médical. Il organisait des dégustations à l’aveugle avec en fond sonore des riffs de Mayhem et de Mastodon. L’expérience était sensoriellement discutable, mais socialement revigorante.

Les jeunes chroniqueurs, chargés de la logistique et de la distribution des pantoufles, murmuraient des louanges à qui voulaient les entendre. Vince Mc Khin et Nico D., faisaient office de cireurs de pompes, condition inévitable et totalement dépendante de leur jeunesse. Pourtant, ils passaient surtout leur temps à imprimer des punchlines sur l’imprimante du couloir ("Le black est l’avenir du progressif" ou "Si t’as jamais saigné du nez retourne dans la fosse, pour de bon") pour les coller sur les murs de la salle de repos.

Le PhilippeC, animait quant à lui, l’atelier "Photos volées", où son enseignement rigoriste devait permettre aux béotiens en matière d’art graphique de piquer à dame Nature, des photos d’oiseaux et d’autres petits mammifères courant dans le parc de la maison de repos. Seul le Diable Bleu montrait une réelle appétence pour la technique, dont il avait très rapidement détourné le sujet premier au profit de ses intérêts propres, clichés d’infirmières, légères et court vêtues, et d’autres coachs en musculation. Il échangeait donc ses meilleures prises de photos coquines avec son rire crétin.

Et notre Bane, bien sûr, consultant en drague, rédigeait un traité existentialiste intitulé : "La Muscu dans le monde du foot est une réponse à l’absurde".

Depuis son arrivée dans cette étrange Maison de Repos et de Remise en Forme pour Cadres de la Critique Métallique, le Grand Ordonnateur était scruté, analysé, observé. Alors, là il se tenait coi. Il notait tout. Observait. Se tenait pépère. Et puis un jour, alors qu’il errait dans la bibliothèque du centre (deux étagères entre l’armoire à perfusions et le baby-foot), il tomba sur un disque d’un groupe suédois : Evilon Ginnungagap. Le nom résonnait comme une menace de Ragnarok à peine dissimulée. Le Grand Ordonnateur, d’un geste presque tremblant, mit ses écouteurs.

C’était du mélodique. Du Death. Du Folk. Des chœurs, des growls d’outre-tombe, des guitares sèches, des rythmes tribaux et des riffs qui te saisissent à la gorge. C’était violent et beau, c’était ancien et moderne, c’était…exactement ce qu’il n’avait jamais osé écouter.
Un choc des extrêmes. Loin de son progressif poli qu’il affectionnait, loin du lyrisme éthéré du rock des années 2020. Ici, c’était du rugueux, de l’éruptif, traversé d’éclats païens. Une musique qui ne demandait pas la permission, qui revendique l’obligation ! Et contre toute attente, le Grand Ordonnateur, sur son siège ergonomique, ressentit quelque chose d’étrange, comme une brûlure primitive. Celle d’un genre : celui du Death/Folk Metal mélodique aux accents vikings.

Il retira ses crocs, se redressa. Puis il appuya sur "lecture" et saisit presque instantanément, ses plus fidèles compagnons, son crayon de bois et son petit carnet, offerts un jour par sa fidèle louve amoureuse.

Chronique :

Evilon est une formation de Melodic Folk/Death Metal originaire de Suède. Le groupe a été fondé en 2015 dans la localité suédoise d’Arvika, dans la province de Värmland. Après un EP en 2017 (Shores Of Evilon), l’album des débuts, Leviathan avait suivi un an plus tard. Cinq ans sont passés, en 2023, le deuxième album A Warrior’s Way est sorti. L’œuvre présentée ici, et donc troisième album des vikings suédois, s’intitule Ginnungagap, elle a été publiée en avril 2025 via le label allemand Fetzner Death Records. Les allemands vont adorer, pour sûr ! Les Gaulois suivront également !

La galette Ginnungagap, s’ouvre directement avec le titre Mjölnir, qui venait d’être pré-publié sous couvert d’une vidéo lyrique. On est introduit de manière épique et mélodique dans cette œuvre, avant qu’elle ne prenne de la vitesse avec des riffs folk harmoniques. Rapidement les growls profonds s’ajoutent immédiatement pour donner au titre sa touche Death Metal.

Les Suédois savent parfaitement faire fusionner les genres de manière harmonieuse sans trop dériver vers l’un d’eux, ce qui leur permettra de toucher un large public sans jamais les lasser. De plus, l’intégration fréquente de parties de guitare acoustique maintient l’auditeur constamment aux aguets. Il convient également de mentionner que la production est de haute qualité, de quoi faire sautiller les oreilles teutonnes et gauloises... Il convient encore de préciser que le line Up a été presque totalement rebootée, puisqu’il ne demeure plus que le lead guitariste de la formation originelle. Et, vous allez vous en rendre compte, le niveau atteint par cette jeune formation est bluffant...

