Artiste/Groupe:

Shadecrown

CD:

0

Date de sortie:

Juillet 2025

Label:

Inverse Records

Style:

Death Melo, Doom Death Melo

Chroniqueur:

Le Diable Bleu

Note:

16/20

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Je n’avais qu’une vague idée de ce que pouvait bien recouvrir l’étiquette Metal “death/doom mélodique” lorsque j’ai croisé le nom de Shadecrown pour la première fois. Une étiquette qui peut faire tiquer, mais tout de même moins que celle qui concerne l’activité de "pleine/nature" (totalement absconse, celle-là !), vous en conviendrez. Une suggestion soumise à un clic matinal, et surtout machinal, puis soudain... un silence, le dernier, celui qui précède les révélations.

Au cas où vous ne le sauriez pas, Shadecrown est un groupe formé en 2012 à Viitasaari, en Finlande. Vous voilà donc au même niveau que moi, car, naturellement toujours en retard d’une décennie, je viens tout juste de les découvrir par pur hasard. Le nouvel album 0 possède indéniablement cette signature finlandaise, et dès la première écoute, il vous plonge dans un univers mélancolique. Viitasaari, Finlande. Là-bas, les forêts parlent plus que les hommes, et les guitares se souviennent de la peine des premiers hommes découvrant les glaciers. Après Agonia (2016), Riven (2019) et Solitarian (2021), voici 0, leur quatrième offrande. Et autant le dire tout de suite : ce n’est pas une simple continuité. C’est une montée, une épure, un point d’orgue.

0, comme un cercle imparfait. Comme un œil grand ouvert sur nos nuits intérieures. Battons campagne, car le sujet 0 doit être appréhendé avec force et décision. Il ne s’agit pas d’une énième sortie tiède d’un album de Death mélo. Vous allez toucher le boss du divin — ou, au pire... son adjoint. Car l’œuvre est traversée de frissons.

Entre mélancolie profonde et colère indicible, 0 va au-delà du Death Metal mélo pour lequel on connaît bien nos cousins finnois. En effet, cet album est bien plus sombre, plus vindicatif que les précédents. Il délivre pourtant une rythmique à la fois plus lourde et paradoxalement plus énervée. Les éléments investis y sont variés : d’un côté épique au son d’instruments classiques ; des atmosphères synthétisées envoûtantes ; des guitares heavy ; des growls rauques aux voix féminines placées judicieusement ici ou là. Tout concourt à un Metal varié, à la fois puissant et harmonieux, imposant et séduisant. L’album prend racine dans la mélancolie finlandaise — mais il pousse au-delà : plus lourd, plus mélodique, plus charnel. Il nous parle droit au cœur, entre colère rentrée et beauté tragique.

The Art of Grieving, porté par les growls profonds de Jari Hokka et la voix éthérée de Sheila Bernal, ouvre l’album comme on entrouvre une porte interdite. Piano noir, guitares en fusion, élégance funèbre. C’est un sommet de tension contenue, une mélodie qui serre la gorge. On pense parfois à Arch Enemy pour l’énergie, à Omnium Gatherum pour l’élégance des arrangements. Mais Shadecrown trouve ici un ton bien à lui : majestueux et vulnérable.

Puis vient Gone, plus lent, plus plombé. Les claviers prennent de l’ampleur, les percussions s’épaississent, le paysage devient brumeux. Le disque semble basculer vers un autre versant, plus introspectif. L’orage se fait latent. L’émotion, rampante.

Avec Zero, pièce centrale et sans doute la plus audacieuse, le groupe explore les contrastes vocaux avec un goût certain pour la dissonance maîtrisée. Les voix s’entrelacent, se répondent, s’effacent. On y sent la recherche, le doute, l’envie de sortir du cadre. Et c’est réussi.

Under the Waves est un monde à part. Intro folk et tambours païens, guitares rageuses, et surtout cette voix féminine qui embrase tout. On pense à Draconian, aux débuts d’Amorphis, à ces groupes qui savent manier la beauté comme une arme. Les changements de tempo, la richesse harmonique, les riffs brillants… tout concourt à nous plonger au cœur des forêts finnoises.

Inadequate renoue avec la veine finlandaise la plus pure : celle qui raconte le désespoir sans pathos, avec grandeur. Le solo est splendide, coulé dans la masse comme une larme dans une pluie noire. Le travail vocal est une leçon d’interprétation. Rien n’est forcé, tout est juste.

Sur Tear-Blind, dès l’intro, la présence du violoncelle de Vilma Peltokangas bouleverse. Une vibration d’outre-tombe qui donne chair à cette histoire d’agonie douce, presque consentie. Les voix masculines et féminines s’unissent, s’enlacent, dans une harmonie sensible, funambule. Ce morceau frôle la perfection narrative jusqu’à la dernière note du clavier.

Et puis vient Repentance, épilogue étrange. Plus lent, plus confus peut-être, un peu égaré, comme un rêve qui tourne court. Piste presque dispensable, pourtant elle recèle de belles idées : les guitares façon Insomnium, les claviers synthwave 80’s, l’ambiance SF d’un film oublié. Une sortie de route... mais pas de piste.

Shadecrown, assurément un groupe inspiré, ne se contente pas d’empiler des riffs et des lamentations. Leur signature, c’est cette capacité à conjuguer l’épique et l’intime, à faire vibrer la douleur avec élégance, à sculpter la nuit avec des notes claires. Les variations rythmiques, les multiples textures vocales, les instruments classiques, les instants suspendus — tout participe à dessiner cette superbe fresque d’une étonnante cohérence.

Et surtout, ils ne cherchent pas à masquer leurs failles. Bien au contraire : ils les exposent avec pudeur et sincérité. C’est ce qui les rend nécessairement si humains. Une production stratosphérique, des compositions riches et variées, et un sens aigu de la narration musicale : 0 est une réussite éclatante. Un disque sans doute pas créé pour consoler, mais qui pourrait vous accompagner. Un groupe qu’il me tarde déjà d’apprécier sur scène.

Le hasard, qui pourtant n’existe pas, est parfois bien foutu. Parfois, il nous couvre de beaux moments.
Je n’avais rien demandé. Et pourtant, on m’a offert un trésor.

Tracklist de 0 :

01. The Art of Grieving
02. In a State of Agony
03. Fragile Chapters
04. Gone
05. Zero
06. Under the Waves
07. Inadequate 
08. Tear-blind
09. Repentance

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