Ah, la campagne... ce véritable paradis pour nous et nos amis citadins en quête de retour à la nature. On nous l’avait promis dans le monde d’après, que l’humanité retrouverait les racines de la terre originelle. Et bien les voici, débarquant fraichement, ces nouveaux voisins ! Ceux-là mêmes qui vont vouloir s’intégrer quoi qu’il en coûte, nos très chers "néo ruraux" venus avec leurs idéaux verts et leurs vélos en bambou certifié crit’air zéro. On les reconnaitrait à des kilomètres : ils ont le teint frais et l’énergie des citadins revitalisés et, bien sûr, la ferme urbaine portative sous le bras. Leur projet ? Repeupler la campagne avec des concepts "100 % bio", du "circuit ultracourt", du bac à compost en forme de lotus, qui vont changer le monde et purifier toute la planète. Dans leurs bagages tout l’attirail de leur belle entreprise, un chien débile, mais pas de flopée de gosses, juste un petit couple, ce monde est bien trop peu sûr pour les gosses, des robes à fleurs tout de même sexy, des plants de tomates bio ridiculement chétifs, des ciseaux pour fignoler la tonte de la pelouse... et ainsi éviter de rompre les fesses du lombric, artisan infatigable de notre chère biodiversité. Tout remplis de rêves et de certitudes touchantes, comme nous éduquer sur les bienfaits des tomates cultivées à la main et arrosées au jus d’ortie ou initier les rustres du coin à la méditation, prêts à imposer tout cela à tous car enfin délestés de leur pollution, de leur stress, de leurs relations toxiques, laissés sur un trottoir, abandonnés dans une ville froide et plus humaine pour un sou.
Nous, les villageois, les vrais, les purs, déjà implantés depuis quelques décennies ou depuis toujours (on compte au minimum 10 générations, pour toujours), qui permettent à nous donner toute suffisance et toute puissance, on les accueille avec la courtoisie locale, c’est-à-dire un peu comme on accueille une invasion d’idées nouvelles : avec circonspection, un air fier (plus précisément arrogant), et un soupçon de moquerie. Le Gégé, notre paysan bourru, est déjà au bord de l’implosion rien qu’à l’idée que ces braves gens pourraient le chopper en train d’étendre ses précieux fonds de Rondup, conservés comme trésor à l’insu de l’humanité écologiste, entre les choux et les betteraves. Il est inquiet à l’idée de faire face à leurs ambitions de changer le monde. Ils se sont autoproclamés protecteurs du bocage, évangélistes du compost et militants du retour aux sources pures. Le gars ne souhaite pas leur abandonner le terrain chèrement bataillé au fil des générations d’agriculteurs. Moi de mon côté j’attends paisiblement d’œuvrer à ma manière, en observant de loin, car patience sera probablement creuset d’une belle fable rurale.
L’alliciant jeune homme et la délicieuse jeune blonde fraichement installés dans leurs mobiliers rotin et carton, entreprennent dès le premier weekend de fêter leur installation par la traditionnelle crémaillère, pas si traditionnellement que ça d’ailleurs. On les observe organiser avec leurs amis, une "ronde du silence" autour de la chapelle du village, une espèce de danse mystique, censée appeler la nature à se rééquilibrer et à se débarrasser des ondes négatives, se connecter à la terre tout en murmurant des vœux de paix cosmique, pendant que le curé Pasdeculott, pourtant connu pour son sens de la dévotion, en est réduit à ne plus trop sonner fortement la messe, histoire de ne pas troubler la zénitude locale et les nouveaux ordres établis.
