Nous avions laissé The Reticent il y a tout juste quatre ans avec une sortie qui avait marqué mon année 2016. Le sombre et triste On The Eve of a Goodbye non seulement était musicalement réussi, parfait, mais il amenait avec lui un wagon d’émotions qui le rendait humain. Cette chronique du suicide d’une amie de Chris Hathcock, âme et leader de ce projet, vous touchait au cœur et mettait vos tripes à l’air. Il vous laissait avec un goût désagréable dans la bouche, une impression que ce genre de drame pouvait toucher votre entourage ou vos amis, et que, comme dans l’histoire contée, vous ne pourriez rien y faire. Un voyage implacable et irréversible dans le désespoir humain et un coup de cœur qui reste vrai encore en 2020. C’est donc vous dire si je me suis jeté sur la sortie programmée de The Oubliette, le second opus de The Reticent sorti fin septembre chez Heaven & Hell.
Le cheminement vers la sortie de The Oubliette a au préalable été pavé par la release d’une version très personnelle de Fade To Black de Metallica ; ce titre, qui ne se trouve pas dans l’album, met en place la thématique qui sera abordée : la maladie d’Alzheimer. Ceux qui espéraient, à défaut d’un album rempli de joie, tout au moins quelque chose de moins personnel, en seront pour leur frais. Cette reprise minimaliste, son rythme, son ambiance et la vidéo qui l’accompagne font plus que présenter le produit, ils vous donnent un avant-goût de vos souffrances à venir. La voix de Chris est incroyable, colle au titre et aux paroles. Et même qu’à cause, peut-être, de la situation actuelle, ça en devient flippant.
The Oubliette a été réalisé avec une approche très similaire de celle utilisée pour On The Eve of a Goodbye. On le sait, Chris Hathcock est un homme à tout faire ; Comme pour le précédent album, il a écrit tous les titres, il les chante et joue tous les instruments (guitare, basse, claviers, batterie et percussions) de The Oubliette. Il fait tout, à l’exception du rôle de lead guitariste qu’il laisse à James Nelson et à la production, mixage et masterage, laissés aux mains expertes de Jamie King ; c’est donc encore un produit très personnel. Le choix du sujet l’est aussi. Il relate le progressif voyage dans l’oubli de Henry, qui est au cœur d’un documentaire sur la maladie et l’importance de la musique sur ses effets et ses malades (Alive Inside). Chris avoue que la sortie, retardée par des problèmes de santé du compositeur, a pour objectif de « …fournir aux auditeurs une expérience audio émotionnelle et enrichissante, qui permettra à certains de mieux comprendre la maladie… ». Objectif atteint, dès la première écoute. Le disque nous conduit à travers les sept étapes de la progression d’Alzheimer. Les variations de styles (allant de la balade jazzy à un black de la plus stricte violence) parfaitement supportées par une approche metal progressif, le mélange des chants clairs et gutturaux, les incrustations sonores tirées du documentaire, sont faites pour nous immerger dans ce voyage sans retour. La musique met en image autant le point de vue intérieur du malade que les perceptions extérieures des spectateurs.
Sept étapes de déshumanisation, de Henry à la mort, représentée par une simple ligne comme titre du septième morceau, avec pour épitaphe des statistiques qui font froid dans le dos. Musicalement c’est génial. Dans His Name Is Henry, notre narrateur représente Henry comme quelqu’un, un humain qui ne comprend plus tout mais qui a encore des sentiments, de l’espoir. C’est varié, haché et musical, un poil jazz et latino. Le titre, franchement jouissif, reste enlevé, mais avec une ombre de tristesse qui représente la perte de repères envers les gens qui l’entoure et ceux qui l’ont abandonné. The Captive s’explique par son titre. Les premiers sentiments d’emprisonnement, physique et mental. Les ordres, le combat et la frustration de ne pouvoir renter à la maison sont présents ; et la violence de cette étape est parfaitement imagée par le l’axe death du titre associé à une rythmique hyper hachée et des ruptures thématiques magnifiques. J’adore.
The Palliative Breath nous met au cœur du problème, vu de l’intérieur. Lui (Henry) va bien, mais s’est isolé du reste. Des pièces du puzzle sont perdues. La douceur et la mélancolie du titre, guitare et batterie acoustiques mettent l’accent sur une face folk alors que l’autre face est résolument metal progressif, avec un place prépondérante donnée à la guitare de James Nelson et à la batterie de Chris. Musical et accessible. The Dream souligne l’isolement progressif. On ressent l’angoisse, même si celle-ci crée encore le lien avec l’autre monde, celui d’avant. Le titre est plus aérien. Les claviers et les voix plus douces apportent la touche de rêve un peu Pink Floydienne. Cette relative douceur est coupée par des phases plus hachées, phases de stress qui le lient encore avec cette réalité qu’il perd. Magique encore une fois. Cette douceur est suivie par son pendant négatif. The Nightmare, c’est le titre le plus tourmenté de l’album. C’est le sentiment de terreur qui s’abat sur Henry quand il comprend qu’il est en train de tout perdre. Violent autant musicalement que dans les textes (le There is no way out hurlé en fin de titre est pour le coup vraiment à faire des cauchemars…). Une vision de l’enfer avec ses démons que seul le black metal peut correctement représenter. La grandeur de cet fin inéluctable est encore accentuée grâce à l’utilisation d’un ensemble d’instruments à vent (dirigé par Chris en personne) qui donne un côté spirituel à cette chute. The Oubliette n’est pas encore l’étape finale, mais son antichambre. Henry est piégé vivant dedans, mais seul dans son esprit, imperméable à ce qui l’entoure. Les restes de sa vie sont entre les mains de ceux qui l’aiment. Collé dans un lit, il n’a plus d’autonomie et sa souffrance devient bien réelle ; Les notes tombent comme des larmes ; et le doom utilisé montre cette sorte de lente marche vers une fin inéluctable. La sensibilité exprimée dans la voix de Chris apporte du corps au message de Henry. I am awake dit-il, mais ce n’est plus lui qui décide. Alors autant mourir, please let me out... La septième étape, c’est la fin. Le bruit continu de l'absence de rythme cardiaque, sans battement ; le côté solennel des cloches, des voix et instruments classiques. Le repos, enfin, mais triste comme la pluie un jour d’enterrement.
Donc oui The Oubliette serait parfait, s’il ne réveillait pas en nous la peur la plus primaire, celle de mourir ; pire, de mourir comme ça, seul mais entouré. Chris Hathcock a donc réussi à faire aussi bien que pour le premier album ; et en plus en passant un message qui nous touche encore plus personnellement que le précédent. Un incroyable résultat et un album essentiel de 2020. Il nous laisse avec nos réflexions et celle qui nous rapprochent de notre fin. Triste ? Certainement. Essentiel ? Définitivement. Magnifique ? Complètement ! Et peut-être aurons nous l’opportunité de vivre ceci en live, lorsque Chris et ses troupes (James Nelson, Cliff Stankiewicz à la basse, Mitch Moore à la batterie, tous nécessaires pour jouer sur scène), reviendront et que nous pourrons ressortir voir du live.
Tracklist de The Oubliette :
01. Stage 1 – His Name Is Henry 02. Stage 2 – The Captive 03. Stage 3 – The Palliative Breath 04. Stage 4 – The Dream 05. Stage 5 – The Nightmare 06. Stage 6 – The Oubliette 07. Stage 7 - ________