Fondé en 2003 par le batteur Laurent Kessel et le guitariste Diogo Bastos (toujours présents), Scarred est l’un des porte-étendards de la communauté metal luxembourgeoise, le groupe a sorti deux albums. Le premier en 2009 intitulé New Filth Order, qui est une diatribe sur fond de révolution numérique. Puis en 2013 après avoir rejoint la Klonosphère, sort Gaia-Medea un second album qui explore la hausse récente du nombre de catastrophes naturelles et la possible extinction de la civilisation qui peut en résulter. Ils le font en opposant la théorie homéostatique de Gaia de Kirchner à la théorie autodestructrice de Medea du paléontologue Peter Ward. Enfin en 2016, pour continuer à évoluer, Scarred prend la décision d’engager un nouveau chanteur en la personne de Yann Dalscheid (Kitshikers) ainsi que Vincent Wilquin (Fractal Universe) comme nouveau guitariste. Ils sont rejoints également par un nouveau bassiste Bertrand Pinna. Et il faudra attendre fin 2020, pour réentendre parler des Luxembourgeois avec la mise en réseau d’un clip vidéo du titre Mirage qui annonce pour début 2021, huit ans après celle de Gaia-Medea, la sortied’un nouvel album.
En voilà donc un groupe pas très connu, et ceci très injustement. La faute à la promo ou au nombre réduit de leurs albums (ce n’est que le troisième en presque vingt ans). Peu importe, celui-là vaut le détour. J’en veux pour signe que deux chroniqueurs Aux Portes du Metal ont souhaité s’en charger. Je prends donc la suite de PhilippeC (l’autre chroniqueur) en repartant de son travail (le paragraphe qui précède).
Pour moi, cet album est tout simplement magique, à l’image de sa pochette un peu psychédélique, entre-genres, colorée. L’album démontre une étonnante virtuosité et le groupe ne va pas dans la facilité avec des constructions rythmiques et mélodiques pas évidentes. Est-ce un album concept ? Oui, ça en a les atours. Ce qui frappe sur cet album, c’est la cohésion du groupe dans l’exploration de différentes influences musicales. Ce n’est pas un album de death mélodique, de black, de prog, de pop, mais un peu tout ça à la fois. Et contrairement à d’autres groupes, ça respire extrêmement bien. Vous ne les traiterez pas de “vendus”, mais resterez admiratifs de leur capacité à proposer un metal intelligent, intelligible, agressif - mais jamais brouillon - tout en restant porteur de sens et d’émotions (au sens “meaningful” comme diraient les anglophones).
J’adore les paroles et bravo au nouveau chanteur, plus habile, plus constant en qualité sur la livraison et prégnant sur l’étendue de tout son spectre. A noter qu’il possède une vraie voix rageuse, expressive en growl, mais aussi une belle voix claire, pas l’habituel poussif des brailleurs de service… Je n’étais pas embarqué par le précédent même s’il se débrouillait bien sur la plupart des morceaux. Là, c’est le niveau nettement au-dessus. Allez donc écouter la voix susurrée en fin de Merry-Go-Round.
J’avais apprécié le précédent album tout en lui trouvant des longueurs qui font que j’ai encore du mal à écouter l’album Gaia-Medea en entier d’un trait. On en retrouve peu des longueurs sur ce nouvel album. Encore que, sur la première chanson Mirage, les trois dernières minutes sont discutables mais c’est tout ce que je peux challenger sur cet album. Oui, c’est la fête aux harmoniques, au gros son, avec un magnifique clip vidéo mais ce n’est pas la meilleure chanson.
J’ai un peu le même problème sur A.H.A.I.A. Donc, pour une première écoute, n’en restez pas à Mirage et A.H.A.I.A qui ne m’ont pas autant convaincu que les autres. Dommage que ce soient les deux chansons qu’ils ont choisies pour en faire un clip et donc la promo de l’album. J’ai aussi lu qu’ils préparent d’autres clips, je n’ai plus qu’à attendre pour me régaler.
