Très belle découverte post-crise sanitaire, proposer une interview pour mieux "connaître" Kalandra me tenait à cœur. Le groupe norvégien vient de confirmer le fabuleux et très recommandable The Line avec A Frame Of Mind. De nouveau présent à Toulouse dans le cadre de leur première tournée en tête d'affiche, le quatuor a tout emporté sur son passage avec un show exceptionnel entre grand dynamisme de certains titres et passages totalement envoûtants toujours portés par une vocaliste (à la voix d'or) en état de grâce. Kalandra franchit les étapes avec une aisance épatante.
Bien accompagnée par leur tour-manager multifonctions Giulia (que je remercie au passage), Kalandra semble promis à un grand avenir tant la musique semble habitée par une âme toute norvégienne parfaitement adaptée à une époque très friande de ce type de musique. Bonne découverte et surtout écoutez Kalandra !
Bonjour. Ravi de vous interviewer. Pour commencer, comment se passe la tournée ?
Katrine : Bonjour. Merci. A vrai dire, la tournée se déroule beaucoup mieux que prévu. Nous avons donné plusieurs concerts à guichets fermés, personne ne s’y attendait au sein du groupe.
Florian : Oui, nous sommes vraiment heureux d'être de retour et nous sommes ravis que tous les billets aient été vendus !
Même si Kalandra devient de plus en plus connu, pouvez-vous nous présenter votre groupe ? Quelle est son histoire ?
Le groupe s'est formé en 2011 lorsque Jogeir, Florian et Katrine se sont rencontrés à l'université en Angleterre. Après avoir passé quelques années au Royaume-Uni avec plusieurs membres internationaux, nous avons tous les trois décidé de retourner en Norvège. Oskar a rejoint le groupe en 2018 après notre retour au pays et nous avons vraiment apprécié son groove et sa façon de percevoir notre musique. Au départ, il avait le statut de « musicien de studio », il n'intervenait qu'en cas de besoin. Nous lui avons expliqué notre situation financière en toute franchise et nous l'avons rémunéré du mieux que nous pouvions, mais je pense qu'il a compris qu'il devrait consacrer plus de temps au groupe que ce que nous étions en mesure de lui payer (ce dont on ne parle pas assez dans l'industrie musicale). C'est pour cette raison que nous ne pouvions pas non plus lui demander de jouer avec nous. Nous lui avons laissé le choix et nous lui avons dit que nous lui serions reconnaissants s'il voulait rejoindre le groupe.
Jogeir : À nous trois, nous n'avons pas gagné grand-chose depuis que nous avons commencé notre carrière en 2011. C'est la réalité. Après 13 ans, nous ne nous sommes jamais versés de salaire, nous nous sommes contentés d'investir dans des projets futurs pour que le groupe continue de progresser.
Katrine : Ce style de vie n'est pas adapté pour tout le monde. Mais Oskar a toujours consacré du temps au groupe et il s'est vraiment intéressé au processus de composition. Finalement, il nous a paru logique de l'intégrer davantage en tant que membre à part entière. Il apporte une formidable stabilité dont nous avons grandement besoin et nous sommes ravis qu'il trouve un sens à sa présence parmi nous. Evidemment, nous sommes complètement honnêtes les uns envers les autres en ce qui concerne nos finances et nos parts de royalties, ce qui explique pourquoi tout le monde accepte d'investir dans l'avenir de ce groupe.
Florian : Et parce qu'on déchire tout !... Mais oui, je pense que nous avons tous perçu le potentiel du groupe dès le départ. Et heureusement, nous avons fini par nous retrouver avec quatre personnes dévouées qui trouvent chacune leur propre raison d’être et leur propre épanouissement au sein de Kalandra.
Katrine : C’est vrai.
Quelles sont les influences musicales du groupe ?
Katrine : En toute sincérité, nos influences musicales sont très variées. Nous avons beaucoup de mal à composer un album dont tous les morceaux sonnent de la même façon, ou du moins un album qui a un thème bien défini. Je pense que cela est dû à nos personnalités et à la façon dont nous composons notre musique. Nous avons tous été élevés dans différentes régions de la Norvège et nos antécédents familiaux associent également une multitude de lieux et d'identités et je pense que cela se ressent dans notre musique. Notre musique comporte des éléments issus de mélodies folkloriques, mais ces éléments sont associés à une variété d'influences comme le prog, le métal, la pop et l'électro. C'était un de nos points faibles auparavant, mais c'est devenu notre force à présent.
