Blind Guardian ne sort jamais deux fois de suite le même album. C’est une réalité une fois de plus confirmée par The God Machine qui arrive trois ans après Legacy Of The Dark Lands, disque qui avait poussé les velléités symphoniques des bardes allemands à leur paroxysme. Après avoir sorti son album le moins évident (le moins metal également), BG opère ce qui pourrait (presque) s’apparenter à un retour aux sources. Riffs speedés, batterie véloce avec rab de double grosse caisse, compos nettement plus agressives et directes... on n’avait pas entendu un disque aussi "remonté" de la part du combo depuis... ouh là... les années 90.
Rapide retour en arrière pour poser le contexte : jadis, je fus un énorme fan de Blind Guardian. Lorsque j’ai fait la connaissance de ce groupe (en 1994), en commençant avec des albums comme Follow The Blind ou (surtout) Tales From The Twilight World, j’ai été conquis. A la sortie d’Imaginations From The Other Side quelques mois plus tard, je suis devenu totalement accro. J’ai suivi (aveuglément ?) ce gardien pendant cette décennie sans que le charme ne s’estompe. J’ai également beaucoup aimé A Night At The Opera - malgré son côté très "chargé" - en 2002... mais par la suite, nos relations ont été un peu plus compliquées. A Twist In The Myth m’a déçu, At The Edge Of Time - sans totalement retrouver la magie des glorieuses années - m’a rassuré mais Beyond The Red Mirror et le plus récent Legacy Of The Dark Lands ne m’ont pas enchanté. Leur musique de plus en plus progressive, symphonique, certes travaillée et pas inintéressante, ne m’a pas passionné. Je ne leur en ai jamais voulu, Hansi, André & co. ont le droit d’évoluer (sur le papier, je trouve même que c’est une bonne chose) mais je n’ai pas pu m’empêcher de doucement (mais sûrement) décrocher. Tout cela pour dire qu’aujourd’hui l’annonce d’un nouveau Blind Guardian suscite chez moi bien moins d’impatience qu’à une époque. Je n’étais même pas sûr de le chroniquer pour tout vous dire. Et là, sans crier gare, le gardien aveugle sort un disque d’une qualité que je n’espérais plus (même si les singles diffusés depuis quelques mois m’avaient bien mis la puce à l’oreille). C’est simple, The God Machine est - pour moi - l’opus le plus enthousiasmant produit par ces messieurs depuis (au moins) vingt ans !
Le visuel plus épuré, plus sobre qu’à l’accoutumée est un assez bon indicateur du contenu. D’entrée de jeu, on nous sert un Deliver Us From Evil rapide et conquérant. Les guitares sont affutées, Hansi Kürsch ne s’est pas déplacé pour chantonner de la berceuse mais se présente sous un jour puissant et agressif, le mode double grosse caisse de la batterie a bien été activé... C’est efficace et entraînant sans oublier d’être chiadé mélodiquement parlant. Et ce n’est pas fini, loin de là. Je parlais d’un retour au style que Blind Guardian pratiquait dans les années 90 en introduction... c’est indéniable (même si The God Machine ne se résume heureusement pas qu’à cela). Ecoutez Damnation, la deuxième piste, pour vous en convaincre. Le petit riff sur le couplet en rappelle un autre que l’on entendait sur The Script For My Requiem en 95. Les guitares sont, de façon générale ici, plus véloces et agressives qu’elles ont pu l’être sur les dernières production des Allemands. On retrouve même une hargne parfois pas si éloignée du thrash, c’était inattendu / inespéré et cela fait un bien fou. Sur Damnation, comme sur d’autres compos, les solos sont excellents, bien écrits et développés... et les refrains sont majestueux. Que ce Blind Guardian-là m’avait manqué ! Et si je vous dis que l’on trouvera encore par la suite d’autres compos de cette trempe, comme Violent Shadows, concise et percutante, ou Blood Of The Elves, une tuerie speed metal qui peut se vanter d’avoir l’un des refrains les plus classes de l’album, vous savez qu’on tient entre les mains (ou les oreilles) un opus très spécial.
En présentant une œuvre d’une petite cinquantaine de minutes, avec neuf pistes à la durée raisonnable (certaines font dans les six minutes mais ça ne montera pas bien plus haut), Blind Guardian, là aussi, nous ramène en arrière, à une époque bénie. Le groupe a-t-il été influencé par la tournée célébrant les trente ans du culte Somewhere Far Beyond ? A-t-il eu l’impression d’avoir fait le tour de la question symphonique avec Legacy Of The Dark Lands ? S’est-il rendu compte qu’il s’était montré parfois un peu excessif et qu’un brin de sobriété ne ferait pas de mal ? Peu importe, le résultat est là et c’est tout ce qui compte !
Il est maintenant temps d’aborder ce qui rend cet album encore plus réussi : il n’est pas qu’un disque "à l’ancienne" et c’est en cela qu’il est encore plus fort. Le quatuor ne se contente pas d’essayer de singer de vieilles recettes qui régaleront les nostalgiques. Il n’oublie pas qu’il a évolué. Ainsi, bien que les pistes citées plus haut nous rappellent avec plaisir une autre décennie, The God Machine n’est pas qu’une déferlante de compos jouées le pied au plancher. Secrets Of The American Gods propose des changements de tempo, des orchestrations et mélodies riches et épiques (et le refrain tue). Les arrangements, structures et chœurs mis en avant nous montrent bien le niveau d’expertise acquis par le groupe depuis ses débuts. Life Beyond The Spheres s’aventure en territoire mid-tempo et inclut des éléments ou sonorités plus modernes. Architects Of Doom explore le côté obscur de la force et montre une formation plus sombre et menaçante. Là aussi, le morceau est changeant et intéressant. Mélancolie et douceur s’invitent sur la ballade Let It Be No More aussi. Tous ces éléments constituent finalement un opus assez complet et varié... avec, comme fil rouge, une efficacité mélodique et une tonalité heavy que je ne pensais plus retrouver chez Blind Guardian. La production est de qualité, les guitares toujours volubiles, Kürsch chante très bien et l’ensemble est moins alambiqué que ce que le groupe fait depuis un peu plus de vingt ans mais toujours plus complexe et intéressant que du power de base. Je le répète une dernière fois au cas où j’aurais manqué de clarté : voilà une des belles surprises de l’année et l’un des albums les plus réjouissants de Blind Guardian depuis bien longtemps. Serais-je en train de redevenir fan ? C’est fort possible.
Tracklist de The God Machine :
01. Deliver Us From Evil 02. Damnation 03. Secrets Of The American Gods 04. Violent Shadows 05. Life Beyond The Spheres 06. Architects Of Doom 07. Let It Be No More 08. Blood Of The Elves 09. Destiny