Nouveau venu parmi les festivals, l’Urban Discipline débarque sur Toulouse alors que les scènes locales connaissent quelques remous. A l’organisation, on trouve l’association Noiser, incontournable dans le coin, dont on ne saluera jamais assez la qualité des plateaux proposés et le job fourni pour permettre à nos musiques d'exister en live dans notre belle région. En effet, les fermetures de salle s’enchaînent avec la mise en liquidation judiciaire de l’estimée Usine à Musique succédant à l’annonce de l’arrêt programmé des concerts au Connexion dans le cadre d’un changement de propriétaire. Il semblerait pour ce second lieu que le tapas fonctionne mieux que la salle / bar concert. Les travaux tardant, on conserve un semblant d’espoir pour ce haut lieu hyper attachant tant celui-ci est absolument parfait pour des formats type hardcore. Ce qui est certain, c’est que l’Usine à Musique est à l’arrêt et que le réputé festival Ready For Prog a dû renoncer et cela est tout aussi désolant pour tous les acteurs qu’inquiétant. Noiser continue de tenir la baraque, chapeau à eux et forcément on est bien content d’aller découvrir ce nouveau festival sur deux jours où une bonne partie de la programmation est constituée de groupes locaux. L’objectif assumé du festival est de rendre hommage aux cultures urbaines en tous genres ce que retranscrit la référence directe, assumée (et très maline) à ce qui est – et restera – un classique du hardcore par Biohazard. Derrière ce patronyme se cache une réflexion sur ce que sont devenues les villes, le rapport à l’altérité, la société de consommation et l’impasse morale et intellectuelle qui en résulte. Vaste réflexion qui tend malheureusement à disparaître du débat public mais c'est là une tout autre réflexion dont on s’étonne qu’elle ne semble plus exister qu’en local.
Bon, puisqu’il faut bien que je râle un peu, le second jour de programmation tombe le soir de la finale de la coupe du monde de rugby. Probable que tout le monde s’en moque mais on est à Toulouse ce qui change la donne. Enfin, notre XV de France ayant échoué dans sa noble quête, certes bien « aidé » en cela par un arbitre dont la prestation laissera longtemps beaucoup d’amertume aux fans du ballon ovale (ce qui ne doit pas occulter nos propres lacunes et tenter d’améliorer ce qui dépend de nous), cet événement présente dès lors bien moins d’intérêt. Problème, l’auteur de ces lignes ayant pris des dispositions antérieures, ce n’est que le premier soir qui sera chroniqué ici. Aussi, nous sommes en pleins congés de Toussaint et on le sait, une partie du public provient de ce monde étudiant si dynamique mais fort heureusement l’affluence sera très bonne sur ce fest ce qui fait plaisir. Il y a déjà pas mal de points à évoquer. Et des bons.
Le Metronum accueille cette première édition et dès l'ouverture, on trouve déjà le patio intérieur bien occupé où les traditionnelles discussions d’avant-concert bière en main ont déjà cours. C'est moins le cas dans la salle lorsque les musiciens d'Enola investissent la scène et ça sonne creux. Mine de rien, c'est là qu'on voit qu'une bande son en introduction a du bon, rien que pour rameuter les troupes. Fort heureusement, le bruit aidant, le public débarque et la salle se remplit convenablement. Et c'est heureux car Enola qui a l'honneur de lancer les hostilités va délivrer un très bon show. Avec sa dimension « post » et des aspects chaotiques dans sa proposition musicale, Enola tape juste avec des morceaux étirés bien construits à l’excellent rendu. La mise en son est excellente comme toujours au Metronum ce qui permet à Enola de bien s'exprimer. Rapide aparté histoire d'éviter des redites sur ce sujet, le son sera impeccable pour les quatre groupes du soir et c'est à souligner. Enfin, les habitués du Metronum le savent désormais, ici c’est une constante.
Au bout d’une demi-heure passée trop vite, Enola reçoit de bonnes réactions d'un auditoire emballé. Le batteur et le guitariste échangent de nombreux sourires et cela ressort bien dans une performance d'ensemble très réussie. Naviguant entre hardcore chaotique, passages sludge, porté par un chant hurlé assez profond, Enola tient là une bonne formule. Avec un premier album dont je vous recommande la très bonne chronique de Fabulous, Enola tient là un post-hardcore varié et assez personnel pour capter l'intérêt. Et de deux chroniqueurs de notre estimé webzine conquis par Enola. Bon job.
Plebeian Grandstand
Place maintenant à la proposition musicale la plus conceptuelle de cette édition. Plaisir de l’organisateur qui a fait appel à d’autres locaux avec Plebeian Grandstand. Je ne résiste pas à commencer par citer le descriptif qu’on peut trouver sur le site officiel du fest. Que le lecteur veuille bien s’accrocher, c’est assez foutraque. « Plebeian Grandstand crée un Metal extrême dissonant et émotionnel ... mettant en avant leur style écrasant et très innovant. Le groupe crée une tension constante en brouillant les frontières du black metal d’avant-garde, du hardcore chaotique, du jazz explosif, du noise corrosif, de l’électronica expérimentale et du death industriel dans une forme ultracontemporaine de « post-metal » dans l’application la plus vraie de ce terme ». Alors je ne veux pas tomber dans la critique aisée de l’Art Contemporain (auquel je ne suis ni éduqué ni réceptif) mais sincèrement, difficile de ne pas tomber dans la petite moquerie complaisante tant cela sonne pompeux. Parce que c’est bien d’être « ouvert d’esprit », très bien même mais bon à un moment il faut que cela sonne a minima audible et que l’auditeur puisse suivre. Et mélanger différents styles et proposer une formule cohérente n’est pas donné à tout le monde. N'est pas Rage Against The Machine qui veut ! Pour être franc, j’ai essayé de bonne foi ce concert malgré de sérieuses réserves en amont (n’étant absolument pas fan de Black Metal et plus généralement de metal extrême) mais franchement ce n’est pas une musique accessible à tout un chacun et je n’ai pour ainsi dire pas compris grand-chose à ce qu’il se passait. Méconnaissance de ma part, mais là j’avoue avoir été complètement dépassé par la musique, clairement trop exigeante pour moi. En un mot trop extrême. J'ai bien reconnu la dernière piste (dont je partage le clip ci-dessous) et ça tapait très dur et pour le coup plutôt efficacement avec ce matraquage écrasant tout sur son passage. Un rapide salut du groupe et s'en va, Plebeian Grandstand a toutefois bénéficié d'une assistance concentrée et a été bien reçu ce qui m'a semblé mériter tant le groupe est en place et précis et tant pis pour mes réserves qui ne sont que de mon fait. Reste que l’organisateur s’est fait plaisir et Plebeian Grandstand a été une rampe de lancement très cohérente pour Celeste, très attendu et qui va frapper très fort.
