Le concept « groupe mystérieux avec masques » a toujours bien fonctionné. Les exemples sont légion avec bien sûr Gwar dans les 90’s, Slipknot à la fin de cette même décennie ou plus récemment encore Ghost dont le succès est incomparable. On aurait pu croire que les réseaux sociaux auraient la peau de ce genre de concept, difficulté de conserver le secret oblige mais non, le pape suédois se porte à merveille et la tombée des identités des musiciens de l’Iowa n’a pas diminué le succès du gang de Des Moines, bien au contraire. Evidemment, les critiques naturelles font souvent état d’un « ok pour le concept mais la musique c’est pas ça ! » (je simplifie quelque peu) et l’honnêteté oblige à reconnaître que c’est une remarque parfois bien légitime. Aussi, je n’ai pas cité les Kiss et Avatar plus portés sur le déguisement que le masque mais l’idée reste la même avec une dimension théâtrale certaine. Le cirque est un élément marquant pour beaucoup d’enfants et cela se retrouve à l’âge adulte, certes sous un format plus élaboré. La forme dépasse parfois le fond et on peine à distinguer la vraie raison du succès.

Sleep Token c’est la dernière trouvaille du genre avec son ambiance bien mystérieuse et disons-le tout net, l’atmosphère dark d’un Ghost des débuts n’est pas bien loin (avant que la bascule vers un rock théâtral grandiloquent ne vienne s’imposer avec le succès que l’on sait). Je ne vais pas déclencher d’emblée des griefs sur un côté suiviste alors je vais suspendre mon jugement et présenter la bête du mieux possible. C’est l’anonymat qui règne sur Sleep Token et le groupe n’a à ce jour donné qu’une seule interview. C’est bien peu mais pour conserver le mystère, c’est imparable. Le chanteur principal et leader de la formation (ça ne vous rappelle rien ??) est à la manœuvre et se fait appeler Vessel. Le concept du groupe ? Les représentations mortelles d’une ancienne déité connue sous le nom de « Sleep », imagerie incarnée par Vessel. Tout cela donne du sens au nom du groupe et au patronyme de son leader. Ce dernier dans sa seule interview (à Metal Hammer alors que le groupe venait de signer avec Basick Records) a précisé être là pour porter le message de cette déité, ajoutant au concept avoir rêvé de Sleep, cette dernière lui promettant gloire et magnificence s’il la suivait. On est donc à mi-chemin entre Indiana Jones et Le Temple Maudit (« Fortune et Gloire petit, Fortune et Gloire ! »), l’appartenance à une secte (coucou les 90’s) le tout avec le format d’un Ghost (et ce personnage papal). 

Tout cela est bien (trop !) conceptuel mais revenons à la musique. Là encore, c’est assez foutraque, résolument moderne naviguant entre post-rock, influences alternatives et progressives, sans oublier une dimension indie rock voire même trip-hop sur certaines rythmiques. On retrouve la démarche d’un Zeal & Ardor multipliant des registres a priori improbables. Point de gospel ici, mais des éléments hip hop mélangés à des grosses guitares, voilà qui en première écoute déstabilise quelque peu. Si l’imagerie tend quasiment (et opportunément) vers du black metal, sur le plan artistique, nous en sommes loin et pour tout dire vraiment aux portes de ce registre pur. Les médisants, ce que l’auteur de ces lignes est parfois (ce qui ne lui fait pas honneur), diront qu’il en va de même pour Ghost, déjà bien trop cité dans cette missive mais soyons francs, il est quasiment impossible de ne pas y songer tant Sleep Token semble reprendre la démarche artistique / le business model des Suédois.

Je me rends compte que je n’ai pas résisté à émettre quelques réserves sur Sleep Token mais honnêtement, la musique m’a bien plu. Encore une fois, c’est assez versatile, un peu trop à mon goût de jeune quadra manquant parfois d’ouverture d’esprit, mais il y a de très bons moments et plusieurs fois, alors que j’étais réservé sur certaines pistes, un démarrage de guitare, une mélodie vocale m’ont fait me dire que « ok certains moments sont franchement bien ». Certes, on retrouve souvent le même schéma avec un démarrage en douceur sur fond de sonorités très soft avant une bien belle explosion faisant souvent mouche. C’est le troisième disque du combo et il y a donc un certain savoir-faire, une compétence et de fait, le rendu final me va bien. Pas un enthousiasme de dingue mais un vrai bon moment d’écoute, un disque de qualité très honnête. Les aspects hypnotiques leur vont plutôt bien et ce Take Me Back To Eden, clôturant une trilogie de fait cohérente, présente ici les moments les plus heavy. 

En synthèse, Sleep Token est typiquement ce genre de groupes pas évidents à appréhender car on est ici dans une offre artistique ultra opportuniste mais, pour autant, le résultat est bon, le concept abouti (bien qu’un peu fumeux !) avec une imagerie plutôt plaisante et pour tout dire réussie, idéale pour fidéliser une fan-base composée de "die-hards". Encore ce sentiment que le metal est un business, ce qui n’est certes pas nouveau mais continue parfois de heurter. C’est peut-être moi le souci d’ailleurs tant tout cela est à prendre avec détachement. Il ne s’agit au final que d’un concept théâtral, indéniablement bien fichu ce qui n’est pas la moindre marque de respect envers le fan / consommateur. Et musicalement, c’est sincèrement plaisant ce qui in fine reste le plus important. Il est à noter que le groupe qui bénéficie d’une grosse cote (buzz oblige !) auprès d’un public adepte sera très présent sur les gros fests cet été et que ces shows permettront sans doute de mieux savoir ce que vaut la bête. A voir si Vessel aura autant de qualités quant à la mise en scène de son concept qu’un certain Tobias Forge. C’est tout ce qu’on lui souhaite. 

PS : Le groupe assurera la première partie de Slipknot aux Arènes de Nîmes. Amis Sudistes... 

Tracklist de Take Me Back To Eden :