Mes principales influences sont certainement Eivør, Gåte et Wardruna, mais elle a également des influences pop comme London Grammar et le groupe danois IRAH. J'écoute principalement des chanteuses et suis également fascinée par les chants folkloriques de toutes les régions du monde, notamment les techniques vocales mongoles, ainsi que les chants indiens, arabes et bulgares, pour n'en citer que quelques-uns.
Florian est une sorte de nomade musical et ses préférences évoluent au fil des saisons. Bien qu'il ait commencé par écouter différents groupes de thrash et de death metal, il s'inspire tout autant de la musique folklorique bulgare, des ballades country ringardes de Nashville et du hip hop old school. En ce moment, il s'intéresse beaucoup à « Tool » à nouveau.
Jogeir écoute beaucoup de compositeurs de musique d'ambiance comme Jon Hopkins, Nils Frahm et Gustavo Sataolalla, ainsi que des groupes comme Pink Floyd, Radiohead et Phoria.
Oskar écoute beaucoup Car Bomb et Arvo Pärt, ainsi que Bon Iver, Foo Fighters, Björk et Tool, pour ne citer que quelques groupes. De plus, nous nous inspirons mutuellement quand nous composons. Lorsque nous sommes en voiture pour aller quelque part ensemble, nous créons une playlist tous ensemble et cela nous rapproche certainement plus que nous ne le pensons, de façon inconsciente. Nous aimons aussi beaucoup le heavy metal et le doom metal.
La voix de Katrine est magnifique. As-tu appris à chanter dans une école de musique ?
Katrine : J'ai toujours aimé chanter, danser, jouer la comédie, peindre et coudre lorsque j'étais enfant. Je pense que j'avais besoin de m'exprimer car j'ai grandi avec un bégaiement très prononcé. J’en souffre encore aujourd'hui mais il disparaît lorsque j’associe les mots à des mélodies et l'ironie de la situation, c'est que cela me permet de m'exprimer. J'ai fréquenté une école primaire particulièrement axée sur la musique, où les enseignants m'encourageaient très souvent à chanter devant la classe et toute l'école. Plus tard, je suis allée dans une « maison de la culture » locale, comme il en existe en Norvège, à Sola Kulturhus, et j'y ai rencontré des professeurs exceptionnels qui m'ont appris à danser, à jouer la comédie, à chanter et à jouer de la guitare. Ensuite, j'ai fréquenté un lycée plutôt axé sur la musique, où je me suis spécialisée en chant classique. Mes professeurs étaient très stricts et ils m'ont beaucoup appris. Ils m'ont vraiment incitée à perfectionner mes techniques vocales. Puis, j'ai étudié à l'Institut des arts du spectacle de Liverpool, au Royaume-Uni, où j'ai continué à progresser. C'est aussi là que j'ai créé Kalandra, en 2011 et que j'ai rencontré les guitaristes Jogeir et Florian. J'ai eu plus de sept professeurs de chant différents au fil des ans et chacun d'entre eux m’ a enseigné sa méthode comme si c'était « la meilleure manière de procéder », mais j'ai pris tout cela avec des pincettes et j'ai utilisé ce que j'ai trouvé utile pour créer ma musique. Certains professeurs m'ont beaucoup soutenue, tandis que d'autres ont voulu voir de quoi j'étais capable. Je pense que certains d'entre eux n’approuveraient pas la façon dont j'utilise ma voix s’ils assistaient à un concert de Kalandra aujourd'hui. Mais, je le répète, comment pourrais-je progresser si je ne teste pas mes limites ? La seule chose qui compte, c'est que j'aime ce que je fais et que cela ne nuise pas à ma voix. De plus, j'échauffe toujours ma voix avant les répétitions et avant un concert. Et je bois de l'alcool très rarement désormais. En général (selon la période du mois), je ne me soucie pas vraiment de l'opinion des gens et je pense que c'est aussi pour cela que je peux continuer à chanter.