Mais voilà, personne n’avait prévu que Marguerite, la vache du Gégé, serait d’humeur à beugler ses opinions bien senties en plein milieu de la cérémonie mystico-zen. Et le Gégé, himself, fidèle à sa coutume, décide de démarrer son tracteur antédiluvien toussant nuages de fuel lourd, histoire d’aller remuer ses champs. Un spectacle magnifique : nos néo-combattants écolo menants grande danse, tout ça à vingt mètres de ma maison ... Bien sûr, je n’allais pas laisser passer une occasion pareille de m’associer à cette festivité champêtre. Les planètes ne s’alignant que trop rarement, cette scène touchante me donne l’envie viscérale d’y participer à ma manière et de pousser le volume sur les enceintes de ma grotte à GMA (Grosses Musiques Assourdissantes), à fond ou presque.
Armé de ma nouvelle trouvaille musicale, le dernier In Aphelion, je me dis qu’un bon The Fields In Nadir ferait un parfait fond sonore pour ce grand ballet rural bien trop silencieux à mon gout. L’intro ténébreuse résonne à travers mon garage-auditorium et se disperse à travers les jardins du voisinage, une pas douce mélodie qui s’insinue dans leurs âmes éco-responsables. Juste ce qu’il faut pour les ramener à la réalité. Ainsi fait, entre Marguerite, le super Gégé et ma galette maléfique, Reaperdawn, le doux murmure de la terre se transforme rapidement en un délicieux orchestre cacophonique. Le pied !
Alors que les premières notes de Reaperdawn montent en puissance, je les imagine déjà repenser leur choix de s’installer ici, entourés de tous ces c.ns. Ce morceau, avec sa montée en intensité, est comme une révolte musicale contre un ordre harmonieux et silencieux que pourrait prôner tout néo-combattant éco-responsable. Un pur délice pour mes oreilles.
Et puis, vient le grand final, A Winter Moon’s Gleam, un chef-d’œuvre glacé, qui souffle tel un blizzard hurlant sur cette utopie verte. Je n’ai même plus besoin de scruter l’effet du coin de l’œil. En moins de temps qu’il faut pour écrire chronique, mes ex-nouveaux futurs amis, donc pas, sont déjà en train de grimper sur leurs vélos en bambou, fuyant vers des horizons plus calmes, où l’écho de la vraie vie rurale ne les rattrapera pas.
Leur ronde du silence a pris fin, emportée par la vague glaciale du métal extrême. J’irai prochainement les inviter à déguster une bière bio-locale histoire de me faire pardonner, car fable rurale ne pourrait être méprisante. Il faut dépenser notre mépris avec moult économies, au regard du grand nombre de nécessiteux ...
Quant à nous, stupides et indécrottables ruraux ... Je me délecte de notre solitude retrouvée. Notre vieux curé pourra recommencer à sonner messe tonitruante en montrant séant, Marguerite développera son sale caractère et continuera à meugler contre son monde mouche, et surtout notre Gégé reprendra son tracteur fier comme ne le sont plus nos pauvres préposés de la poste. La récolte des carottes s’annonce prometteuse avec cette pluie incessante et surtout grâce à l’apport des engrais musclés de nouvelles générations, Aghori et et They Fell Under Blakened Skies. De ceux qui pourraient également accélérer la pousse de votre capillarité déjà foisonnante. Reaperdawn, un concentré vitaminé et bourré d’inventivités qui ratera encore le cœur cette fois-ci, de peu, car même s’il apporte au groupe, une constance intraitable sur l’ensemble des pistes, il manque un ou deux morceaux me rendant toc toc.
Eh oui, la campagne... c’est si paisible, avec ses animaux domestiques appelés mouches, ses senteurs de bougie bouses de vache, son cartel de cloches sonnantes et trébuchantes ... on comprend que cela leur manquera bientôt quand ils plaqueront tout pour rentrer daredare en ville...
Reaperdawn, un album merveilleux, pas si simple à négocier, comme une nouvelle vie à la campagne. Notre curé Pasdeculott, m’indique son assentiment par un charmant clin d’œil complice.
Tracklist de Reaperdawn :
01. The Fields in Nadir 02. A Winter Moon’s Gleam 03. When All Stellar Light Is Lost 04. The Darkening 05. They Fell Under Blackened Skies 06. Further from the Sun 07. Reaperdawn 08. Aghori