On ne présente plus les piliers du rock progressif, Marillion. Eh oui les gars, dix-huitième album des Anglais, qui ne se sont jamais aussi bien portés, malgré leurs âges avancés (entre cinquante et soixante ans). Ils sont fidèles au poste, depuis plusieurs décennies, drainent des milliers de fans totalement acquis à leur cause, dans des tournées mondiales et des Marillions Week-Ends qu’ils sont le seul groupe, à ma connaissance, à proposer (festival annuel aux Pays-Bas, au Canada, et cette année en UK, Pologne et en Amérique du Sud, avec trois soirs de concerts différents sur un weekend). Si un groupe pourrait être cité en modèle dans la gestion de la relation avec sa fanbase, c’est bien Marillion.
Bref, ce dix-huitème album a pris environ trois ans de travail et il se nomme F.E.A.R. pour Fuck Everything And Run, mais aussi pour fear (la peur). C’est en fait un concept album très engagé, sur le système politique actuel en place, la puissance des banques, le chacun pour soi, et l’égoïsme ambiant qui semble caractériser la race humaine. Les papis de rebellent et poussent une gueulante. Mais attention, c’est une gueulante à la Marillion, subtile, planante, réfléchie, tout en finesse et en beauté.
Alors comme pour la dernière chronique de mon ami Dominique, qui nous expliquait que le dernier Riverside était un hors sujet flagrant sur notre site, là on aurait pu penser qu’il en était de même, sauf que c’est de la vraie musique qui vous prend aux tripes et que, metal ou pas metal, il me semble que les amateurs de bonne musique ne peuvent rester insensibles à de telles vibrations, même si ça n’est pas de la musique pour headbanger, je le reconnais.
L’album est un concept, avec trois grandes pièces découpées en mouvements comme dans une pièce classique. Les trois grosses pièces se nomment El Dorado, The Leavers et The Next Kings. Intercalés entre ces trois pièces maitresses, on trouve trois morceaux qui servent d’interlude et qui sont Living In Fear, White Paper et Tomorrow’s New Country. Le thème abordé est assez prophétique puisque The Leavers décrit grosso modo le Brexit, alors qu’il a été écrit deux ans avant. Tout le monde en prend pour son matricule dans cet album, la voix d’ange de Steve H, est magnifique, douce, posée, planante, mais les paroles, souvent ironiques, sont caustiques à souhait, les passionnés apprécieront.
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Globalement l’album est assez calme, avec une guitare plutôt en retrait, les fans de Steve Rothery et de son toucher magique risquent d’être un peu déçus. Mais on s’y habitue et on apprend à écouter l’album et à découvrir les interventions inspirées et tout en finesse de Steve. Il faut juste un peu de patience. Les premiers frissons de plaisir déboulent assez vite avec El Dorado II. The Gold. C’est superbe, ça rappelle le travail de Steve H avec Richard Barbieri, on sent que Steve H est très impliqué dans la phase de composition. La voix de Steve H va vous scotcher, quel chanteur ! Je note aussi une superbe basse de Pete Trawalas qui vient donner une profondeur abyssale au morceau. Steve y fait un superbe solo dont il a le secret. Ils ne sont pas super nombreux dans cet album alors savourons. Dans El Dorado IV. F.E.A.R., nous prenons une petite démonstration de ce que Steve H est capable avec son instrument : la voix. Les autres montent en puissance tranquillement. Pensez à écouter le jeu de batterie de Ian Mosley. Qui a dit fastoche ?
Je trouve très réussi le morceau qui permet de basculer de El Dorado (et ses dix-sept minutes) à The Leavers, Living In Fear. C’est un morceau plus facile d’accès dans lequel Steve H oppose « Living in Fear » et « show of Strength » en signe de résistance. Steve fait un bon solo qui rappelle à notre bon souvenir son toucher de manche incomparable.
