Jour 1 : Mission pas possible Me voilà arrivé avec célérité et tout cravaté de frais, au siège de la Pacification générale. Le Grand Pacificateur vient de m'y convoquer, entouré, pour ne pas dire protégé, par sa garde prétorienne, sensiblement comme si l'on me considérait dangereux. Alors comprenant que torchon pourrait bruler fort, je tentais de me remémorer mes dernières dérives : La chronique du dernier Dragonforce, la moquerie concernant l'arrivée des Metalos-bobos au Hellfest, mon humour acide aux dépens des camarades chroniqueurs ... il est vrai qu'il existe matière à réprimandes. D'habitude l'ambiance générale ne souffre d'aucune trépidation ou d'agacement, pourtant je perçois des attitudes moins modérées, moins diplomates, moins empathiques, moins consensuelles ... pour tout dire très électriques.
Le Grand Pacificateur (LGP) : Mon cher Diable Bleu, vous n'êtes pas sans savoir que l'heure est grave. DB (Diable Bleu), l'air toujours ahuri : Bonjour Monsieur le Grand Pacificateur, je ne sais lequel choisir, car les sujets ne manquent pas ... l'absence de gouvernement en France, ou bien alors la candidature de dame Ségolène, notre Pacificatrice en cheffe des pôles, et rappelée en sauveuse de la France ... LGP : Il suffit le Diable Bleu, voilà pourquoi vous êtes ici, votre humour débile qui vous a joué de nombreux tours ne peut être contenu malgré toutes nos précieuses attentions. Voici votre dernière chance de prolonger ou d'écourter votre participation à la grande œuvre de la Pacification mondiale. En fait je ne vous en veux pas trop, car j'aime la liberté, mais votre liberté de ton prône trop souvent indélicatesse et impolitesse. Je vais vous missionner tout seul au centre d'un univers dans lequel vous ne trouverez point de refuge dans l'humour. Vous allez adorer ou pas ... DB : Puis je vous demander une simple faveur ? LGP : Faites ! DB : Pourrais-je être accompagné d'un camarade du genre le Ced12 ou d'un autre de votre obédience. LGP : Il n'en est sérieusement pas question, car dans ces conditions vos camarades agiraient sur vous à l'instar d'un catalyseur. Et tout empirerait tragiquement et inéluctablement. Le sujet est clôt, cependant je vous promets une surprise tout de même. Rentrons plutôt dans le vif du dossier. Tendu par le Grand Pédagogue, que je n'avais pas encore remarqué, ou plus exactement balancé juste devant moi en affichant un regard narquois, celui-ci semblait jubiler intérieurement comme Teddy Riner savourant déjà victoire devant sa nouvelle proie. Le Pacificateur Pédagogue, vous le connaissez bien, armé de son inséparable stylo rouge, il décime des hordes de fautes d'Authaugraffe. Pas vraiment rigolo le type, mais indispensable au fonctionnement d'une grande administration de ce niveau. Il lui apporte la touche indispensable en matière de charte graphique, de cohérence éditoriale, de rigueur intellectuelle, etc... LGP : Connaissez-vous les Iles Tuvalu (l'on prononce Toutvalou pas toutvamal), iles paradisiaques du Pacifique qui sombrent inexorablement sous les eaux de l'océan et à qui nous devrons bientôt apporter aides et refuges. Cette atrocité doit être connue du plus grand monde. Je vous en charge indirectement, car il n'est pas question que vous alliez vous faire dorer l'appareil photo entouré de Vahinés conciliantes, vous traiterez les réfugiés climatiques de Suisse à l'instar de ceux des Tuvalu. DB plus ahuri que jamais : je ne connaissais pas cette nouvelle alarmante. LGP : Vous aimez la foule, la boue, les conditions climatiques atroces, l'hygiène perfectible ... vous allez regretter Tuvalu. Bon voyage Diable Bleu, et ne me décevez pas une fois de plus.
