Etrange sensation que de lancer l’écoute d’un nouveau Suffocation sur lequel ne figure pas le légendaire vocaliste du groupe New Yorkais. Après trois décennies à growler comme personne avant lui, Frank Mullen décide donc en 2018 de quitter le navire, laissant tous les fans du groupe dans une profonde inquiétude bien légitime. Cette inquiétude est heureusement brutalement dissipée dès les premiers mots vociférés par Ricky Myers, l’homme à qui incombe aujourd’hui la (très) lourde tâche de reprendre le flambeau. Sa performance vocale sur l’album est simplement impressionnante de puissance et de bestialité, il incarne déjà parfaitement ce Suffocation new-gen et offre au groupe un second souffle presque salutaire qui anime chaque instant de ce Hymns Of The Apocryphia.
Vous l’aurez compris, point de suspens inutile, Suffocation tient une forme olympique et nous délivre un album dantesque. Le travail d’écriture est remarquable, alternant avec un savoir faire à toute épreuve tout ce qui a fait la carrière, le style et la réputation de ce monstre du death metal. Ainsi les parties ultra brutales d’une technicité folle, d’une précision dingue, se disputent le terrain avec des breakdowns groovy en diable, d’une lourdeur inhumaine. Terrance Hobbs, le taulier, et son "jeune" comparse Charlie Errigo nous inondent de riffs first class qui laminent, broient ou écrasent c’est au choix, de trémolos presque épiques, de palm mute véloces et tranchants, de mélodies ingénieuses et bienvenues pour aérer un ensemble toujours très dense, parfois retors, et de solis de haute volée auxquels le groupe ne nous avait pas habitué. Que dire de la prestation XXL d’Eric Morotti, simplement impressionnant derrière ses fûts. Reprenant à son compte le blast particulier si cher à son illustre prédécesseur Mike Smith, son jeu est d’une richesse folle, à la fois puissant et tout en finesse...de la dentelle et une enclume !
Le groupe fait évoluer sa brutalité, progressivement, intelligemment, au fil des années et des albums. Hymns From The Apocrypha sonne ainsi comme du pur Suffocation mais est néanmoins très différent de l’inaugural Effigy Of The Forgotten sorti en 1991. Loin de s’enfermer dans sa recette originelle, le combo injecte du sang neuf, cette fois-ci une approche plus mélodique, des solos nombreux et soignés, originaux, marquants, et modernise son approche du son pour ne pas rester empêtré dans une formule désuète ou vieillotte. Car il faut bien en parler du son de ce disque. Impossible dans cette chronique de faire l’impasse sur cette production monstrueuse de justesse et de précision, de puissance et de clarté, Christian Donaldson et Dominic Grimard offrent à l’album un son absolument parfait où chaque élément trouve sa place et qui permet à l’auditeur de profiter pleinement de ces neufs morceaux dans leurs moindres détails et recoins.
Certains regretteront l’évolution du groupe, d’autres encore l’absence de Frank Mullen malgré sa performance pour le moins discutable sur Ignorant Deprivation, morceau issu de Breeding The Spawn (1993) ré-enregistré ici pour l’occasion et sur lequel il vient pousser la chansonnette, mais il faut être sacrément difficile pour bouder son plaisir quand un groupe qui a déjà tant donné semble en prendre autant pour nous offrir l’une de ses toutes meilleures réalisations. Suffocation s’offre avec ce Hymns Of The Apocryphia , tout aussi massif que brutal, une délicieuse cure de jouvence.
Tracklist de Hymns From The Apocrypha :
01. Hymns From The Apocrypha 02. Perpetual Deception 03. Dim Veil Of Obscurity 04. Immortal Execration 05. Seraphim Enslavement 06. Descendants 07. Embrace The Suffering 08. Delusions Of Mortality 09. Ignorant Deprivation