Je n’en attendais pas grand chose sinon un Ministry de plus, probablement bon puisqu’ils le sont presque tous, mais certainement pas une galette capable de raviver cette flamme jadis vaillante qui me consumait d’amour quand le groupe m’écrasait, moi et une partie du monde, sous les coups de boutoir mécaniques délivrés par The Mind Is Terrible Thing To Taste, Psalm 69ou encore Filth Pig. Alors non, ne nous emballons pas, Mental Hygiene n’est pas de cette trempe et n’aura évidemment pas ce destin, nous sommes en 2020 et il est trop tard pour tout ça, le temps n’est plus à la consécration d’albums historiques. Néanmoins, cette nouvelle offrande, qui m’aura pris par surprise, montre un Ministry gaillard, étrangement revigoré, inspiré et audacieux, frais et … jeune !
Comme un punk devenu intelligent (!), ce Ministry ne s’emporte pas, il s’impose par son calme et sa puissance maîtrisée, monté sur des lignes de basse rondes et groovantes comme on les entendait dans les 90’s. Alert Level, qui ouvre magistralement l’album, donne le ton et pose une ambiance pesante qui hantera toute la galette et en contaminera vicieusement chaque composition, même cette reprise de Iggy And The Stooges, Search And Destroy, de prime abord dangereuse pour l’équilibre du disque mais tellement bien digérée qu’elle sublime au contraire l’ensemble avec sa mélodie naïve et désenchantée.
Ministry, sans perdre une once d’intensité, s’éloigne cette fois-ci très clairement de l’approche thrashisante un peu facile qui était la sienne sur certains de ses albums les plus récents. Au contraire, le groupe prend ici son temps et épaissit les atmosphères apocalyptiques sur des titres très aérés comme l’inquiétant We shall Resist à la texture électro et au flow malingre faisant étrangement penser au Tricky des grands soirs ou encore Believe Me, très mélancolique et particulièrement touchant sous ses airs Cold Wave rappelant délicieusement les premières heures du combo. Ministry s’offre aussi un flirt éclatant et fructueux avec le dub sur le très réussi (mais tous les titres le sont) Death Toll. Je pourrais ici citer tous les morceaux tant ils se complètent et apportent, chacun à sa manière, une solide pierre à cet édifice somptueux mais je me contenterai de terminer cette distribution de bons points en mettant en lumière la prestation bluffante de Jello Biafra sur l’incisif Sabotage Is Sex et ses chœurs célestes absolument grandioses.
Al Jourgensen, du haut de ses soixante trois ans (quelle classe) continue de dépeindre un monde qui court à sa perte à coups de riffs ciselés dans un metal ultra corrosif et de beats fracassants et massifs. Il maîtrise à merveille cet univers qu’il a construit, maîtrise avec insolence cette créature de sons à la fois organiques et purement électroniques, ce maelstrom d’arrangements et de samples, coupés et loopés avec génie. Al Jourgensen, soixante trois ans bordel (!), règne en monarque absolu sur une scène Metal Industriel qui lui doit tant.
Ministry, sur ce quinzième album, du haut de ses quarante années d’existence, n’a rien perdu de sa superbe et semble même se régénérer en nous proposant carrément ce qu’il a fait de mieux depuis très longtemps. Moral Hygiene n’est pas un disque de plus dans l’impressionnante carrière de ce groupe hors norme, il est un album important et pertinent qui viendra aisément trouver sa place aux côtés de quelques œuvres majeures dans la discographie des américains que le temps, dans son infinie sagesse, a justement rendu cultes et parfois fondatrices. Un mec a dit un jour que la vieillesse est un naufrage. Cette blague...
Tracklist de Moral Hygiene :
01. Alert Level 02. Good Trouble 03. Sabotage Is Sex 04. Disinformation 05. Search And Destroy 06. Believe Me 07. Broken System 08. We Shall Resist 09. Death Toll 10. TV Song #6 (Right Around The Corner Mix)