Le Pacificateur Pédagogue maintenant aux Anges, me délivrent les titres Ouigo de 2e classe pour ma future destination de no-rêve, qu'il aille au Diable plutôt. Inconfortablement installé dans mon Oui-no-go, entre un chien aux senteurs de serpillière mal rincée et une valise monstrueuse que l'on dirait diplomatique, je parcourais ainsi le Dossier brulant. Ben oui, chères lectrices et chers lecteurs, l'heure est grave. Tandis que les habitants des iles Tuvalu, ces joyaux du Pacifique, luttent contre la montée des océans, un autre drame, plus sournois, se déroule dans l'ombre des Alpes. Les fest-estivaliers de métal, survivants d'une apocalypse sonore imminente, affluent comme des hordes de réfugiés climatiques. Ces derniers, ayant fui les terres des plaines de l'ouest, du nord et de l'est brulées par la chaleur, les décibels et les riffs endiablés, cherchent désormais asile dans ces terres bénites et neutres, entre lac Léman et crêtes enneigées.
Me voilà vite sur place, à l'occasion d'une nuit sans étoiles, une de celles où les montagnes suisses semblent se refermer comme les mâchoires d'un dragon. Un orage de 20 minutes aux grondements démesurés, l’accueil digne d'un roi, je sens que je vais adorer en effet. C'est dans ce décor inquiétant que le Grand Pacificateur, entre deux gorgées de vin de messe et une tirade sur l'apocalypse imminente, avait décidé de m'envoyer en mission. Me voici donc au cœur de la meule de Gruyère, destination le pays des ONG, cette Suisse que l'on connait pour ses montagnes, ses banques, ses chocolats, et... maintenant ses réfugiés climatiques du métal. Mon périple débute véritablement à l'aube, au bord d'un lac qui, d'après les légendes locales, se remplit chaque été des larmes des fans de métal en quête de rédemption. Ici, au Rock The Lakes, point de palmiers sous lesquels se réfugier, point d'ombres, seulement des tentes de fortune érigées par des ONG spécialisées : les Médecins Sans Front Quiès, la Croix Noire Métallique, et bien sûr les fameux Restos du Cœur de Métal, toujours prêts à servir charcuteries sur un ragout de fromage et patates aux ventres affamés.
Les survivants que je rencontre sont d'une espèce rare. L'un d'eux, appelé Grégor12, ancien habitant d'une vallée proche Bavière, me raconte son calvaire. « C'était un soir comme un autre, le tonnerre grondait au Summer-breeze, la pluie s'abattait en trombe et les amplis hurlaient à la mort. J'ai senti la terre trembler sous mes pieds, mais ce n'étaient pas des séismes, c'étaient les basses d'un groupe de Death Metal. Il n'y avait plus d'espoir. Alors j'ai pris la fuite malgré ma fatigue prononcée.» Aujourd'hui, Grégor12 survit tant bien que mal, isolé sur les rives du lac, tentant de retrouver une vie paisible, loin des distorsions destructrices et des conditions climatiques extrêmes.
À mesure que je progresse dans mon reportage, la réalité me frappe comme un solo de guitare mal accordée. Le camp Rock The Lakes n'est pas seulement un fest-tribal, c'est une terre d'asile pour ces réfugiés climatiques du métal. Ici, les amplis sont tenus à distance raisonnable, les décibels sont surveillés de près par une coalition d'ONG, de médecin de toutes sortes et les festivaliers peuvent enfin respirer, se reconstruire, sans craindre des retombées sonores toxiques.
