Warrel Dane, artiste et chanteur reconnaissable entre mille, à la voix si singulière et aux textes sombres ou torturés, vient de nous quitter le 13 décembre dernier, emporté par une crise cardiaque à l'âge de cinquante-six ans. Un nouvel album solo, Shadow Work, était en préparation, tout comme un nouvel épisode de ses aventures avec le groupe de heavy metal qui l'a fait connaître, Sanctuary, reformé il y a quelques années de cela. Il y en a des choses à écrire sur la carrière de Dane. Le monsieur laisse derrière lui une discographie intéressante et forte où la médiocrité n'a pas sa place. Pas facile de ne choisir qu'un album pour parler de lui aujourd'hui... mais pas impossible non plus car au milieu de tous les disques auxquels l'Américain a participé, une oeuvre se distingue tout de même du reste en ce qui me concerne : l'exceptionnel Dead Heart In A Dead World de Nevermore (groupe créé au début des 90s avec notamment Jim Sheppard, bassiste chez Sanctuary après le split de ce dernier).
Dire que Nevermore a pondu une collection d'album intéressants est une évidence. Je n'irai cependant pas jusqu'à affirmer que j'ai adoré chacune de leur proposition (j'ai notamment toujours eu un peu de mal avec The Politics Of Ecstasy, trop hermétique dans sa globalité, malgré la présence de quelques bombes comme l'excellente The Seven Tongues Of God)... En revanche, s'il y a un disque que j'ai écouté en boucle à l'époque de sa sortie (en 2000) et qui, pour moi, tutoie la perfection, c'est bien Dead Heart In A Dead World. Le groupe de Seattle reconduit sur ce quatrième album sa recette habituelle, à savoir une sorte de heavy sombre, parfois pesant, parfois plus véloce et proche du thrash, entre tradition et modernité, globalement assez torturé et paré de quelques touches progressives ici et là, en rendant toutefois sa musique un peu plus accrocheuse ou accessible qu'auparavant. Le résultat est impressionnant. Il y a des disques comme celui-là, qui s'imposent telles d'imparables évidences... Des albums où tout est là : l'inspiration, l'interprétation, la production (impeccable, première collaboration du groupe avec Andy Sneap), des oeuvres équilibrées à la fois puissantes, variées, sombres, écrasantes, agressives mais mélodiques, techniques mais émouvantes... avec des musiciens touchés par la grâce.
Sans préliminaire, Narcosynthesis déboule et vous percute avec sa double grosse caisse et son riff impitoyable. Le son est monstrueux. Pour cet album, le guitariste Jeff Loomis s'est équipé d'une sept cordes qui lui confère puissance et profondeur pour des riffs encore plus écrasants ! Cet album ne manque pas de muscle (We Disintegrate est enlevée et heavy, Inside Four Walls un peu plus mélodique que les deux pistes précédentes mais équipée d'une rythmique tranchante moderne, Engines Of Hate fait ressortir les penchants les plus thrashy du combo...) mais joue également pas mal sur les contrastes et l'équilibre, parfois au sein d'une même compo. Les amateurs de lourdeur apprécieront Evolution 169, au couplet hypnotique et lugubre mais dont le refrain se révèle assez beau et captivant (notamment grâce à la prestation toujours théâtrale mais nuancée de Warrel Dane). The River Dragon Has Come propose du riff décapant (et un break de folie avec un solo génial) mais commence en douceur avec de la guitare sèche, Dead Heart In A Dead World est une des pistes les plus torturées et redoutables de cet opus, pourtant, pendant ses quatre-vingt-dix premières secondes, on pense avoir affaire à la chanson la plus douce et sobre du disque. On se dit que The Sound Of Silence, reprise de Simon & Garfunkel, va apporter un peu de douceur mais la relecture de Nevermore en fait un titre thrash, sombre, brutal, si bien que la chanson d'origine en devient méconnaissable. Bref, vous l'avez compris, le quatuor de Seattle se fait plaisir et réserve à l'auditeur de nombreuses surprises. Et puis, il y a les vraies accalmies : des ballades très réussies qui étonnent de par l'émotion qu'elles dégagent ou suscitent. Comme c'est du Nevermore, ça reste sombre (ne vous attendez pas à du Aerosmith, hein) mais c'est beau : The Heart Collector est un hit (quel refrain !), Insignificant et Believe In Nothing (cette dernière aura même le droit à une vidéo) sonnent juste.
Le niveau d'écriture est au top, aucun morceau n'est faible, aucun n'est trop court ou trop long... Et comme dit plus haut, les musiciens sont impressionnants. Van Williams est un batteur hallucinant et son jeu puissant est mis à l'honneur ici. Jeff Loomis... que dire ? Il nous livre une succession de riffs et solos plus inspirés les uns que les autres. Ecoutez ce disque et vous comprendrez immédiatement pourquoi certains regrettent qu'il ne soit pas davantage mis à contribution au sein d'Arch Enemy (chez qui son talent est clairement sous-exploité). Et puis, il y a la voix atypique de Dane, sa prestance, son intensité, ses paroles loin d'être débiles aussi... Je m'arrête là sinon je vais finir par écrire un livre. Dead Heart In A Dead World est le chef-d'oeuvre sombre, intense, original et monstrueux de technique d'un groupe au sommet de son inspiration. Maintenant que Warrel Dane n'est plus, on peut malheureusement affirmer que c'en est définitivement fini de Nevermore (un espoir de reformation subsistait). L'un comme l'autre manqueront cruellement à la scène metal.
Tracklist de Dead Heart In A Dead World :
01. Narcosynthesis 02. We Disintegrate 03. Inside Four Walls 04. Evolution 169 05. The River Dragon Has Come 06. The Heart Collector 07. Engines Of Hate 08. The Sound Of Silence 09. Insignificant 10. Believe In Nothing 11. Dead Heart In A Dead World
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