C H R O N I Q U E
Il est de ces disques, qui, au-delà de la musique en elle-même, sont un symbole pour une, voire, plusieurs générations. Ces disques qui font dire qu'il y a eu un avant et ensuite un après. Ces disques qui vont inspirer de près ou de loin des groupes diamétralement opposés. Ces disques qui établissent des légendes du vivant des artistes. Les disques répondant à tous ces critères sont extrêmement rares, mais il ne fait aucun doute que Nevermind fait partie de ceux là.
Reposons le contexte ! Nous sommes au début des années 90, et donc comme tout début de décennie qui se respecte, tout ce qui a été fait les dix précédentes années est qualifié de « has been ». Adieu les rockeurs androgynes aux permanentes trop laquées, aux pantalons à paillettes et au maquillage digne des pin-ups de l'après guerre. Enterrons Mötley Crüe, Kiss, Twisted Sister et consorts. Adieu les Heavy Metalleux et leurs tenues 100% cuir, cloutée de la visière de la casquette jusqu'aux talonnettes, hurlant un chant à fendre le cristal. Enterrons Judas Priest, Iron Maiden, Accept, Manowar et consorts. Adieu les Guitar Hero redoublant d'agilité et de vitesse, dans cette course infernale vers la virtuosité. Enterrons Van Halen, Joe Satriani, Yngwie Malmsteen, Steve Vai et consorts. Enterrons-les certes, mais pas trop quand même, car ils redeviendront vite, de nouveau tendance. Mais en attendant ?
En attendant, il n'y a rien. Seulement une génération paumée qui ne se reconnait dans aucune branche musicale précitée, qui pense que l'avenir n'est pas pour eux, avec un semi retour au « No Future » d'antan. Et pourtant, sans vraiment le vouloir l'un des leurs va émerger au milieu de ce vide quasi abyssal. Il s'agit d'un petit blondinet, malingre, complexé, piètre guitariste comparé à ces glorieux aînés, au registre vocal plus que limité, pas forcément très propre sur lui et frappé d'entrée de jeu par une jeunesse instable, à cause de déboires familiaux à répétition. Celui-ci va fonder Nirvana avec Krist Novoselic, en officiant dans un nouveau type de rock émergeant du côté de Seattle : le Grunge (répondant à la douce traduction de « crasse entre les orteils »). C'est en toute simplicité que les deux compères vont se forger une solide réputation locale, jouant dans des clubs voire même dans des salons entre deux canapés, tout en recrutant au passage le génialissime batteur, Drave Grohl ! Et après un premier album, « Bleach », sorti en toute discrétion, arrive la bombe que personne n'attend : « Nevermind » !!
Dès les premiers accords, c'est une véritable hymne qui retentie : « Smells like Teen Spirit », véritable appel à la révolte pour une jeunesse qui ne comprend rien à la société dans laquelle elle (sur)vit. Ce morceau est sans doute le plus grand morceau de rock de cette décennie. Mais comme l'a si bien rabâché Nirvana, cet album ce n'est pas qu'un seul morceau ! C'est tout simplement une série de classiques qui s'enchainent tranquillement, n'ayant l'air de rien. « In Bloom », « Come as You are », « Something in the Way », « Polly »... On pourrait citer l'album en entier, car ce ne sont pas seulement des classiques du groupe, mais des classiques au sens large du terme ! La musique au premier abord simpliste de Nirvana, semble tout d'un coup vacillé vers le génie pur et simple, comme si Nirvana avait tout compris au rock, emmené par le timbre écorché de Cobain, dont la voix, pas si exceptionnelle que ça prend une dimension démesurée. Saluons au passage le travail à la production de Butch Vig qui aura sans nul doute compris, mieux que la bande à Cobain elle-même, que cette alchimie entre les membres de Nirvana pouvait accoucher d'un véritable joyau.
Le succès de « Nevermind » sera considérable, allant jusqu'à détrôner le « King of Pop » Michael Jackson. Mais ce succès met Nirvana en face d'un véritable paradoxe, en étant mis en avant et érigé en leader par un système dont il ne souhaite que la disparition. Kurt Cobain est du jour au lendemain, une véritable icône, chose qu'il n'assumera jamais pleinement, ne demandant qu'à retourner dans cette masse anonyme dont il s'est sorti sans vraiment comprendre pourquoi, ni comment. Tout ceci conduira à la disparition tragique, mais sans doute inéluctable de Kurt Cobain, préférant partir vers d'autres cieux, et conduisant au split évident du groupe qui n'avait plus lieu d'exister. Il est difficile de se dire que cela fait près de 20 ans que « Nevermind » est sorti et que Kurt Cobain nous a quittés il y a exactement 15 ans (il aurait aujourd'hui 42 ans). Une chose est sur Nirvana est, grâce à ce disque, un des groupes les plus marquants de l'histoire du rock, et Kurt Cobain, une icône, aux cotés des Elvis Presley, Jim Morisson, Jimi Hendrix et Bon Scott.
|