Interview Abel
Salut Abel, Peux-tu nous présenter ton label Head Records ?Salut Fabrice, merci pour l’invitation. J’ai d’abord créé l’association Head Records pour organiser des concerts à Montpellier en 2003. A mes yeux il n’y avait pas assez de concerts de noise et de hardcore à Montpellier. Mon objectif était aussi de faire des échanges avec d’autres formations dans d’autres villes pour partir jouer plus loin avec mon groupe. J’ai donc fait jouer au début les français de 8NOP8, Superstatic Revolution, Burn Hollywood Burn, Judoboy et puis je me suis pris au jeu et j’ai fait jouer des étrangers : Jairus (UK), Keelhaul (USA), Anodine (USA), Pelican (USA) … C’est en 2006 que j’ai commencé à produire des disques. En 2004 j’avais trouvé deux labels en France : Basement Apes Industries et Radar Swarm, et deux labels au Etats-Unis : Sedition Records et Spacement Records pour produire l’album de mon groupe Spinning Heads. J’étais remonté bloc, j’avais dit à des amis de Montpellier : Goodbye Diana que je leur trouverai un label. Je n’ai rien trouvé. J’ai donc monté un label. Tu vois, je me pose pas trop de question. Parles-nous de ton parcours personnel et professionnelJ’ai compris vers mes douze ans quand j’ai découvert AC/DC que la musique serait importante dans ma vie. L’énergie dégagée m’a scotché direct, je devais faire partie de ce truc. J’ai un peu fouillé et j’ai découvert Iron Maiden, Motorhead, Metallica. En 1992 c’est la grosse claque, Nirvana, Soundgarden, Alice In Chains, Rage Against The Machine, Sonic Youth … Je laisse tomber le métal à je me mets au punk, à la noise, au hardcore. A 15 ans j’ai acheté une basse et je me suis mis à chanter dans les Spinning Heads. Je n’ai jamais fait d’étude, mais j’ai eu la chance d’être disquaire chez Gibert à Montpellier pendant trois ans, j’ai rencontré les musiciens de la ville et ça m’a aidé à organiser des concerts. J’ai bossé pour différents petits bars concerts et puis Rude Awakening, une asso de musique improvisée m’a embauché pour faire la communication et la promo. Cela m’a aidé à me professionnaliser et depuis lors, je travaille dans la musique. Faire la promo, organiser des concerts, des tournées, sortir des disques et faire du management d’artiste est devenu mon travail. Ça fait quelques années que c’est Head Records qui me fait vivre, c’est une belle victoire personnelle et une belle aventure quand je regarde dans le rétroviseur. Comment es-tu devenu gérant de label ? Qu’est-ce qui t’a motivé ?C’est vraiment à cause de Goodbye Diana, le groupe de math rock instrumental de Montpellier que j’ai monté le label. Je chauffais Fred de Basement Apes Industries pour sortir leur disque. J’étais un peu présent à ces côtés pour le label. Il a refusé au début. Alors j’ai monté le label. A Montpellier à ce moment-là il y avait une belle émulation avec les Marvin, Shub. Les Marvin avaient organisé un concert pour la fête de la musique : la fête de la noise. Et Goodbye Diana avait fait un super concert, ce groupe devait faire plus. On l’a fait ensemble. Par la suite, je leur ai monté des tournées, on a eu de supers retours direct, sur le groupe, le label. On faisait de belles choses, il fallait continuer. Quelles sont les qualités requises pour être gérant de label ?Je pense qu’il ne faut pas avoir peur de bosser. De mon côté j’ai toujours été obligé de tout faire, la promo, l’administration, la compta. Il faut être méga motivé, à une époque je bossais la journée sur le label et le soir j’organisais des concerts, le lendemain matin je retourné au bureau pour taffer encore. Mais comme j’adorais ce que j’étais en train de construire, ce que j’étais en train de faire et que les résultats étaient là, cela ne me posais aucun problème. Je me tuais à la tâche, j’étais OK et j’en redemandais. Aujourd’hui j’ai deux enfants de 13 et 15 ans, je travaille un peu moins mais la motivation est toujours là. Le label a également un shop à Montpellier c’est bien ça ?En fait je gère des bureaux partagés à Montpellier, c’est pas vraiment un shop mais les gens peuvent passer acheter