L’album d’après, celui qui suit un immense succès critique et commercial, est toujours un sacré casse-tête. Ce fameux disque est forcément condamné à décevoir un auditoire qui parfois même continue d’écouter le précédent. On a peut-être tous expérimenté cette nouvelle écoute où après avoir écouté les trois-quatre premières pistes du nouvel effort, on arrête la galette pour se remettre le précédent disque tant aimé, celui dont le son nous est devenu familier quand le nouvel album serait presque rejeté parce que par définition différent. Attitude étrange j’en conviens, peu glorieuse mais vécue. Ah bien sûr, on finit par s’y mettre et à accepter ce changement mais cela nécessite une certaine inertie. Ce Six Degrees Of Inner Turbulence fait partie de ces expériences où le mythique Metropolis Part II : Scenes From A Memory continuait de m’obséder (et à mon avis pas que moi !). Et Dream Theater conscient de la complexité de donner un tel successeur n’allait pas faire simple avec un double album dont une deuxième partie composée d’un titre unique de plus de quarante minutes. Ambitieux, très ambitieux. Trop ? Probablement le groupe semblant un peu dans le dur après un tel coup de maître (auquel j’ajouterai volontiers les Liquid Tension Experiment). La fin des années 90 fut sacrément animée pour nos musiciens, les problématiques de label, la volonté de percer commercialement (Falling Into Infinity), l’arrivée tant espérée de Jordan Ruddess, les problèmes personnels d’un Mike Portnoy bref Dream Theater semblait avoir besoin de souffler mais forcément, dans une telle dynamique, la course en avant restait de mise.
Là où Scenes From A Memory dégageait un feeling très mélodique où Pink Floyd semblait présent dans les esprits des musiciens, une certaine légèreté aussi, ce Six Degrees … se révèle d’un coup bien sombre, assurément plus agressif là où l’émotion était bien plus présente auparavant. Le tournant du millénaire sans doute, l’effet 11/09 qui avait marqué les esprits peu avant allez savoir … Les deux ballades Disappear et Misunderstood n’y changeront rien, l’ensemble sonne bien plus dark. C’est vraiment différent en terme de son et Dream Theater inaugurait ainsi une période plus agressive ce que la suite confirmera. L’aspect Metal est ici plus mis en valeur et les retours sur cette évolution furent plutôt partagés. Le groupe est parti sur une autre approche et le changement, on le sait, ça peut déplaire aux puristes. Aussi, pour être franc, on trouve moins de morceaux marquants (The Glass Prison mérite tout de même de vrais éloges), de « grands moments » dont Dream Theater n’avait pas été avare par le passé. De ce fait, aucun morceau n’est vraiment resté et sans trop m’avancer, je n’ai jamais entendu des vrais fans (et il y en a tant DT génère un certain culte chez des musiciens en herbe) réclamer la compo de 42 minutes honnêtement pas évidente à appréhender. Pourtant, le démarrage de The Glass Prison, inquiétant à souhait, met dans d’excellentes dispositions avec un vrai cachet suivi d’un excellent riff. Du Dream Theater pur jus. Où on commence à trouver des éléments Metallica d’ailleurs, ce qui se confirmera plus tard au sein d’une décennie 2000 qui verra le groupe naviguer large entre Metal et éléments progressifs.
Je trouve juste ensuite un sentiment d’essoufflement même si encore une fois, on trouve de très bonnes choses. Le groupe s’est ensuite bien lâché utilisant le concept de maladies mentales traité sur ce fameux pavé pour partir dans tous les sens, quitte à perdre une partie de son public (ce fut mon cas je le confesse). L’exercice de donner suite à un chef d’œuvre étant par nature très complexe, Dream Theater a eu du courage en essayant d’innover et de ne pas refaire un Metropolis II (enfin III !!). Le vrai hic n’est pas la volonté d’innovation mais un léger manque de très bonnes idées (parce que des idées il y en a !!), une ambition trop démesurée, une production assez sombre rendent ce Six Degrees Of Inner Turbulence un peu moins marquant au sein d’une discographie stratosphérique. Au final, un manque d’accessibilité pour le commun des mortels rend ce(s) disque(s) compliqué(s) à apprécier. Et oui, on est exigeant avec les génies et donc forcément un peu sur la retenue ici car par ailleurs, cela reste un bon disque où la créativité est encore bien présente mais sans doute un brin mal maîtrisée.