J’adore l’intro de Mark Kelly et ses claviers sur The Leavers I. Wake Up In Music. Deuxième attaque de poils hérissés sur la montée en puissance, le chant incroyable de Steve H (qui mentionne Calais – tiens donc). Nous voilà bien partis pour dix-neuf minutes de plaisir. Dommage que ma promo se fasse en numérique avec des trous entre les morceaux qui s’enchainent. J’enrage, ça gâche tout. Vivement le vrai CD ! Steve fait encore une très bonne envolée dont il a le secret dans The Leavers IV. The Jumble Of Days. Le dernier mouvement du morceau, The Leavers V. One Tonight, est magnifique, une belle démonstration du concept de crescendo, et de montée en tension, avec Steve H dans le rôle du type qui sublime tout, épaulé par un subtil solo de Steve, toujours au top.
White Paper fait une transition tout en douceur pour attaquer le dernier morceau fleuve, The New Kings (environ dix-sept minutes). On attaque dans le plus dur (tonalité, voix), avec le premier mouvement éponyme de l’album : Monaco, Londres, Genève, Luxembourg, les places boursières et autres paradis fiscaux sont dans le colimateur de Steve H, qui se la joue ironique : « We do as we please while you do as you’re told », « We’re too big to fall, we’re to big to fail ». On sent qu’il a les boules, et quand Steve H a les boules, il passe tout dans son chant qui devient une arme de précision : c’est beau au premier degré, ça assassine au second. Les frissons me gagnent à nouveau sur The New Kings II. Russia’s Locked Doors, et la reprise du chant et l’enchainement sur un très bon solo de Steve, qui me semble un peu coupé court, dommage, j’en aurais bien pris encore une petite goutte. Ce morceau est beaucoup plus mélancolique, triste, Steve H semble résigné à ce qu’il n’y ait pas de solution. Il le dit dans The New Kings III. A Scary Sky, dans lequel, au passage il égratigne les médias. On est surpris de l’intro riffé de The New Kings IV. Why Is Nothing Ever True, on change de tonalité, l’espoir semble revenir, un avion nous survole de l’oreille gauche à la droite. Steve H revient sur un temps où on était fier de son pays, de ses couleurs, de son hymne. Mais ce temps est révolu : les New Kings ont pris le pouvoir, tu dois te soumettre !
Tomorrow’s New Country est un petit morceau court, de deux minutes, une sorte de conclusion à ce coup de gueule musical. C’est toujours triste, mélancolique.Il n’y aurait vraiment plus d’espoir alors ?
On ne sort pas indemne d’un albume comme celui-là, si comme moi vous tentez une vraie immersion. Ca fait réfléchir. Musicalement, j’attribue une mention spéciale à Steve H. Son chant est une démonstration de pur maîtrise de ses émotions, j’ai hâte de voir ça en live. Quel dommage que certains aient tourné la page de Marillion avec les quatre albums de Fish, ignorant de ce fait quatorze autres albums dont nombreux absolument géniaux. Personnellement je trouve que cet album est dans la continuité du double album Happinness Is The Road, un peu au-dessus même, et que donc c’est un cru particulièrement réussi. Marillion ne prend, certes, pas de risque musicalement (même si dans les paroles, c’est très engagé), mais nous régale de… Marillion. C’est très beau est ça réchauffe le cœur (enfin attention quand même, ça fout aussi les boules si tu captes les paroles). C’est déjà pas si mal pour un CD. Tracklist de F.E.A.R. :
01. El Dorado I. Long-shadowed Sun 02. El Dorado II. The Gold 03. El Dorado III. Demolished Lives 04. El Dorado IV. FEAR 05. El Dorado V. The Grandchildren Of Apes 06. Living In Fear 07. The Leavers I. Wake Up In Music 08. The Leavers II. The Remainers 09. The Leavers III. Vapour Trails In The Sky 10. The Leavers IV. The Jumble Of Days 11. The Leavers V. One Tonight 12. White Paper 13. The New Kings I. Fuck Everyone And Run 14. The New Kings II. Russia’s Locked Doors 15. The New Kings III. A Scary Sky 16. The New Kings IV. Why Is Nothing Ever True 17. Tomorrow’s New Country
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