Artiste/Groupe:

Dream Theater

CD:

Distance Over Time

Date de sortie:

Février 2019

Label:

Inside Out Music

Style:

Metal Progressif

Chroniqueur:

JimBou

Note:

16.5/20

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Dream Theater - Distance Over Time ou le réveil de la bête

C'est devant un public comble et aux aguets que le théâtre des rêves rouvre ses portes ce soir, pour une pièce fraîchement intitulée Distance Over Time. Si la tension est palpable jusqu'au dernier rang et que l'excitation est à son comble, c'est parce que tous sont venus admirer le spectacle et l'entrée en scène d'une troupe de prodiges dont la régularité, presque aussi précise qu'un métronome, ne leur laisse que peu de répit, en dépit de récurrentes et massives critiques tant acerbes qu'élogieuses. Collée au fond de son siège, l'audience, dont les yeux sont braqués et les oreilles tendues, espère plus que jamais un retour digne de ce nom. Mais l'affaire est loin d'être gagnée d'avance car The Astonishing, l'œuvre précédente, a laissé des traces ou même des cicatrices dans le cœur de chacun. Il faut dire que ce double-album long de trente-quatre pistes, trop irrégulier et fastidieux à la fois, avait de quoi refouler les émotions, voire stopper les ardeurs de certains férus de la première heure.

Mais Dream Theater en a vu d'autres tout au long de sa carrière auréolée de trente années de succès en dent de scie. Et si le groupe jouit plus que jamais d'un statut légendaire aujourd'hui, c'est parce qu'il a toujours su se relever face aux critiques et épouser les tendances à sa manière, malgré les nombreuses accusations de plagiat ou d'inspirations trop caractérisées auxquelles il a dû faire face. Le départ inattendu du très apprécié batteur et membre fondateur Mike Portnoy en 2010 ne leur avait pas facilité la tâche non plus, car en dépit d'un A Dramatic Turn of Events plutôt réussi l'année suivante, le groupe avait perdu de sa saveur aux yeux de certains. Une saveur que les Américains ont néanmoins toujours tenté d'entretenir, grâce à un nouveau batteur de qualité du nom de Mike Mangini, soigneusement intégré dans un groupe toujours aussi soudé.

À l'occasion de ce quatorzième opus, qui marque leur première collaboration avec le label InsideOut, le quintet Américain s'est d'ailleurs réuni en grande pompe dans un chalet luxueux pour une conception et un enregistrement basés sur la cohésion et la chaleur humaine. Un choix clairement affirmé, si l'on en croit les dires récentes d'un John Petrucci lassé de voir les membres du groupe s'envoyer les fichiers à distance sur les précédentes réalisations. Des conditions idéales et surtout nécessaires pour un groupe qui avait besoin de se retrouver et qui prône, plus que jamais, ce fameux retour aux sources tant attendu et demandé.

C'est donc au bout du suspense et avec les publications successives des trois premières pistes de l'album en pré-parution que la réponse à toutes les questions arriva : oui, Dream Theater est revenu. Une réponse certes catégorique mais qui rencontrera, comme la coutume le veut, son lot de demi-mesures, avec ses détracteurs et ses convaincus habituels. Car si le retour en bonne et due forme semble certain, le retour aux sources l'est moins. Untethered Angel, la première des trois bêtes lâchées dans l'arène, s'avérait en tout cas plutôt prometteuse. Car au delà de cette introduction typiquement Dreamesque, le riff principal, né dans un premier temps sur les frettes de la basse de John Myung puis mijoté et repris par un John Petrucci inspiré, sera le fer de lance d'une flopée de variations aux airs proches d'un antérieur Systematic Chaos (2007). Pas de quoi casser la baraque mais assurément de quoi donner le sourire, car cette musique, aussi bien ficelée que réalisée, n'aurait pas fait tache sur une des œuvres du Dream Theater de la décennie précédente. Fall Into The Light ne sera pas non plus exempt de rictus, car comme un écho venu du temps de Train Of Thought (2003) et de Octavarium (2005), là où, comme évoqué plus tôt, les inspirations du groupe faisaient le plus débat, Metallica surgira dans la plupart des esprits. Rien de nouveau à l'horizon, car John Petrucci, comme toujours en première ligne, n'a jamais caché l'impact qu'a pu avoir ce dernier sur ces compositions. Et si l'on ne rechignera pas pour dire que Fall Into The Light est un pur produit de Dream Theater, certains éléments nous rappelleront, il faut le dire, certaines heures du géant du Big Four. A commencer par le riff d'introduction dont les penchants et la sonorité feraient rappeler aux plus pointilleux un étrange mix entre Hardwired et la période Load/Reload. La structure du morceau quant à elle, dont les premiers riffs aboutissent sur un break acoustique, rapidement survolé par un solo des plus mélodiques évoquera celle de la mythique Master Of Puppets. Rien d'évident, ni d'innocent si l'on s'en fie au passé bien rempli de Dream Theater. Et comme pour brouiller les pistes, Paralyzed fermera la marche des singles dans son format condensé d'à peine quatre minutes habituellement réservé aux ballades (si l'on exclue l'album éponyme de 2013). Un choix logique pour le groupe, qui n'a pas ressenti le besoin de faire durer un morceau déjà si abouti et si dynamique dont le refrain est particulièrement efficace. 

