Découverte tardive pour moi, Touché Amoré est un réel bonheur à découvrir. Constitué en 2007 avec un effectif stabilisé en 2010, le groupe a rapidement connu un grand succès au sein de la scène screamo / post-hardcore avec les deux disques cultes au sein de cette scène que sont Parting The Sea Between Brightness And Me (2011) et Is Survived By (2013). Deux disques fougueux, impétueux et d’une énergie phénoménale, ce qui avait permis au groupe de se faire une belle place au sein de cette scène, underground de nature. Entre émotion, puissance, paroles abouties, Touché Amoré avait sorti là deux disques référentiels. Le groupe a ensuite pris son temps, un peu contraint et forcé avec le vocaliste Jeremy Bolm contraint de se retirer pour raisons personnelles car rattrapé par les vicissitudes de la vie avec le décès suite à une longue maladie de sa mère. Trauma important qui sera le thème de Stage Four paru en 2016 et qui, outre une signature prestigieuse chez Epitaph, voyait Touché Amoré ajuster quelque peu sa formule, plus orientée mélodie et comme évoqué portée par une thématique sombre avec les tourments légitimes de son talentueux hurleur. On retrouvait d’ailleurs cet équilibre sur Flowers & You, titre fantastique avec des guitares d’une beauté à couper le souffle (intro / refrain stratosphérique), des rythmiques endiablées (couplets) avec en prime des vocaux écorchés magistraux (auxquels on ajoutera quelques punchline splendides « I Am heartsick and living in the past »). La rage adolescente toujours bien présente, un esprit hardcore mélodique qui rappelle merveilleusement la scène du même nom du début des 90’s et ce contrepoids entre fureur et légèreté mélodique. Touché Amoré nous vient de Californie et cela s’entend je trouve. Point d’ambiance lugubre type grunge de Seattle mais une luminosité permise par des guitares incroyablement créatives offrant cet équilibre remarquable. Sur ce Stage Four, on peut citer les New Halloween, Rapture (fantastiques lignes de grattes encore) ou autre Displacement, de vraies pépites qui s’écoutent à merveille et dont on ne se lasse pas. Grand succès critique pour un disque hyper abouti, devenu là encore une pointure du genre même si l’aspect émotionnel a pu en exaspérer certains, les raccrochant à la décriée scène émo. La sensibilité est affaire de personne et clairement, Jeremy Bolm offre la sienne de manière presque impudique mais surpuissante, renvoyant tout un chacun à ses tourments dans un bel effet miroir.
On a ensuite perdu de vue les garçons qui en ont profité pour réenregistrer leur premier méfait de 2009 (pour le renommer Dead Horse X) puis nous sont revenus avec Lament, album objet de cette chronique même si le lecteur l’aura compris, j’en ai allègrement profité pour brasser la carrière du groupe, trop peu cité sur ces pages où il est vrai, le post-hardcore ne tient pas la place d’honneur. Pour Lament, le groupe a fait appel à Ross Robinson, plutôt connu pour sa contribution à la scène néo-metal loin de l’univers de nos californiens. Il est vrai que Touché Amoré a finalement connu une trajectoire « classique » avec une hyper fougue sur leurs premières œuvres avant de s’assagir, les années passant, la maturité arrivant (avec on l’a vu les drames de la vie qui accélèrent ce processus finalement naturel). Le groupe a donc cherché à se réinventer, ce qui peut expliquer la dynamique plus mélodique de Stage Four. Sauf que, autre mécanique bien connue de l’industrie du disque, lorsqu’une formation s’éloigne ne serait-ce qu’un peu de son style initial, il y a souvent lever de boucliers chez ses fans hardcore (à prendre dans les deux sens du terme). Rien que de très légitime là encore mais rien d’anormal non plus. Il faut bien évoluer non ? Surtout dans un style qui a une tendance à vite tourner en rond. Jeremy Bolm a ouvertement souhaité changer de sujet, voulant par là passer à autre chose à titre personnel, ce qui se comprend bien et dans cette volonté de proposer autre chose. Musicalement, on retrouve toujours une réelle continuité avec Stage Four avec de petits missiles hardcore mélodique où la dimension screamo a bien diminué (ce qui me va bien). Typiquement, un Reminders, avec un fort potentiel commercial, très catchy, développe une dynamique très fédératrice jusqu’au clip, hyper feel-good. On retrouve encore cette impressionnante capacité à pondre du titre qui claque, hyper efficace avec cette voix écorchée vive qui peut déstabiliser au début avant, les multiples écoutes aidant, de se révéler indispensable et parfaitement complémentaire à une musique corrosive, offrant ainsi un compromis haut de gamme. Touché Amoré s’essaie même à la ballade post-hardcore (Limelight) et fait sensation avec une montée en puissance royale avant un refrain hurlé (« I Am Tired and I Am Sore, Sore, Sore ») où c’est la batterie qui prend les commandes. Grandiose et cette fluidité dans le changement de tempo est un modèle du genre. L’occasion aussi de valoriser le travail fourni par le batteur Elliot Babin, remarquable de créativité d’un bout à l’autre, véritable chef d’orchestre et gérant les tempi à merveille.
Très réputé et estimé dans la scène underground, Touché Amoré mérite d’être connu. Par la qualité de sa musique ce que j’espère avoir montré dans cette missive, aussi par la gentillesse et la sincérité dégagées par les musiciens qui ont de bonnes têtes de mecs sympas et sains. Et enfin par des prestations live à la hauteur de cette musique addictive, tant virulente que légère dans un équilibre tenant sur un fil sans jamais tomber d’un côté ou de l’autre. Il en ressort une fureur de vivre incomparable permise par un vocaliste hurlant ses tourments sur des guitares d’une beauté rare dans ce style, un brasier émotionnel, une furie poétique dont on ne ressort pas indemne. Une musique qui secoue autant qu’elle fait du bien. Abrasif et addictif !