Je parcourais tranquillement le web, en quête de nouveautés, espérant tomber sur une pépite chroniquée par un camarade du Net, qui ferait frissonner mes synapses. Car oui, nous devisons parfois nos confrères, non pour les copier — pour qui nous prenez-vous ? — mais souvent pour admirer leurs idées, leurs styles ou leur dévotion. Et là, que vois-je ? Une chronique tiède d’un album qui promettait pourtant monts et merveilles. L’auteur, buveur de thé assumé, déversait ses commentaires comme on décrit les arômes d’une infusion : “trop de miel, pas assez de notes acidulées, le velouté est trop présent…” Bref, un fan de Metal hurlant assis derrière son écran, la cuillère en main, attendant que l’eau atteigne exactement 78,5°C (première demi-heure), puis laissant refroidir son fade breuvage (encore une demie heure au moins...) jusqu’à ce que le pseudo nectar frôle la température de la soupe de midi. Et le tout, en faisant des bruits de bouche dignes d’un opéra de gargouillis, ne s’excusant jamais mais prétextant que sa soupe d’herbes demeura encore bien trop chaude, et analysant chaque note d’herbes sèches comme s’il s’agissait d’un bouquet de fleurs rares.
Bon cela provoque immédiatement mon agacement, amies lectrices et amis lecteurs vous l’aviez bien senti. Ce type écoute-il du death/doom ou médite-il sur un camomille latte ?!
Bon, gardons tête froide et reprenons nos esprits. Car le disque en question, le génial Denial de Serpent God, n’est pas une simple promenade dans un jardin botanique. Non, c’est un voyage qui vous attrape, vous tire vers le bas comme les riffs du doom, puis vous élève par des envolées atmosphériques et vous fait tanguer sur des vagues presque prog grâce à des claviers et des guitares finement tissés. La voix du chanteur est incroyablement transportante : profonde, gutturale, subtilement variée et jamais monocorde. Elle fait ressentir désespoir, extase et émerveillement dans un même souffle, alternant passages purement death et intonations mélodiques, flirtant parfois avec un atmosphérique à couper les jambes.
Musicalement, l’album est un équilibre parfait entre puissance et subtilité. Les guitares, souvent lancinantes, parfois acérées comme des griffes, dialoguent avec des claviers qui ouvrent de véritables fenêtres sur un futur sombre et fascinant. La section rythmique, solide et inventive, ne se contente pas de soutenir le tempo : elle le fait respirer, il pulse comme le cœur de la bête elle-même. Chaque titre déploie sa propre atmosphère : certains sont des marées de lourdeur mélodique, d’autres de véritables tourbillons d’énergie, où chaque mesure semble calculée pour frapper exactement là où il faut. Et pour un premier album, la maîtrise est stupéfiante.
Les compositions sont audacieuses, presque ambitieuses. Prenez Oblivion, un riff principal qui pourrait sembler simple au premier abord, mais qui se révèle, au fil des écoutes, une spirale hypnotique, soutenue par une batterie inventive et des chants puissants qui soufflent le vent du large. Repent ose des contrastes encore plus frappants, allant du mur sonore doom à des parties atmosphériques presque contemplatives, offrant un relief que peu d’albums débutants ou non atteignent, rejoignant ici les maîtres d’Insomnium. Et que dire de Revelation, véritable pièce maîtresse, où chaque instrument semble respirer en parfaite synchronisation avec la voix, créant une tension qui vous colle à votre siège jusqu’à la dernière note. Void, pure tuerie créatrice, est une démonstration de leur univers.
Ce qui frappe le plus, c’est que malgré cette complexité, jamais Serpent God ne perd le fil. Chaque chanson raconte une partie de l’histoire, chaque riff est une phrase, chaque passage prog ou atmosphérique apporte un mot choisi avec soin, un supplément d’âme. Et ainsi l’album devient une architecture sonore, un labyrinthe que l’on a envie d’explorer encore et encore, en espérant ne jamais s’en lasser.
Alors oui, à côté de ça, notre buveur de thé invétéré pourra toujours soupirer sur le “miel trop présent” ou l’effet “cocon des guitares”. Mais nous, simples mortels assoiffés de musique chaude, savons apprécier la densité, la richesse et l’originalité de ce disque. Ici, il n’est pas question de passer une demi-heure à attendre la température parfaite d’un breuvage, ni de décrire chaque arôme de manière pédante. Non, ici, aux ApdM, on écoute, on vibre, on se laisse emporter. Et c’est précisément ce que Denial réussit avec brio : transporter, surprendre, émerveiller.
En résumé, Denial de Serpent God est un véritable tour de force. Mélodique, soit, ce qui pourrait déplaire aux métalo-bobos amateurs de thé, il n’est pourtant jamais mièvre ; complexe, mais jamais indigeste ; puissant, mais jamais gratuit. Les fans de death, de doom, d’atmosphères progressives, de textures sonores innovantes, tous y trouveront leur compte. Et ceux qui cherchent à noyer leur thé dans des remarques pseudo-littéraires… eh bien, qu’ils restent à leur table. Nous, nous hurlons avec cette jeune meute, car oui, j’oubliais de le rappeler encore une fois : il s’agit de leur premier album, et oui, je dois le rajouter encore, ces trois-là sortent de nulle part, ou plus exactement des contrées finlandaises. Waouh, c’est génial. Je m’ouvre une mousse.