Dans une longue carrière, chaque grand groupe a, à un moment ou un autre, connu un trou d’air artistique. C’est inévitable, c’est désespérément humain. Un pote à moi aime bien dire qu’on a le droit de ne pas être bon mais qu’il ne faut pas que ça dure trop longtemps. Bon adage, la sagesse des gens de l’Oise allez savoir !! Ces périodes de « creux » sont plus ou moins accentuées en fonction des groupes. On trouve d’un côté du spectre unAC/DCpour qui la première moitié des années 80 ne fut franchement pas terrible même si pas infâmante non plus. Mais elle a un peu duré avant le retour aux affaires avec The Razor’s Edge. A l’opposé, Metallica avec le cycleSt Anger a fait un quasi "sans-faute" en ratant tout (album, dimension humaine, attitude). Période plus courte mais autrement plus violente en interne. Cela dépend des natures, de la pudeur ou non des groupes aussi à évoquer d’inévitables soucis internes. Néanmoins, ces périodes plus délicates à gérer arrivent souvent alors que le groupe a déjà connu un grand succès et que le poids des années en plus d’un succès pas toujours facile à gérer. Ensuite, dans la grande majorité des cas, une rédemption a lieu et le groupe acquiert même un statut culte ou à minima de grande référence. Cela va souvent avec l’arrêt d’innovations musicales mais c’est sans doute une conséquence naturelle d’une crise qui a failli coûter très cher. Alors on joue la sécurité. Réaction légitime. Cela renvoie aussi à des trajectoires presque antiques avec ces grandes histoires où le héros connaît un développement rapide, une crise existentielle avant de retrouver un second souffle. Cela nous renvoie à notre culture populaire (coucou Star Wars et le personnage de Luke Skywalker parfait symbole de mon développement).
Machine Head a connu ce tracé mais a tout fait très vite et bien plus tôt dans sa carrière. Affaire de nature, de personnalité. D’environnement et de contexte aussi. On le sait, Burn My Eyes fut un carton d’entrée. En quatre minutes, avec un Davidian de légende, Machine Head rentrait dans la cour des Géants. S’en est suivi un The More Things Change ... solide mais sans surprise aucune. Déjà, un premier changement de batteur avait eu lieu sans prêter à conséquence vu le niveau de la recrue. Pour The Burning Red, c’est à un changement de guitariste auquel on a eu droit (un peu plus bruyant que le précédent changement) et le recrutement d’un Ahrue Luster plus (trop !) orienté néo-metal. Ce fut alors la grande bascule, le recours à Ross Robinson grand chambellan des premiers Korn, les baggies, une coupe de cheveux très contestable (oui dans les années 90 les coupes de cheveux avaient une importance cf Metallica période Load) et un The Burning Red qui divisa franchement les fans. Je persiste à bien aimer ce disque avec quelques sacrés grands titres (From This Day, The Blood, The Sweat, The Tears) mais oui le groove metal avait disparu au profit d’un néo très marketé en termes de démarche artistique, très commercial de fait, opportuniste et surfant sur une vague qui ne faisait pas l’unanimité. De là à dire que Robb Flynn s’était vendu, il n’y avait qu’un pas, rapidement franchi (et franchissable).
Sauvé donc par quelques gros morceaux sur The Burning Red, Machine Head allait tenter de limiter le désastre avec Supercharger mais très maladroitement et sans grande inspiration. Certes, ça parle un peu plus aux vrais fans du groupe avec un son moins typé. Mais le souci c’est le fait qu’aucun titre ne sorte vraiment du lot. A la limite un Bulldozer qui porte bien son nom, un Crashing Around You très correct mais force est de constater que deux décennies plus tard, aucun titre n’apparaît sur les setlists des immenses shows du groupe. Point révélateur d’un disque sans consistance, sans song-writing de qualité et pourtant Robb Flynn, en dépit de tous ses défauts, sait y faire. The Burning Red innovait même avec ce morceau-titre clôturant le disque ambiancé, une reprise décalée mais réussie de The Police ce que Supercharger n’ose même pas. Pourquoi parler de ce disque alors dans cette rubrique ? Outre compléter la discographie d’un des plus grands groupes des vingt-cinq dernières années, Supercharger me semble être le point bas d’un groupe alors dans une bien mauvaise pente semblant courir après un immense succès mais ayant oublié ses fondamentaux, semblant pour tout dire complètement perdu. L’ambiance semblait également bien plombée au sein du groupe et il a été fait mention du fait que le groupe avait failli splitter. Il fallait peut-être ce trou d’air pour toucher le fond et ainsi mieux redécoller. C’est que la suite sera magistrale avec une remise en route épique du groupe. Exit Ahrue Luster trop type « néo », welcome Phil Demmel rassurant de par son passé dans Vio-Lence où il avait côtoyé Robb Flynn mais c’est surtout un retour au groove / thrash historique du combo pour un Through The Ashes Of Empire en forme de rédemption et qui laissera un sentiment de reniement de cette période, de parenthèse refermée. On notera tout de même que Robb Flynn et Ahrue Luster ont récemment reproposé sur le web une interprétation complète de ce disque pour les vingt ans preuve que j’ai sans doute tort de penser que le groupe n’assume pas cette période. Il a fallu du temps tout de même pour cela (et une crise sanitaire diront les médisants dont je suis sur ce coup-là). Robb Flynn tiendra en tout cas son come-back même si nombreux ne lui pardonneront jamais sa phase « néo-metal » et de fait continuent de le décrier, a minima de se désintéresser d’un groupe pourtant passionnant. Il y avait de quoi être sceptique il est vrai et reste un sentiment de « Pourquoi Robb, pourquoi ? » (même si on a une petite idée !). Je force un peu le trait ce dernier ayant finalement bien le droit de faire ce qu’il veut. C’est qu’on parle de Machine Head, immense groupe générateur de passion, montée très haut avant de "plonger bien bas". Telle est l’histoire de Machine Head, d’un Robb Flynn immensément talentueux mais personnage complexe à appréhender avec qui il ne semble pas simple de bosser. Supercharger en reste pour moi le point le plus faible mais de fait tient une place fondamentale dans le parcours du groupe qui a ensuite su ce qu’il voulait et ainsi pu (re)trouver sa voie. Royale va sans dire. Et ainsi offrir un des plus grands disques du XXIème siècle. Les méandres de la vie.
Tracklist de Supercharger :
01. Declaration 02. Bulldozer 03. White-Knuckle Blackout! 04. Crashing Around You 05. Kick You When You’are Down 06. Only The Names 07. All In Your Head 08. American High 09. Brown Acid 10. Nausea 11. Blank Generation 12. Trephination