Evergrey semble, depuis un moment, plus que jamais déterminé à démontrer sa stabilité et sa force. Les sorties de qualité s’enchaînent avec régularité... voire même assez rapidement en ce qui concerne cette treizième production puisque A Heartless Portrait sort un tout petit peu plus d’un an (seulement) après son excellent prédécesseur, Escape Of The Phoenix. A ce propos, le phénix s’est en effet bel et bien échappé puisqu’Evergrey a quitté AFM pour le label Napalm Records qui se fait un malin plaisir d’enrichir son écurie depuis quelques temps à tel point qu’il peut désormais joliment concurrencer une grosse pointure comme Nuclear Blast. Changement de maison de disques donc mais stabilité du line-up, tout a l’air de bien fonctionner pour les Suédois qui ont profité du manque de tournées mondiales pour se lancer dans l’écriture et l’enregistrement d’un nouvel opus se situant quelque part entre changement (un peu) et continuité (surtout).
Dès les premières mesures de Save Us, on retrouve toute la pesanteur et la noirceur dont le groupe est capable avec un riff puissant et une batterie massive... l’ambiance n’est évidemment pas à la fête mais la mélodie n’est pas en reste, notamment sur un refrain majestueux portant la griffe du frontman Tom Englund, à savoir un aspect assez poignant. La production est bien moderne et solide, on a l’habitude... la petite nouveauté vient de l’inclusion de chœurs fournis par les fans du groupe (sollicités via les réseaux sociaux). Sympa. L’opération est d’ailleurs renouvelée sur l’excellente piste suivante, Midwinter Calls, que je trouve encore meilleure que le morceau d’ouverture. Gros riff saccadé soutenu par de la double grosse caisse, clavier inquiétant mais lignes de chant très accrocheuses... on est sur du metal costaud mais très "single" (ça tombe bien, c’en est un) avec un refrain épique particulièrement entêtant. Les "ho hoooo" des fans participent évidemment à l’élan emphatique et fédérateur de la compo.
Après ce démarrage direct, vindicatif et sacrément efficace, Evergrey calme légèrement ses ardeurs (comme il le fait depuis quelques albums) avec une piste plus calme en troisième position : Ominous traîne donc sa mélancolie sur six minutes et propose des arrangements électroniques plus importants qu’à l’accoutumée, concernant le chant trafiqué d’Englund surtout. Il ne s’agit pas d’une ballade mais d’un morceau noir et pesant traversé par de très beaux solos de guitare. On remarquera d’ailleurs qu’une fois encore, Henrik Danhage (déjà très en forme sur l’album précédent) s’est surpassé dans ce domaine et nous offre tout au long de ce disque de magnifiques interventions dont il a le secret. A part cela, la qualité, les ambiances, les mélodies raffinées, le chant expressif, les claviers remarquables de Zander, bref tous les ingrédients que l’on est en droit d’attendre de la part du quintet sont au rendez-vous. Et pourtant, lors des premières écoutes, j’ai été (très) légèrement déçu. Pourquoi ? Difficile à dire. La sensation que le groupe avait peut-être un peu de mal à renouveler sa formule (même si les arrangements électro de plus en plus modernes, l’abandon des gros riffs djent parfois adoptés sur quelques albums récents et la présence de quelques titres très accrocheurs, aux mélodies et arrangements presque pop - terme à prendre avec des grosses pincettes ici - font que ce Portrait n’est pas une décalcomanie de l’album précédent) ? Le sentiment que, malgré la présence de Save Us, Midwinter Calls, The Orphean Testament et Blindfolded, l’ensemble manque peut-être parfois de riffs marquants ? Certes, le gros son, les chouettes ambiances et les beaux solos ne manquent pas à l’appel pas mais j’ai occasionnellement l’impression que les guitares rythmiques ont une fonction presque "décorative" (sur Reawakening, notamment).
Cependant, la déception (très relative, j’insiste, car j’ai aimé beaucoup de choses dès le début) a été de courte durée et cette treizième production a rapidement gagné des points au fur et à mesure des écoutes successives... Parce qu’il est difficile de se sortir de la tête les mélodies des accrocheuses Call Out The Dark ou Heartless (elles aussi auraient fait de très bons singles), parce que A Heartless Portrait n’est finalement pas si homogène (stylistiquement parlant) qu’il en avait l’air au début (il y a d’ailleurs une jolie ballade, Wildfires, moins chargée et électrique que le reste de l’album, qui permet à l’aventure de s’achever sur une touche plus délicate), qu’il s’avère plutôt bien rythmé et équilibré (avec ce qu’il faut de gros riffs et de muscles, sans abandonner l’émotion et les passages plus subtils qui sont la marque de fabrique du groupe) et qu’au final, ce ne sont pas les morceaux de bravoure qui manquent (je vous conseille la très belle The Great Unwashed... quel refrain ! Quel solo !).
Verdict : A Heartless Portrait est un album épique et probablement un peu plus grandiloquent et bardé de "hits" qu’à l’accoutumée. En dépit de quelques petites réserves initiales et du fait que je continue de trouver qu’il lui manque un petit quelque chose pour être qualifié de chef-d’œuvre ou s’élever au même rang que son prédécesseur, il ne fait que confirmer qu’Evergrey a toujours la classe. Très recommandé.
Tracklist de A Heartless Portrait (The Orphean Testament) :
01. Save Us 02. Midwinter Calls 03. Ominous 04. Call Out The Dark 05. The Orphean Testament 06. Reawakening 07. The Great Unwashed 08. Heartless 09. Blindfolded 10. Wildfires