Profitant d'un peu de temps libre, je me risquais vers la zone où l'on délivre des activités culturelles pour le bien être des réfugiés métalliques. C'est ainsi que je me retrouvais devant une des deux grandes scènes sur laquelle Insomnium doit œuvrer et lancer cette première journée prometteuse. Pour mieux suivre ce reportage, je vais appliquer une des méthodes pédagogiques qui ont fait la légende de notre Pacificateur Pédagogue. C'est très simple, plus le bénéficiaire reçoit des images, plus il est méritant. Donc pour connaitre la note du groupe, il suffit d'en compter les photos ... en suivant ce lien..... Lien photos jour 1 Facile, voyez-vous, nous avons tous beaucoup à apprendre des méthodes de notre Pacificateur Pédagogue. Insomnium
Lien photo report La très grosse claque et ce dés le premier jour, dès le premier groupe ! Je devrais faire pour une fois dans l'exhaustif, tellement le show pourrait se résumer à cela. Je vais bien évidemment développer les raisons du pourquoi de ce clac sur fessier rebondi ou pas. Avant toute chose le son est énormissime, léché à souhait, puissamment métallique également, il est la signature du groupe et associé à la rigueur technique des trois guitaristes, ceux-ci formalisent maintenant les fondations du groupe en live. Insomnium offre depuis cinq années des prestations qui ne cessent de s'améliorer. La première tête d'affiche de la première journée est montée sur scène avec étincelles et fougue. Insomnium est accueilli avec des acclamations et des applaudissements chaleureux émanant d'un public nourri. Une seule petite année s'est écoulée depuis notre dernier concert (Graspop 2023) et ils nous ont beaucoup manqué. Les gutturales saisissantes du leader Niilo Sevanen hurlent avec une urgence sincère et un enthousiasme résolu. Les cordes du guitariste Markus Vanhala nous enchantent avec une vive intensité, nous embarquant loin dans l'univers du groupe. Chaque partie a été envoyée d'une manière qui colle parfaitement au son sombre, grave et puissant du groupe. Les voix sont justes, les instruments sont en accord avec les intentions évidentes de puissance, la démonstration semble si simple et pure. Au final, ce sont huit chansons jouées de manière magistrale et évidemment cela ne semblait pas assez. Énorme prestation du groupe qui a encore repoussé l'équilibre entre la puissance musicale et le finesse de leurs compositions. Master Band en live, le groupe de la journée et peut être également du fest-ival, on en reparlera au bilan. Avec ses compositions mélodiques, riches et variées, Insomnium a embarqué son public dans un voyage acoustique immersif qui ne possède qu'un seul et unique défaut ... trop court ! Vraiment trop court. A froid, et de cette manière, le fest est lancé et très bien lancé. Amaranthe Comment décrire objectivement les faits alors que l'on se demande pourquoi on plante là, sous 30 degrés et sans ombre ? Résumons cette description à ce lapidaire : "Quand trois chanteurs (une dame et deux hommes) n'arrivent pas à mieux faire qu'un seul et bon vocaliste...". Voilà tout est dit, les chants sont forcés, un rien agaçants par moment, brouillons sur la majorité de la prestation scénique. Pourtant le public en bon nombre apprécie et répond parfaitement aux sollicitations du groupe. Ce groupe archétype des meilleurs fests attire le public familial comme on trouve souvent en Allemagne. De par son côté fest-if, il sort son épingle du jeu. Exodus
Lien Photo Report Groupe mythique, donc vieux, tirant un Thrash outrancier que l'on apprécie ou pas. Ce n'est pas ma came, mais ma foi (mauvaise comme souvent) a vacillé sur ce set. Pour un fan du genre, son panard, il me parait absolument impossible qu'il ne puisse pas le prendre pendant cette bonne heure de thrash. Tout d'abord parce que la setlist est une pépite. Pas de ballades ici, pas de slow, pas même un p’tit mid-tempo pour se calmer. Non que nenni, que de la violence. Exodus enchaine les morceaux à coup de marteaux lourds et vifs. Setlist au top, donc, et zicos aussi. Fidèles à ses origines les musiciens d'Exodus confortent leurs fans (vieux dans l'ensemble) grâce à un job maitrisé de bout en bout et ce sans aucune fioriture ni artifice de filous. Lionheart