Ce cap de parution passé et devant un bilan des trois morceaux plutôt positif, chacun était plus que jamais dans son droit d'espérer une suite à la hauteur de l'événement. Et c'est avec Barstool Warrior que les choses sérieuses allaient enfin pouvoir commencer. Une longue introduction mélodique dont seul John Petrucci détient le secret, un James LaBrie qui, aux détours d'un riff confectionné spécialement pour lui, se libère enfin de ses chaînes avec quelques envolées lyriques : pas de doutes, c'est le Dream Theater qu'on connait. Et ce n'est pas Room 137 qui va gâcher notre plaisir, car le morceau dont le profil est relativement similaire à celui de Paralyzed, s'avérera tout aussi efficace. On notera la première participation de Mike Mangini à l'élaboration des paroles, lui qui était resté jusque-là infailliblement attelé à ces fûts. Et si l'on en croit la très bonne performance de LaBrie, le bonhomme sait y faire ! 

Quelques secondes plus tard, si vous entendez un John Myung à deux doigts de casser ses cordes de basse, c'est que S2N vient de démarrer. La couleur est annoncée et seule la teinte va changer dans ce morceau qui démarre en trombe et qui s'annonce d'ores et déjà plus agressif que les autres. Du haut de ce BPM explosif, qui rappelle ce bon vieux Train Of Thought (2003), les amateurs de sensations fortes trouveront leur compte. Oublions les breaks transitoires et accueillons comme il se doit ce festival de riffs durant lequel le groupe entier se laisse aller sans ménagement. Le point culminant restera, si l'on exclut l'excellent solo de Petrucci, ce riff de fin aux pointes incisives qui servira de support à une des envolées les plus épiques du clavériste Jordan Rudess au sein du groupe. Les démons progressifs du théâtre des rêves sont bel et bien revenus dans leur forme la plus pure. Chose qui va définitivement se concrétiser avec At Wit's End, dont la durée avoisinant les dix minutes, livrera elle aussi son lot de sensations, alternant cette fois-ci breaks et variations complexes en tout genres. Mais le seul vrai break surviendra avec Out Of Reach, l'unique ballade de l'album dont les paroles, signées James LaBrie, traitent des violences commises envers les femmes dans le sens large du terme. Le chanteur y délivre ici un message touchant et émouvant, qui lui tenait à cœur depuis longtemps. Puis sitôt remis de ce moment d'émotion, les Américains remettront une dernière fois le couvert avec Pale Blue Dot, piste enjouée et dans la veine de S2N, pour clôturer l'album sur une bonne note.

Ainsi s'achève Distance Over Time, un album qui, du haut de ses cinquante-sept petites minutes se sera montré particulièrement surprenant, dans le bon sens du terme. Exit les musiques à rallonge qui sont de coutume, le groupe a soigneusement décidé de miser sur une énergie plus criante que tape-à-l'œil pour un pari qui s'avère gagnant. Nous ne pourrons que saluer une performance réussie de long en large et les plus enthousiastes pourront même crier à l'exploit, car cette troupe de vétérans ne lâche définitivement pas le morceau. Nous retiendrons la performance d'un Mike Mangini plus à l'aise que jamais derrière sa batterie et celle d'un James LaBrie qui a su relever la barre après un début d'album assez discutable. Et si cet album ne possède en définitive pas vraiment de points faibles, il ne sera pas non plus exempt de toute critique. Mais si la comparaison avec certaines œuvres du passé ferait mal à cet opus, le rideau de la scène progressive peut se refermer sur un tonnerre d'applaudissements.

Tracklist de Distance Over Time :

01. Untethered Angel
02. Paralyzed
03. Fall Into The Light
04. Barstool Warrior
05. Room 137
06. S2N
07. At Wit's End
08. Out Of Reach
09. Pale Blue Dot

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