L'album The Line est sorti en 2020, une année compliquée. Cela a-t-il eu un impact pour Kalandra ? Comment le groupe a-t-il géré cette situation ?
Katrine : Je pense parler en notre nom à tous en disant que nous avons apprécié le confinement de notre pays. Nous pouvions enfin tout oublier pour nous concentrer sur la finalisation de notre album The Line. Nous avons continué à travailler à temps partiel et nous avons terminé notre premier album, c'est à peu près tout. Mais je suis introvertie. J'aime être seule, alors pour moi, ça ne posait pas de problème. Et pour certaines raisons, j'ai trouvé du réconfort dans le fait de savoir que les gens autour de moi vivaient la même chose... Mais cela m'a certainement affectée par la suite car je suis devenue moins sociable qu'avant et j'ai encore du mal à me souvenir du nom des gens, même 4 ans après.
Florian : Le confinement s’est également avéré positif pour moi, même si cette situation a beaucoup affecté ma carrière et mes finances…Cela étant dit, cette période m’a permis de trouver le temps et la sérénité nécessaires pour me concentrer sur ce qui comptait vraiment pour moi, c'est-à-dire la musique et Kalandra. Je crois que cette situation a affecté le groupe, mais contrairement à beaucoup d'autres, je pense qu’elle nous a permis de progresser.
Avez-vous été satisfaits en découvrant les avis concernant cet album ?
Katrine : Je ne prête pas trop attention aux commentaires des gens concernant notre musique. Ce qui compte le plus pour moi, c'est que je suis très fière de cet album et de tout ce que nous avons accompli pour le composer. Le reste ne dépend pas de nous.
Florian : Oh, j'ai lu de nombreuses chroniques et j'ai trouvé que beaucoup d'entre elles s'avéraient très intéressantes. Par exemple, le « morceau préféré » des chroniqueurs variait beaucoup d'un article à l'autre. Cela m'indique que cet album peut plaire à un grand nombre de personnes différentes. Mais personnellement, je n'y accorde pas trop d'importance. Je suis très content du résultat et je sais que le prochain album sera encore meilleur !
La reprise d'Helvegen est tout simplement extraordinaire. Comment avez-vous décidé de choisir cette chanson ?
Katrine : Nous avons toujours aimé cette chanson et nous nous sommes dit que nous pourrions lui apporter une touche de modernité et nous l'approprier d'une certaine manière, si c’était possible. Nous aimons jouer des reprises dans notre salle de répétition et YouTube regorge de reprises. Il est assez courant dans l'industrie de la pop de proposer des reprises, voilà pourquoi nous nous sommes dit : pourquoi pas Helvegen?
Quels sont les liens entre Wardruna et Kalandra ? Vous avez assuré la première partie de leurs concerts en 2022.
Katrine : En effet, nous sommes principalement liés par le fait de travailler avec le même label. Il s’agit du label ByNorse qui a été fondé par Einar Selvik, Ivar Bjørnson (Enslaved) et Simon Füllemann. Et évidemment, nous vivons en Norvège, ce qui facilite un peu les choses, hé hé. Nous aimons beaucoup la musique de Wardruna car elle est étroitement liée à la nature. En dehors de cela, je peux seulement dire que j'ai observé à distance ce que le groupe et son manager Simon étaient en train de réaliser ensemble, puis j’ai contacté Simon en 2017 au nom de Kalandra. Cet échange s’est avéré partiellement fructueux, mais je crois que cette rencontre nous a permis de nous connaître et de rester en contact jusqu'à ce qu'une collaboration soit envisageable. Nous devions d'abord nous améliorer ! Et à présent, c'est chose faite, hé hé. Mais pour le reste, vous devrez probablement leur demander pourquoi ils nous ont choisis pour les accompagner en tournée.
Un nouvel album est disponible. Pouvez-vous nous présenter ce nouvel opus ?