Dans la continuité de Plebeian Grandstand, Celeste arrive avec son sludge / post-hardcore si percutant. Une bande son est lancée alors que les musiciens débarquent sur scène. Derrière la scène, un écran occupant tout l'arrière de la scène diffuse une vidéo du groupe. C'est par un instrumental que Celeste commence et le rendu est d’emblée impressionnant. Son surpuissant, hyper compact, ça démarre très (très) fort. Dès la fin de ce premier morceau, les musiciens se retournent et mettent ces fameuses lampes frontales à la lumière rouge où j'ai pensé à des joggeurs / runners mais en version post-black metal. La scène va dès lors majoritairement se teinter de rouge en dépit de quelques variations légères au sein d’un très beau jeu de lights. Le rendu est très immersif, réussi et la musique du groupe, basée sur les ambiances, est ainsi superbement mise en valeur. Toutes celles et ceux les ayant vus live le savent mais quel show !! Celeste c’est vraiment bluffant, le show passe à une vitesse folle grâce à une fluidité d'ensemble remarquable. Les vocaux sont très profonds, à la batterie ça frappe très fort et les guitaristes régalent avec de beaux passages post très réussis, d'une lumineuse noirceur.
J'ai vraiment aimé ce concert avec des riffs bien sludge, très réussis et parfaitement relevés à la sauce post. Ah on est loin d'un Crowbar plus poisseux et je trouve que ce type de riffs fonctionne à merveille avec ce traitement. L'écran n'est étonnamment plus utilisé ce dont je ne me suis d'ailleurs rendu compte que le lendemain en y repensant preuve que cela ne pose aucun souci. C'est juste un peu surprenant avec le recul car l'écran n'était pas petit et n’a finalement été que très peu utilisé. C’est bien le jeu de light traditionnel de Celeste qui fait sensation. Je les avais déjà vus en fest et cela m'avait déjà bien plu mais en salle, c'est encore plus marquant. Mention spéciale à ces trois jeunes pogottant ce qui est assez rare pour un concert de post-black. Vraiment sympa de les voir ainsi s'amuser. Epais, intense, ultracompacte, Celeste a tout écrasé et ravi un auditoire sur lequel il aura marché pendant trois quarts d'heure haut de gamme. Sacré groupe, grand concert. Celeste c'est vraiment à voir.
Changement d'ambiance avec Will Haven avec qui on finit cette première soirée. Formation hardcore plus traditionnelle et qui fera la jonction avec la programmation du deuxième soir, ouvertement orientée hardcore entre les locaux d’Alea Jacta Est, au hardcore plus metallisé, Aurore, Ørdem qu’on commence à bien connaître et dont on mentionnera le premier disque sorti ce jour. C'est Sheol plus downtempo qui ouvrira cette seconde journée.
Chaotique (où l’ouverture du fest par Enola prend tout son sens), avec des influences allant de Neurosis à Jane’s Addiction, Will Haven présente une efficacité redoutable. Le groupe américain sera le seul artiste "international" de ce festival et c'est une belle prise pour l'organisateur. Réputé pour ses premiers disques référentiels, Will Haven a ensuite connu de nombreuses turpitudes avec un line-up soumis à de nombreux changements et notamment frontman ayant enchainé les départs et retours au sein du combo.
Expérimenté, le combo tient sa scène comme il faut. On a changé d'atmosphères et particulièrement de type de chant. Il faut se réadapter mais c'est ça un festival. On sait faire. L'aspect chaotique me perturbe un peu mais les riffs de guitare, d'une efficacité redoutable, permettent de bien remettre tout le monde à l'endroit et de frapper là où ça fait mal. Je dois tout de même admettre que passer après Celeste me semble mission presque impossible ce soir mais Will Haven avec un réel savoir-faire s'en sort plutôt bien ce qui n'était pas gagné.
Ainsi prend fin une première soirée franchement réussie avec un public bien présent et réceptif et ce en dépit du contexte évoqué plus haut. Le second soir semble avoir très bien fonctionné. L'organisateur a par ailleurs exprimé une réelle satisfaction avec un nombre de ventes positif surtout avec le peu de temps entre l'annonce du fest et sa réalisation. Pour tenter une modeste synthèse, voilà un festival bien né qu'on espère vraiment revoir en 2024. Il sera ainsi temps de développer les aspects visuels du festival, travailler un peu la scène bref affiner ce concept qui me semble très bon et qui a su trouver d’emblée son public bien aidé en cela par l’aspect local des formations proposées toutes au niveau ce qui est aussi à saluer.