Leprousa clairement changé de catégorie. Il s'agit tout de même de leur quatrième venue sur les cinq dernières années sur Toulouse et le concert est annoncé complet depuis un bon mois. Il est vrai que l'affiche proposée, bien que clairement bancale, est alléchante mais on ne m'enlèvera pas de l'idée que Leprous a la côte par ici. C'est d'ailleurs la grande foule qui attend de pied ferme dès l'ouverture des portes. Saluons au passage l'impeccable efficacité de la gestion du flux d'entrée, tout ce petit monde étant entré en moins de dix minutes. Autre point sympa, l'utilisation d'une pièce supplémentaire pour installer le merch permettant ainsi aux groupes de venir à leur tour et d'échanger paisiblement dans un lieu éclairé et au calme. Ce qui est bien plus agréable que d'être coincé au fond de la salle sur un côté où en plus, personne ne s'entend. Initiative à conserver. Comme en plus, la cour intérieure est plaisante vu la douceur de ce drôle d'hiver, ce Metronum est décidément très bien foutu et parfait pour ce genre d'événement.
Kalandra
Très remarqué par sa présence en ouverture deWardrunaau printemps 2022, Kalandra attire beaucoup d'attention, méritée tant la musique proposée est plaisante. Le public ne s'y trompe et la salle est déjà remplie, ce que la vocaliste ne manquera pas de souligner en remerciant l'auditoire "d'être venu si tôt". Commençant son show par la magique Borders qui d'emblée plante le décor. Avec ses vocalises incroyables, Katrine Odegard Stenbekk impressionne avec ces lignes vocales en lévitation. Sincèrement bluffant ce qu'elle fait sur ce titre, et l'interprétation est bien présente. La brune est accompagnée de deux guitaristes à l'allure très cowboys norvégiens. Très lookés d'ailleurs, sans doute un chouilla trop pour le guitariste aux looks guenilles / chapeau zadiste élégant. Les deux compères occupent bien l'espace et sont vraiment très bons. Le guitariste aux faux airs de David Gilmour (celui avec les guenilles) y va même d'une corne pour un instrumental de haut rang où la chanteuse s'efface temporairement. Superbe passage.
La musique du groupe est assez variée entre folk scandinave, éléments plus nerveux, passages trip-hop, moments de grâce digne des grands Sigur Ros pour un rendu vraiment réussi, très original, avec une approche moderne évitant par là une inévitable comparaison avec leur grand frère Wardruna (Kalandra est au passage la première signature sur le label d'Einar Selvik). Avec une dimension plus pop-rock, la chanteuse n'hésite pas prendre les devants sur scène avec une présence charismatique, bien accompagnée de ces deux grands gaillards eux aussi n'hésitant pas à se projeter.
En une demi-heure, Kalandra a envoûté un auditoire conquis avec un concert remarquable, d'une grande élégance avec de vrais moments de lévitation. Un groupe certes hors périmètre metal mais au combien classieux et qualitatif. Remarquable. Et joli geste du guitariste donnant son médiator à un jeune au premier rang qui certainement le conservera précieusement.
En bonus, je me permets d'intégrer une vidéo remarquable de Kalandra certes sur un titre non joué mais cette version est absolument splendide, peut-être même supérieure à l'originale de Wardruna ce qui n'est pas un mince exploit.
Quand je disais que l'affiche était étonnante, c'est qu'enchaîner les très beaux et éthérés Kalandra à Monuments, groupe de djent / metalcore plutôt énervé, il fallait oser. Le chanteur de Leprous expliquera plus tard que c'est ce qu'il aime, cette ouverture d'esprit. Le public joue le jeu car, comme Kalandra, Monuments est très bien reçu. Qui a dit que les fans de Metal étaient intolérants et sectaires ? (Même si certains clichés ont la vie dure on le sait). Le groupe de djent a connu de multiples changements de line-up avec notamment un nouveau chanteur. Andy Cizek, avec son faux air d'Andrew Garfield (l'inoubliable compère de Jesse Eisenberg dans l'immense Social Network), se met d'entrée de jeu le public dans la poche avec une très bonne attitude, dynamique. Sans trop en faire, ce dernier assure une bonne présence scénique au delà d'une interprétation vocale versatile à souhait. Il est tout fier de nous montrer sa dent cassée, trace de prestations scéniques bien sauvages sur cette tournée. Il présente cette dernière comme "dental as hell". Une performance aussi brutale que le match de rugby à XIII qui se déroule pas si loin que ça. Le bassiste le soutient bien étant très souriant lui aussi. La fosse est très réactive, ça jump, ça headbangue et les quelques breakdowns font un effet ravageur.
