C'est un Mötley Crüe méconnaissable qui revient, cinq ans après le succès mondial de Dr Feelgood. Méconnaissable car le groupe a changé de chanteur mais aussi de style musical.
Il faut dire qu'il s'est passé pas mal de choses en cinq ans. Les eighties ont laissé la place aux nineties, le Grunge est arrivé en force et a balayé toute la vague des groupes maquillés, aux cheveux crêpés et aux allures féminines, vague initiée justement par Mötley Crüe. Marre du Glam, du superficiel, on veut maintenant un Rock sans artifice. Et ça, les gars de Mötley Crüe l'ont bien compris et ont donc décidé de changer leur image... et aussi leur musique, pour qu'elle colle plus à l'air du temps.
Seulement, il va y avoir un changement encore plus important, que le groupe n’avait pas prévu au départ. Lors de l'enregistrement du successeur de Dr Feelgood, des tensions sont apparues entre les membres de Mötley Crüe. Vince Neil, très peu motivé par l'enregistrement des nouveaux titres car ceux-ci ne lui plaisaient pas du tout, faisait en sorte de rater un maximum de répétitions en studio, ce qui gonflait largement les autres, obligés de l'attendre pendant des heures. Finalement, après une dispute plus importante où chacun va balancer ses quatre vérités, il claque la porte. Les autres ne le rappellent pas et lui cherchent un remplaçant, rapidement trouvé en la personne de John Corabi, chanteur dans un groupe de Los Angeles appelé The Scream (groupe par lequel transita Scott Travis, futur batteur de Judas Priest) et auteur d'un album, Let It Scream en 1991.
Et John Corabi n’a pas du tout le même timbre de voix que Vince Neil. Par contre, son chant correspond bien à ce que Mötley cherchait, pour sonner plus moderne. John Corabi est également guitariste, ce qui fait que le groupe est passé à deux guitares. Du coup, le son Mötley Crüe a considérablement changé et à l'écoute du premier titre, Power To The Music, on croirait plus écouter un groupe de Grunge comme Stone Temple Pilots que Mötley Crüe. Avec le second titre, Uncle Jack, on pense carrément à Alice In Chains (ce sera le cas aussi avec Droppin Like Flies). C'est une véritable métamorphose qu'a subi ici le groupe.
Mais en cherchant à rattraper une mode qui justement allait à l’encontre de l’image passée du groupe, en cherchant à jouer un style de musique qui n’était pas le sien, Mötley Crüe a-t-il eu raison ? A en juger par l’accueil qu’a reçu l’album, la réponse est non. Les fans du groupe (et il y en avait toujours un bon paquet, vu que l’album s’est glissé directement à la septième place du Billboard à sa sortie) n’ont pas retrouvé le groupe qu’ils étaient venus chercher. On est tellement loin de l’univers des albums Girls Girls Girls et Dr Feelgood que la déception fut forcément immense. Une grande partie des fans de Mötley vont leur tourner le dos. Les autres, ceux qui auraient pu apprécier cet album puisque s’inscrivant dans un style assez tendance pour l’époque, n’ont même pas pris la peine de l’écouter, à cause justement du Mötley Crüe écrit en gros sur la jaquette. En voulant s’acheter une nouvelle virginité, les Californiens ont perdu sur les deux tableaux.
Pourtant, cet album n’est pas mauvais, si toutefois on ne s’attend pas à écouter du Mötley Crüe. Déjà, jamais un album du Crüe n’avait sonné aussi heavy. Les guitares sont lourdes, Corabi chante bien, les musiciens (Nikki, Mick, Tommy) prouvent ici qu’ils savent s’adapter à un autre style musical, eux que beaucoup de personnes prenaient pour des billes. Les titres sont assez longs (huit morceaux dépassent les cinq minutes), ce qui est inhabituel chez Mötley mais à ce stade, on n’est plus à une surprise près. Il faut dire que, contrairement à l’habitude du groupe, ce n’est pas Nikki Sixx qui a quasiment tout écrit. Chaque membre a mis la main à la pâte, même le petit nouveau John Corabi.
Il n’y a pas que la musique qui a changé. Epoque différente oblige, les paroles des morceaux n’ont également plus grand chose à voir avec l’ancien Mötley Crüe. On parle maintenant de sujets moins légers (la censure, la pédophilie, le totalitarisme).
Des morceaux comme Uncle Jack, Hooligan’s Holiday, le particulièrement heavy Smoke The Sky passent plutôt bien. Sur Misunderstood, le groupe tente même une approche orchestrale, assez réussie il faut le dire. On retrouve tout de même quelques traces de l’ancien Mötley sur le titre Poison Apples, co-écrit avec le producteur de l’album, Bob Rock. Ce titre ressemble aussi un peu à du Aerosmith, tout comme Welcome To The Numb un peu plus loin. Et si on peut trouver sur cet album quelques titres moins inspirés à mon sens comme Till Death Do Us Part ou Driftaway (la ballade évitable), on n’a cependant aucun titre à zapper.
La tournée qui suivit fut un désastre. Le management avait réservé des salles énormes (retour du groupe après une longue absence oblige) mais le public ne vint pas, ce fut une catastrophe financière, qui suivit celle de l'album qui avait coûté très cher. Le label voulut annuler le reste de la tournée après quelques dates désastreuses, les membres du groupe décidèrent alors de financer la suite de la tournée sur leurs propres deniers avant de se rendre compte que c'était peine perdue. Ce fut un échec sur toute la ligne. Et comme l'entourage du groupe insistait fortement pour que Vince Neil revienne, Nikki et Tommy se laissèrent convaincre. Fin de l'épisode Corabi, même si Tommy avait émis l'idée de le garder comme second guitariste (ce que Mick Mars ne voulait pas). De toute façon, pour tout le monde, Mötley Crüe, c'est Vince, Tommy, Mick et Nikki, pas autre chose.
Malheureusement, même le retour de Vince Neil sur l'album suivant, le décrié Generation Swine (comment enregistrer un bon album quand on ne sait plus quoi composer et que les tensions entre les individus sont énormes ?), ne va pas changer la donne. Mötley Crüe va rester encore un moment dans le creux de la vague.
Cet album est donc un OVNI dans la discographie du groupe, le seul avec un autre chanteur que Vince Neil. Mais il n'est pas inintéressant pour autant. Avis aux curieux.
Tracklist de Mötley Crüe :
01. Power To The Music
02. Uncle Jack
03. Hooligan's Holiday
04. Misunderstood
05. Loveshine
06. Poison Apples
07. Hammered
08. Til Death Do Us Part
09. Welcome To The Numb
10. Smoke The Sky
11. Droppin Like Flies
12. Driftaway
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