des disques. Le plus gros du travail est en ligne. On vend sur Discogs et sur notre site directement. Avant on était présent sur de grosses plateformes internationales de E-commerce, mais j’avais l’impression de travailler pour eux, j’ai arrêté. A une époque je n’arrivais plus à trouver les disques que je voulais acheter, je me suis mis à les acheter en gros à l’étranger et à les revendre. Combien de groupes ont été référencés sur le label ? Quel est le meilleur succès commercial ?Cette année on a sorti la 65ème référence du label. Certains groupes ont sorti plusieurs albums comme Pneu, Mudweiser, Microfilm, Nwar, Morse, Verdun, Mosca Violenta … Je pense que le disque qu’on a le mieux vendu est Highway To Health de Pneu. C’était une bonne période car on vendait encore du CD et le vinyle commençait à revenir en force. Et puis le groupe tournait beaucoup, Kongfuzi Booking bossait avec nous sur le groupe, notre distributeur Français Season Of Mist bossait bien. La presse musicale existait encore, internet explosait. Aujourd’hui tout a changé, Facebook a tué la presse musicale, mon distributeur me dit que maintenant c’est le modèle direct qui fonctionne le mieux et les groupes galèrent à monter des tournées. On doit payer facebook pour avoir un post visible et se démerder à entrer dans des playlists. Heureusement les IA vont nous aider à mettre de l’ordre dans tout ça ! Ha Ha ! Comment choisis-tu les groupes qui rejoignent Head Records ? Tu vas chercher certains groupes pour leur proposer ton aide ou ce sont toujours des candidatures des groupes ?Beaucoup, beaucoup de groupes m’écrivent, j’ai même du mal à répondre à chacun. Il faudrait que j’ai le temps d’aller chercher les groupes, ça serait sûrement plus porteur, mais je subis trop souvent, j’ai rarement le temps de lever la tête du guidon. C’est bien dommage il me semble. On pourrait faire tellement plus avec plus de temps. Comment juges-tu la scène locale à Montpellier ? Tu as des groupes à conseiller à nos lecteurs ? Ça fait vingt ans que je me considère comme un acteur de la scène musicale de Montpellier. J’ai vu les choses évoluer, de super groupe arriver. En ce moment c’est un peu étrange, la situation post-covid est pas facile facile, mais je suis sûr que les années qui arrivent vont nous offrir plein de belles choses. Tu vois au début 2000 on avait quelques beaux lieux pour faire des concerts, le Black Sheep, le Mojomatic, l’Up & Down, la Méchante Bête. Du coup on a vu une scène noise exploser : Marvin, Shub, Goodbye Diana. Dans les années 2010, la musique se durcit un peu et c’est Verdun, Morse, Stuntman qui font des tournées en France et à l’étranger. Aujourd’hui le punk et le garage s’exportent avec Les Lullies, The Silly Walks. Mais on a pas mal d’autres groupes qui ont fait pleins de choses, Les Grys Grys (rock 60’), Le Skeleton Band (indie blues folk). Il y a des jeunes qui montent, pas assez sûrement, je pense à Loons (noise rock) par exemple. Mais la chance qu’on a avait ces quinze dernières années c’est vraiment les petits clubs qui nous ont permis de construire des choses, de construire des scènes, des amitiés. J’ai peur que ça manque dans le futur. Et sur Head Records, quels groupes découvertes tu peux nous conseiller ?Le groupe à découvrir en ce moment sur Head Records pour moi c’est Nwar. Leur dernier album Beyond the Sun est une vraie claque de sludge instrumental. Ce disque sonne la mort ! Et sur scène, ce duo est vraiment monumental. Leurs derniers concerts à Victoire 2 et au Rockstore étaient juste énormes. Laurent fait gueuler sa guitare, tout en maitrise, un sludge math rock articulé par Nico à la batterie. Il a un jeu tellement personnel, au fond du temps et ça rends leur musique unique dans le paysage musical français. Un disque immanquable pour les fans de métal moderne. Quelles sont les prochaines sorties à venir du label ?Cette année c’était les vingt ans de Head Records. J’ai beaucoup sorti de disques, un peu trop peut-être. Je vais donc me calmer sur les prochains mois, mais on commence à imaginer le prochain Loons, le