Fin 1993, Angra sortait Angels Cry (même s’il est arrivé l’année suivante chez nous), un album qui a irrémédiablement imprégné son temps. Le début d’une carrière marquée par de nombreux rebondissements, de hauts et de bas, de changements d’effectif mais qui, depuis trente ans, se poursuit menée (entre autres) par le seul membre fondateur rescapé : le guitariste Rafael Bittencourt. Cinq ans après l’intéressant Ømni, les Brésiliens reviennent donc avec leur dixième offrande intitulée Cycles Of Pain. Le line-up est stabilisé, c’est toujours Fabio Lione derrière le micro, Marcelo Barbosa rempile à la guitare puisque Kiko Loureiro est toujours chez Megadeth(encore pour longtemps ?) et la section rythmique est toujours tenue par Felipe Andreoli (basse) et Bruno Valverde (batterie). A la production, on notera le retour de l’Américain Dennis Ward qui avait travaillé avec le groupe entre 2001 et 2006. En passant, on remarque un autre retour : celui d’un ange sur la pochette. Il est cependant assez différent de celui qu’on pouvait apercevoir sur Angels Cry ou Rebirth. Sombre, plus effrayant, son aspect mortuaire contraste avec la lumière vive qui se dégage de ses ailes et de sa couronne de plumes... Etant donné l’évolution du groupe au fil de ses différentes incarnations, deux questions se posent aujourd’hui : stylistiquement, où se situe Cycles Of Pain ? Et, surtout, qualitativement, que vaut-il ? Pour qu’on ne me reproche pas de ne pas faire mon travail, je vais répondre à ces questions (et même à d’autres qui n’ont pas été posées, oui, je suis comme ça) ci-dessous.
Dès les premières secondes, avec la brève intro Cyclus Doloris, quelque chose de familier se dégage, bruits de nature, cloches dans le lointain, orgue et chants liturgiques... Angra nous ramène à une ambiance que ses fans ont bien connu au beau milieu des années 90 et la chanson qui suit immédiatement, Ride Into The Storm, est un hymne épique et speedé, servi par des musiciens aux abois et dont la maîtrise technique m’impressionne encore fortement (alors que je les suis depuis bientôt trente ans). Je ne suis toujours pas (et ne serai probablement jamais) un grand fan du chant de Fabio Lione, avec son vibrato un poil exagéré / théâtral, mais force est de constater que le vocaliste mouille la chemise... et le refrain soutenu par des chœurs (qui portent bien la marque du groupe) est irrésistible. J’ose à peine mentionner le break instrumental et son duo de guitares tourbillonnantes qui m’arrache un sourire tellement la mise en place est remarquable. Ambiance dramatique et symphonique sur Dead Man On Display, tempo enlevé, la compo est entraînante et fournit quelques accélérations bien senties (avec, encore une fois, une démonstration instrumentale de haute volée, écoutez les parties de batterie de Valverde pendant les solos de guitares, c’est étourdissant)... le groupe bat le metal pendant qu’il est chaud. Mais on le sait bien, Angra, ça n’est pas que ça... il va vite y avoir davantage de nuances et de mélodies. Ainsi, Tide Of Changes (divisée en deux parties que l’on trouve réunies dans la vidéo) ne mise plus sur la vélocité mais distille d’abord une atmosphère bien plus douce (avec un superbe accompagnement d’Andreoli à la basse, instrument particulièrement bien mixé sur cet opus soit dit en passant) avant de proposer un mid-tempo à l’allure progressive et au refrain mémorable (avec un break impressionnant mais très musical et quelques chœurs qui renvoient - exprès - à Carolina IV du fameux Holy Land).
Les racines brésiliennes du groupe ne sont pas oubliées. On les retrouve sur Vida Seca, avec son démarrage acoustique et la présence du vocaliste Lenine (qui chante d’ailleurs en portugais). Le morceau est très changeant et ne cesse de surprendre grâce aux détours qu’il emprunte, rappelant ainsi à ceux qui l’auraient oublié que les Brésiliens ont beaucoup développé leur aspect progressif depuis un (bon) moment. Mais n’ayez pas peur, si vous voulez des titres plus directs et power metal dans l’esprit, Angra a pensé à vous avec des compos comme Gods Of The World ou, plus loin (en avant-dernière position dans la tracklist), la rapide Generation Warriors qui reprend l’allure folle du début d’album. Tous ces titres sont bien écrits et bénéficient, en plus d’une exécution qui force l’admiration, d’une accroche mélodique efficace. Décidément, sur ce cru 2023, la médiocrité brille par son absence.
Le reste de l’album contient des pistes parfois plus posées : la chanson titre introduite au piano ou Here In The Now où un peu de chant féminin (servi par Vanessa Moreno) s’invite... et tente même une chanson "metal opera", nettement plus symphonique, avec chant lyrique à l’appui (Fabio s’y frotte en compagnie d’Amanda Somerville). Au milieu de tout cela, on n’oublie pas la remuante et complexe Faithless Sanctuary aux guitares virevoltantes et aux rythmes et percussions qui nous rappellent - une fois de plus - Holy Land.
Cycles Of Pain est un disque qui offre une belle synthèse de tous les visages d’Angra, un groupe de musiciens inspirés et qui affichent une forme éblouissante (ils vous en feront vraiment voir de toutes les couleurs). La production de Dennis Ward est à la hauteur de l’événement. L’ensemble est riche, varié et mixe clins d’œil au passé et modernité, vélocité, guitares virtuoses, mélodies enchanteresses, douceur, aspects symphoniques ou progressifs maîtrisés, lumière et obscurité (à l’image de sa pochette)... sans jamais créer l’indigestion. Un beau tour de force, sans doute le meilleur album enregistré avec Lione et peut-être bien ce que le groupe a sorti de plus abouti (à mon sens) ces vingt dernières années. Le titre de cet opus ne laisse pas planer le doute, les temps ont récemment été durs pour Bittencourt (qui a dû faire face à la disparition de son père, à celle d’Andre Matos, le chanteur originel, au COVID...) et ses amis, mais malgré l’adversité et la douleur, Angra est toujours debout et propose une musique de grande qualité. Comment ne pas s’en réjouir ?
Tracklist de Cycles Of Pain :
01. Cyclus Doloris 02. Ride Into The Storm 03. Dead Man On Display 04. Tide Of Changes - part I 05. Tide Of Changes - part II 06. Vida Seca 07. Gods Of The World 08. Cycles Of Pain 09. Faithless Sanctuary 10. Here In The Now 11. Generation Warriors 12. Tears Of Blood