L'attitude scénique du guitariste et leader incontesté de Monuments,John Browne, étonne un peu, ce dernier ne jetant pas un seul regard au public, en permanence concentré sur sa guitare, tête basse. Surprenant mais quelle efficacité même si on entend bien qu'il est aidé par une seconde guitare sur bande.
Un show diablement efficace, puissant. Un peu décalé par rapport au reste de l'affiche mais un bon show, très énergique même si je reste personnellement sur mes réserves sur le djent que je trouve toujours un peu caricatural. Reste un vrai bon show et un frontman très bien intégré preuve que Monuments a de nouveau de belles perspectives.
La tournée anniversaire de Leprous avait bien fonctionné en 2021 et en bonne logique, ce sont les deux derniers - et excellents - disques que les norvégiens viennent majoritairement défendre ce soir. Le changement de plateau paraît un peu long mais dès l'extinction des lumières, la tension remonte et les belles lumières rouges mettent bien en valeur l'arrivée sur scène des musiciens, tous acclamés. Chaque soir, le groupe fait varier sa setlist mais globalement, cette dernière tourne autour de Pitfalls et Aphelion. Les musiciens sont toujours aussi incroyables avec une grande présence scénique et un effet visuel général incomparable. C'est qu'il y a toujours autant de monde, six musiciens plus un violoncelliste qui offre de belles transitions. On a droit à de vrais moments toute en grâce avec ce nouveau Leprous, toujours moins Metal, toujours plus prog dans sa démarche mais au combien élégant avec des arrangements incroyablement créatifs. Les morceaux plus "rock" (FromThe Flame, The Price) font toujours un malheur en live rappelant que lorsqu'ils envoient, la musique de Leprous se fait irrésistible et d'une ampleur remarquable. On s'étonne même du nombre de hits déjà sortis par le groupe. Et toujours porté par Baard Kolstad, batteur phénomène au jeu live incroyablement visuel et gourmandise technique à lui seul pour les connaisseurs / amateurs. A l'aise dans tous les registres pratiqués par Leprous, ce dernier est vraiment un bonheur à voir jouer live à l'instar de Gavin Harrison (The Pineapple Thief, Porcupine Tree).
On apprécie aussi l'instant "démocratie scandinave" avec un Einar Solberg proposant au public de choisir le morceau joué. Si cela génère une certaine inertie naturelle vu le format live, Einar finit par tenter le choix par les cris du public, un vote à mains levées rendu compliqué par trois titres se démarquant des résultats (à noter que l'auteur de ces lignes, peu en ligne avec le reste du public, avait opté pour la quatrième morceau, l'excellente Stuck) avant de finalement la jouer démocratie participative / choix jury populaire envoyant une balle dans le public pour que la personne la recevant choisisse ledit morceau. Au passage, c'est une reprise de Massive Attack qui est retenue pour un rendu vraiment sympa d'ailleurs. The Sky Is Red achèvera un concert très bien tenu, maîtrisé de bout en bout malgré des interventions un poil longuette d'un Einar parfois un peu bavard (ce dernier ne dégageant pas un charisme de dingue non plus). Enfin, sa voix est toujours aussi impressionnante, ses vocaux étant devenus iconiques et immédiatement reconnaissables. Et le bougre chante bigrement bien en live ce qui, vu son registre, ne doit pas être simple. Un sacré talent ce garçon, un phénomène et un type attachant quand on sait qu'il a connu une dépression il y a quelques années. Le superbe morceau Observe The Train exprimant subtilement la pratique de méditation de pleine conscience avec ses "respire" et "observe le train" (des pensées) remarquablement bien décrites rappelant le chemin de résilience du frontman. Il m'a fallu du temps pour bien rentrer dans le prog haut de gamme et raffiné de Leprous et ce concert m'a pour ma part permis d'y parvenir. Grâce aussi à deux derniers disques originaux et superbes.
Un très bon show, plaisant et très qualitatif avec un Leprous validant un statut de groupe très populaire avec une formule musicale plus élargie qui clairement trouve son public. Un bien beau samedi soir avec des norvégiens toujours au top. Et des musiciens toujours aussi bluffants. Et la confirmation de la magie Kalandra.