prochain Pneu. Rien n’est encore fixé comme agenda mais on en parle. Parmi les prochaines sorties, il y a la réédition, ou plutôt la première édition en double vinyle du seul album mythique de Shovel, le groupe post hardcore Suisse. Cette tendance de réédition ou de première sortie en format vinyle est de plus en plus courante. Tu crois que cela va continuer ?J’ai commencé à ressortir des disques qui m’ont marqués en 2016 avec la sortie en vinyle du dernier album de Drive Blind, Be A Vegetable, il avait vingt ans et jamais sorti en vinyle. Cela a super bien marché : gros retours de la presse, les ventes suivent. J’ai donc continué avec Shora, Knut, les premiers Drive Blind. Et puis comme tu dis le Shovel. Pour Shovel c’est Mickael Archaimbault du jeune label Ma Saret Records qui m’a contacté pour qu’on bosse ensemble dessus. Tu me demandes si ça va continuer, pour le moment je n’en sais rien. Head Records organise également des concerts, tu peux nous en parler ? Quelles sont les prochaines affiches ?J’ai organisé des concerts pendant vingt ans à Montpellier. J’ai eu la chance de faire la programmation dans la meilleure petite salle de la ville : The Black Sheep. Malheureusement, on a pris une fermeture à cause d’une mise aux normes qui est bloqué par le syndic de co-pro. On devrait ajouter une sortie de secours mais on n'y arrive pas. J’ai organisé Elder / Pallebearer et puis Unsane au Rockstore, ça manquait un peu de public. Heureusement les vingt ans de Head Records m’ont remonté à bloc, on a bien rempli la salle. Merci aux groupes et au public d’ailleurs. Mais je pense qu’on est à un moment charnière et je préfère prendre du temps pour imaginer la suite à ce niveau-là. Cet exercice post-covid est compliqué : trop d’offres, une partie du public a changé ses habitudes, c’est compliqué d’aller chercher les plus jeunes. Si tu devais choisir un groupe pour travailler avec sur le label tu choisirais qui ?En ce moment j’écoute beaucoup le dernier Sunrot (doom métal) sur Prostetic. Alors je te dirais que dernièrement je me suis dit qu’il faudrait leur proposer un split avec Verdun. J’écoute aussi beaucoup Karate (indie noise rock 90’), j’aurais beaucoup aimé ressortir leur discographie, mais Numero Group l’a fait. Mais peut être que si je pouvais choisir je prendrais un truc totalement irréalisable : Neurosis de Time Of Grace, Shellac de Action Park, Jesus Lizard de Goat, Converge de Jane Doe, Botch de We Are The Romance. On peut toujours rêver, non ? Quels sont les labels dont tu as apprécié sortir des albums en co productions ? Et quels sont tes labels préférés en terme de goûts musicaux ou pour leur professionnalisme ?C’est avec Fred de Basement Apes Industries que je me suis le plus éclaté. C’était au début, on avait plein de choses à construire et Fred était un bosseur comme moi, on pouvait retourner des montagnes ensemble. Après, de façon générale c’est assez la purge les co-prod. Je préfère sortir des disques seuls, je maitrise tout, et c’est plus simple. J’ai toujours apprécié le travail de Relapse Records, identité, politique, communication, c’est toujours une référence pour moi. Dans les années 2000 c’est Hydra Head Records qui a tout chamboulé à mes yeux. Aujourd’hui Sargent House travaille bien même si leurs disques sont trop chers. Comment aimerais-tu que le label évolue dans les années à venir ?Je souhaiterai simplement que les gens en France achètent un peu plus de disques. Ça aiderait les labels à produire, à embaucher, à prendre des risques. C’est pas nouveau, on fait tous ce constat depuis longtemps. Pour finir je te laisse le mot de la fin.Tu l’as compris Head Records a vingt ans cette année. Alors je voudrais simplement remercier les musiciens avec qui j’ai travaillé, les gens qui suivent mon travail, les journalistes que j’ai rencontré depuis toutes ces années, les institutions qui ont financés certains de mes projets et surtout ceux qui achètent nos disques et qui viennent à nos concerts. C’est grâce à eux que Head Records à 20 ans.
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