Lien Photo Report Quelle belle découverte sur scène, à la fois d'un style le Beatdown et d'un groupe dont je n'avais jamais entendu parler. Ce groupe finalement assez ancien (deux décennies) développe une énergie incroyable très communicative. Les musiciens assurent grave sans en faire des tonnes. Un show simple qui percute son auditoire. Un groupe dont la prestation a toute sa place dans un fest de qualité. Rise of the North Star Quand la purge musicale frise la honte. Musicalement, scéniquement, visuellement c'est mauvais. Du coup hop, pas d'image, non, mais. Amorphis
Lien Photo Report Version grande Classe avec un son énorme et balancé, qu'il est bon de les revoir dans de meilleures conditions que lors du Hellfest 2024. C'est pour cela que je les attendais de pied ferme pour me convaincre une ultime fois de l'apport de ce groupe sur la scène Death Melo haut de gamme. Amorphis déchire grave et parvient à conquérir son auditoire dès le premier morceau. Le show est excellent, maitrisé sans doute à l'excès, mais j'avoue apprécier leur rigueur technique. Le travail sur les voix est remarquable et rarement atteint dans le Death Melo, c'est impeccable, propre, pêchu et le rendu général est envoutant. Qu'il est bon de les retrouver ainsi, j'en profite de saluer la production du festival pour la haute qualité de sa prestation sonore. Behemoth J'avoue rapidement, monsieur le Juge, et ce sans aucune honte, que ce truc n'est pas fait pour moi. Voici faiblesse avouée, je me permets d'en préciser les raisons. En effet, j'ai du mal à accorder gloire à ceux qui se cachent derrière un décorum outrancier. Par exemple, connaissez-vous un seul bon groupe masqué se présentant ainsi sur scène ? Kiss, Ghost, etc.... ne sont-ils pas tristes à mourir sur scène ? Deuxième point bien plus important, je suis en peine avec la musique obscure au service de l'obscurantisme. Ne serait il pas atroce l'humoriste en train de rire de ses propres blagues alors qu'il réalise un stand-up ? Et bien Behemoth joue obscure, ce qui concourt à le perdre. Behemoth est un groupe entendu et vu pour la quatrième fois en quatre ans et j'ai encore failli m'assoupir (heureusement le Ced12 et son téléphone sont absents). Je ne parviens toujours pas à rentrer dans leur univers. Malgré tout je reconnais que les visuels et l'expérience scénique du groupe assurent. Du coup les fans, les plus jeunes surtout, accrochent et ils adorent la prestation. Les jeunes ont toujours raison, car ils possèdent l'âge pour dépasser les basses trivialités de nos mornes vies. Désolé les artistes et fans du groupe, pas de photo, car l'orage annoncé m'a foutu la tremblote des genoux et je n'ai osé sortir le matériel photo...
Mais même dans un monde tout aussi parfait, tout n'est pas si simple. Quelques rares tensions sont inévitables, palpables. Certains autochtones suisses, aux caractères agricoles affirmés, sourcils froncés et pipes au bec, voient d'un mauvais œil cet afflux soudain de nomades sonores. « Ce n'est pas parce qu'on aime le yodel qu'on veut des voisins qui grognent du Death Metal toute la journée », me confie un jeune paysan tout crotté après avoir aidé une réfugiée à sortir son Van à 300 000 Francs suisses empêtré dans la boue. La cohabitation est difficile, mais nécessaire. Car après tout, n'est-ce pas là le propre de l'humanité ? S'adapter ou fuir, jouer des coudes ou s'entraider même dans un monde où les difficultés sont plus tranchantes que jamais ? Alors que je termine mon premier reportage J1, je ne peux m'empêcher de penser à ces iles Tuvalu, englouties peu à peu par les eaux, renommées bientôt Tuvaàlo. Ici, en Suisse, les réfugiés climatiques du métal résistent, portés par l'esprit de survie, l'humour décalé, et une passion inébranlable pour le rock. Le Rock The Lakes n'est pas seulement un festival, c'est un sanctuaire, une arche de Noé pour les âmes métalliques perdues dans un monde qui se noie sous les décibels et de plus en plus sous les trombes d'eau ou les chaleurs caniculaires. Et moi, en indigne représentant, envoyé du Grand Pacificateur, je repars vers ma tente avec un sourire en coin, satisfait d'avoir accompli cette première mission J1 : rendre compte de la misère avec un regard coquinou, mais jamais moqueur. Car si le métal est un refuge, c'est aussi une force. Et cette force, ici en Suisse, a trouvé un écho parmi les montagnes, où même les ONG doivent admettre que parfois, un bon riff vaut mieux que mille discours.
Lien photos jour 1
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