Evacuons d’entrée ce point, David Gilmour n’a a priori pas sa place sur notre auguste site. C’est juste. Oui mais voilà, étant grand fan (euphémisme), j’avoue me faire plaisir. Néanmoins, au-delà de cette madeleine personnelle, le sieur ne me semble pas si illégitime en ces pages tant il a influencé nombre de musiciens de notre style (à peu près toute la scène progressive des quatre cinq dernières décennies pourrait-on dire en forçant le trait). Et je me rappelle avoir lu des articles sur l’influence majeure de Pink Floyd dans un Hard Rock Magazine de mon adolescence (de mémoire un article sur les disques dotés de grands solos de guitare). Au passage, succès aidant, notre style s’est un peu refermé sur lui-même car il paraîtrait désormais impensable de voir de tels papiers ce qui est un peu dommage car quoiqu’on en pense, voilà un groupe qui a sorti des disques référentiels (ils ne sont pas les seuls à bénéficier de ce statut bien sûr) et qui bénéficient d’un statut culte.
David Gilmour avait rejoint Pink Floyd en décembre 1967 pour pallier à la défaillance croissante d’un Syd Barrett consumé alors par un excès de drogues, miroir sombre d’une époque par ailleurs très créative et ange noir du groupe laissant des musiciens culpabiliser d’avoir laissé en route l’un des leurs (leader créatif des premiers disques du groupe qui plus est). Son association avec cet autre surdoué (mais au caractère terriblement compliqué) Roger Waters fit de multiples étincelles avec la production de disques de légende bien aidées par Nick Mason et Richard Wright (Dark Side Of the Moon, Wish You Were Here, The Wall pour ne citer que les plus réputés). Et ce au prix d’un rapport de forces permanent entre ces deux gentlemen typiquement anglais qui offrit deux facettes merveilleuses au groupe entre une face planante (Gilmour) et une autre plus tourmentée, sombre (Waters). La décennie 70’s fut d’une qualité inouïe pour le groupe anglais alors au sommet de sa créativité et popularité. Le clash post-The Wall, ce disque gigantesque égo-trip de Waters, était de fait inévitable. Ce premier grand procès entre musiciens se disputant le nom du groupe fit surtout le bonheur des avocats bien heureux de pouvoir capitaliser sur les états d’âmes et crises d’ego des deux protagonistes. Aussi sur ce point, Pink Floyd fut déjà précurseur. Les années passant, les tensions se sont naturellement apaisées même s’il s’était dit que les deux s’étaient de nouveau « accrochés » lors de la réunion exceptionnelle du live 8 en 2005. On ne se refait pas. David Gilmour avait entre-temps repris la main sur Pink Floyd avec A Momentary Lapse Of Reason (à la production très 80’s) et surtout l’exceptionnel Division Bell et son inoubliable High Hopes. Deux disques incroyables qui ont très bien marché malgré des critiques un peu réservées sur le classicisme proposé mais qui ont surtout permis de prestigieuses (et lucratives !) tournées à une époque où le grandiloquent était à la mode.
Le décès de l’exceptionnel Richard Wright (2008) ainsi que la retraite d’un Nick Mason profitant à raison de la vie a poussé David Gilmour à continuer en solo, et ce, à son rythme (même s’il convient de préciser qu’il avait déjà produit deux disques sous son nom en 1978 et 1984, autre époque). Le très sympathique On An Island (2006) puis Rattle Than Lock (2015) offraient un David Gilmour forcément plus âgé avec une musique posée, tranquille, une pop classieuse, assez typique de son style et lui permettant de poser ses fameux solos, sa signature avec sa fameuse Stratocaster. On y retrouve ce son si particulier, ce toucher des cordes si personnel. En sortant un album par décennie, David Gilmour prend son temps et c’est d’ailleurs ce thème éternel (forcément !) qui est au cœur de ce disque dont les textes sont toujours écrits par sa femme Polly Samson, collaboratrice depuis quatre décennies. Puisque j’en suis à aborder le sujet familial, un des très grands moments de ce Luck & Strange reste la participation de sa fille Romany chantant Between Two Points. Il s’agit ici d’une reprise (des Montgolfier Brothers) et la voix de Romany est juste épatante. Le titre est très émouvant, la famille Gilmour y rayonne de mille feux. David Gilmour a désormais sa formule en solo très balisée, ça prend son temps, c’est posé et les solos constituent les climax des morceaux. Pour qui est fan de son jeu, de ce son si cristallin, chaque nouveau solo est un bonheur. D’autres n’y verront rien de novateur mais à son âge, David Gilmour ne se réinventera plus et continue de donner à son public ce qu’il attend. Après tout, des AC/DC, Rammstein ne font pas autre chose et c’est très bien ainsi. Aux jeunes groupes de proposer de la nouveauté et de la créativité (et il y en a). On sait aussi que Gilmour se retrouve aussi parfois (malgré lui) dans un débat entre tenants d’un jeu émotionnel et d’autres plus sur la technique opposant parfois les deux aspects, Gilmour incarnant évidemment la première catégorie. Débat un peu stérile tant l’émotion peut bien sûr s’obtenir malgré la vitesse. Preuve s’il en est que David Gilmour reste une référence majeure chez les guitaristes ce qui n’est pas rien car il y a du sacré beau monde.
L’événement de ce Luck & Strange c’est que David Gilmour n’est pas à la retraite et c’est juste génial. Le guitariste en profite aussi pour rendre encore un hommage au regretté Richard Wright, son alter égo dont le dialogue musical fit les grandes heures du Floyd (culminant dans un moment de grâce dans l’amphithéâtre de Pompéi en 1971 vidéo à voir ABSOLUMENT) en réutilisant des pistes de clavier enregistrés par Richard Wright en 2007 et intégré au titre éponyme de ce nouvel album. Magnifique dédicace. Ce Luck & Strange c’est aussi pour les fans l’occasion de profiter d’une légende, un vrai plaisir couplé à un peu de nostalgie, sentiment à utiliser avec parcimonie mais vu l’époque, une petite dose ne fait pas de mal. Au-delà de se repencher sur une discographie délirante de qualité, sur l’influence majeure d’un musicien d’exception, nous avons là un bon disque, apaisé et apaisant, calme et qualitatif avec une bonne ambiance aussi élégante que l’image qu’on se fait de l’homme. Et vraiment, ce titre avec sa fille est un joyau très réussi en plus d’être, on le devine, un bonheur intime pour cet artiste qui n’a plus rien à prouver. Un dinosaure du rock encore en activité, ça fait du bien et la musique de Gilmour a quelque chose de rassurante, un sentiment de plénitude et d’éternité qu’il aura su si bien toucher de ses doigts magiques. Un disque merveilleusement anachronique, d’un autre Temps, notion dont il a toujours su s’affranchir avec une élégance infinie. Un des derniers géants, profitons-en.