Le deuxième titre, Far From Home, penche davantage vers le Death Metal pur jus et rappelle particulièrement Amon Amarth dès l’intro. Cependant, le groupe revient rapidement au Folk, évitant ainsi trop de parallèles avec leurs compatriotes. Les forces déjà mentionnées sont à nouveau mises en avant, et même si ce morceau ne fait pas autant d’étincelles, il reste convaincant. Day And Night est plus épique et permet de ramener la frange Melodic Death Metal dans le drakkar viking. Aurora Borealis est une ballade Folk Metal calme qui incite à chanter en chœur et se distingue par des vocaux féminins dans le refrain. À mon goût, ces vocaux auraient pu être un peu plus puissants pour créer un meilleur contraste dans le duo. Cette performance plus douce est suivie par Huldra. Ce morceau qui semble au début être une ballade, prend rapidement de la vitesse et gagne en puissance très rapidement. Seuls les vocaux féminins parfois trop doux restent constants et ne ressortent bien que dans certains passages.

Dans la deuxième moitié de l’album, le groupe continue de traverser avec enthousiasme les paysages Melodic Folk/Melodic Death Metal, et l’élan de la première moitié semble encore se relancer. Mon titre préféré dans la deuxième partie est Memories Of Yesterday, car il touche parfaitement l’auditeur sur le plan émotionnel et pourrait devenir un véritable tube.

De nombreuses pistes sont également convaincantes, mes préférences se portent sur Aurora Borealis, Fenrir et Unbreakable. Peut-être à cause de leurs folies ou de par leurs ressemblances à l’œuvre des monstrueux Ensiferum (construction des hits et par moment la texture vocale proche de celle de Petri Lindroos). Naturellement, d’autres chansons m’excitent moins le cortex, comme ces Allfather et Mjolnir, sympas au demeurant, mais il est probable qu’elles ne restent pas toutes en mémoire très longuement ou sur ma playlist. Evilon démontre cette fois qu’il possède de réelles ambitions croissantes et qu’il revendique le trône de l’élite nordique du Folk/Melodic Death Metal. Avec leur troisième galette Ginnungagap, nos guerriers remportent leur plus grande victoire sur ce champ de bataille de la guerre des trônes.

Fin de chronique.

Chaque morceau avait ouvert un portail dans sa tête. Il redécouvrait le plaisir de se laisser emporter, non pas par la raison, mais par l’instinct. Unbreakable lui avait mis une claque. Memories Of Yesterday lui fit verser une larme (qu’il expliqua plus tard par une allergie au pollen). Nidhöggr faillit le convaincre d’apprendre le suédois. Il remplit une première page, puis une deuxième. Il cita les noms des morceaux, il tissa des parallèles entre les mythes nordiques et les dérives contemporaines du management culturel. Il osa un jeu de mots sur Odin et les open-spaces. Il fit même un schéma avec des flèches.

Quand il leva la tête, il faisait nuit. Il avait chroniqué. Pour la première fois depuis son burn-out, il avait replongé. Sans pression. Sans deadline. Sans budget à respecter. Juste pour le plaisir. Le lendemain, il remit sa chronique à l’infirmière psy de garde. Celle-ci, en lisant les premières lignes, s’arrêta et lui demanda : "Evilon ? N’est-ce pas ce groupe de gamins qui hurlent dans des grottes en tapant sur des fûts de bière avec leurs chopes ?"

Le Grand Ordonnateur sourit. Pour la première fois depuis longtemps.
"Non. Ce sont des architectes. Des architectes du chaos maîtrisé. Des poètes de l’abîme. Des messagers d’un monde ancien que nous avons oublié."

L’infirmière haussa les épaules, et nota : "patient semble stable, mais délire scandinave persistant, post-syndrome de Stockholm à confirmer".

Et c’est ainsi que dans l’aile B, où s’écoulent bien lentement les nombreux exemples d’une vie simple, entre deux conférences sur les limites de la logique comptable et l’initiation à la bière au piment, qu’un vieux tyran redécouvrit qu’il existait une vie heureuse. Plus douce fût sa chute... et donc ainsi se termina la Trilogie du Grand Ordonnateur, mais gageons que de nouvelles Grandes Figures trouveront bientôt un nouveau chemin au sein de nos Aux Portes du Metal.

Tracklist de Ginnungagap :

01. Mjölnir
02. Far From Home
03. Day And Night
04. Aurora Borealis
05. Huldra
06. Fenrir
07. Unbreakable
08. Memories Of Yesterday
09. Allfather
10. Nidhöggr
11. Brothers Of Evilon

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