Difficile de dire quelles sont mes chansons préférées tellement cet album est grandiose. Dommage pour Mirage et leur choix de le mettre en vidéo, je lui préfère largement : - A.D…Something et son côtéMorbid Angel groovy (pour les fans des premières heures) croisé avec les fans de la chanson 10 More Dead, seule réussite (à mes yeux) de l’album Illud Divinum Insanus (2011). Mais quel groove de malade sur le pré-chorus…qui vous rappellera 10 More Dead (eh oui) et quelques relents de groove style Pantera ; - Chupacabra, avec son style Morbid Angel ressuscité et survitaminé, bien rapide et bien lourd (celle-là va laisser des bleus sur le corps des égarés de la fosse en concert) avec des riffs qui tournoient tels des rapaces au dessus de nos têtes avant de fondre sur la foule ; - Merry-Go-Round est tout simplement rafraichissante, aérienne, avec un solo magique, avec une pratique “poppisante” du charley ouvert à contre-temps, bravo les gars ; - Nothing Instead, un brulôt rageur, entre des inspirations Morbid Angel etDimmu Borgir ; c’est du bien méchant (voir les paroles et la façon dont c’est chanté) ; - A.H.A.I.A (pour As Happy As I Am) commence comme une méchante claque, et en est une même si elle diluée par plus de trois minutes de séquence chamanique, qui à mon avis ne sera pas jouée live ; - Dance of The Giants est impressionnante. On est au début dans une ambiance “chanson de marins” aux atours métal. Les paroles sont vraiment top (c’est original en plus) et la façon de les scander est brillante. Belle construction de chanson, ça raconte vraiment quelque chose et ça vous transporte au gré de différentes humeurs, l’un des morceaux les plus réussis ; - Petrichor est “sautillante”, hyper groove (retour du charley à contre-temps), seul l’accordage des guitares traduit ici qu’on a une approche métal. La voix claire alterne avec du growl et ça fait longtemps que je n’avais pas entendu ça aussi bien fait.
Un petit mot sur les instrumentales qui jouent une part importante sur cet album. Un, elles ne sont pas chiantes (autant le dire franco). Les instrumentales sont souvent ennuyeuses pour moi car peu de groupes savent en faire qui restent marquantes au delà de “j’ai joué avec mon synthé”. Sur treize pistes, on en trouve quand même cinq instrumentales. Certaines jouent un rôle bien précis de transition d’ambiance et permettent justement d’explorer le spectre musical de Scarred plus facilement. Ici Sol, Prisms et Lua sont annonciatrices de la chanson qui suit avec zéro blanc entre les pistes. Donc à la première écoute, il n’est pas dit que sans le savoir vous vous en soyez rendus compte. Toujours au même chapitre, In Silent Darkness est vraiment à part de mon point de vue. Ca aurait pu être une instrumentale de Dream Theater, PeripheryetMgla réunis. Yours Truly fait écho à Sol en étant l’Outro de l’album, façon bande originale du film Interstellar.
Pour certains qui suivent mes chroniques (bravo, il y en a assez peu ces derniers temps), vous connaissez mon goût pour les productions soignées. Ici le son est brillant. Scarred a passé deux ans à pré-produire cet album et ils peuvent en être fiers. C’est tellement en haut du panier ! Le son est plus dense, plus resserré et aéré à la fois, signe d’un très bon mastering. Pour les amateurs de batterie et de guitare, vous allez prendre votre pied car les deux historiques du groupe Diogo Bastos (guitare) et Laurent Kessel (batterie) savent soigner leurs prises son. Le grain de guitare est ciselé et compact. Le kit de Laurent Kessel est riche en cymbales et le rendu est très bon. Idem pour la voix, très soignée. Ces gars-là sont des perfectionnistes. Cet album est à écouter bien fort dans votre salon mais aussi au casque. Vous découvrirez au casque des couches musicales pas forcément intelligibles si vous l’écoutez en voiture. Je pense ici à des nappes de synthé, une harmonie à la guitare en clair, plein de détails pour régaler les oreilles sans amoindrir l’impact du morceau. Chapeau.
Vivement que les concerts reprennent, je sais que je n’hésiterai pas à aller les voir !
Tracklist de Scarred :
01. Sol 02. Mirage 03. A.D...Something 04. Chupacabra 05. Prisms 06. Merry-go-round 07. Nothing instead 08. In silent darkness 09. A.H.A.I.A 10. Lua 11. Dance of the Giants 12. Petrichor 13. Yours truly