Katrine : Notre musique est composée et arrangée en fonction de notre état d'esprit, tout simplement, et d'un moment spécifique dans le temps. Nos pensées façonnent notre réalité d'une certaine manière et vice-versa. En ce qui concerne les textes, je peux dire que j'ai abordé des sujets un peu plus profonds qu'avant. J'ai révélé un peu plus ma propre vulnérabilité, mais je me suis aussi autorisée à m'amuser et à faire des expériences concernant différents sujets et la production musicale. J'aime à croire que j'ai réussi à dissimuler ces éléments dans la musique, mais nous verrons bien ce que nos fans percevront. Nous n'avons jamais cherché à concevoir un type d'album spécifique, car nous avons l'impression que cette approche bride notre créativité, nous essayons donc de garder l'esprit ouvert pour pouvoir tout envisager. J'ai l'impression que nous donnons le meilleur de nous-mêmes lorsque nous parvenons à garder l'esprit ouvert et à nous amuser, sans contrainte de temps. Notre morceau Bardaginn reflète un peu cet état d'esprit. Mais il est évident que nous sommes ce que nous sommes et que c'est ce qui définit la musique que nous composons. Nous sommes également influencés par notre environnement. Nous sommes partis en tournée avec d'autres groupes qui jouent des morceaux un peu plus lourds et lorsqu’on écoute d'autres setlists pendant plus de six semaines d'affilée, cela nous influence forcément de façon inconsciente, d'une manière ou d'une autre.
Florian : Katrine résume assez bien la situation. Le style de l'album n'a jamais été déterminé à l'avance. Cependant, lorsque nous avons choisi les morceaux qui devaient figurer sur cet opus (nous en avions une tonne !), nous étions d'humeur plutôt maussade apparemment, à moins que le mot « sérieux » ne soit plus approprié ?
Jogeir : Cela ne signifie pas que nous n'avons pas réfléchi à certains thèmes et à la manière de raconter une histoire dans cet album, mais ces éléments sont définis dans un deuxième temps, lorsque nous essayons de donner un sens à ce que nous avons créé.
Florian : En y repensant, je crois que c’est la charge de travail que nous avions accomplie jusqu'alors, associée à nos propres attentes, qui a donné une ambiance morose à cet album. Mais il y a des touches d'optimisme dissimulées ici et là dans cet opus !
C'est la quatrième fois que vous jouez à Toulouse. C'est formidable pour nous. Est-ce que cette ville vous plaît ?
Katrine : Nous adorons venir à Toulouse ! Le public est très expressif, tout en restant attentif, ce qui est très gratifiant pour nous.
Florian: Oui ! Et cette fois-ci, nous avons enfin eu le temps de nous promener dans le centre-ville et de visiter les environs (et de manger une glace). C'est un endroit magnifique et nous avons tous hâte de revenir.
Y a-t-il une question qui ne vous a jamais été posée et à laquelle vous aimeriez répondre ?
Florian: Je crois que personne ne nous a demandé individuellement « Pourquoi voulez-vous faire partie de Kalandra ? » En fait, je suis plutôt content que personne ne l'ait fait, ha ha ! Je suppose que nous avons tous nos propres raisons, mais j'imagine aussi qu'elles ont changé au fil du temps. Vous devrez vous contenter de la question et attendre la réponse.
Merci beaucoup. Avez-vous un dernier message pour nos lecteurs ?
Katrine: Ce troisième album est très varié en termes de styles, mais cela ne devrait pas vous étonner si vous connaissez notre groupe, hé hé hé. Si vous ne nous connaissez pas, vous découvrirez ce que cet album vous inspire lorsque vous l’écouterez. Peut-être qu'il vous plaira, peut-être qu'il ne vous plaira pas. Et c'est très bien comme ça. Je ne vais pas forcer qui que ce soit à l'écouter. C'est probablement une très mauvaise manière de promouvoir notre album. Mais si d'autres personnes l'apprécient, c'est un bonus pour moi. Je ne m'attends à rien. Pour ceux d'entre vous qui apprécient l'album, j'espère que vous êtes capables de vous montrer indulgents envers vous-même. Nous faisons des tentatives et nous échouons parfois dans la vie, mais l'essentiel c’est de ne pas se décourager. Vous méritez de vivre des expériences positives.