C'est qui, les groupes qui nous resterons de la décennie 2010 ? Revenons un poil en
arrière, dans la belle histoire du rock. Les 70's ont vu quatre grandes naissances : le hard,
avec Led Zep ou AC/DC, le prog, avec Pink Floyd et Rush,
le punk, avec les Ramones et le metal, avec Black
Sabbath. Les années 80, c'est le point culminant de notre musique : Maiden, Judas, Metallica, Slayer, Helloween... Les années 90's sont un bouleversement,
avec le black d'Immortal ou de Mayhem,
le death de Morbid Angel ou Entombed, ceux qui ont osé les mélanges avec des
styles hors rock comme Faith No More qui pioche aussi bien dans le hip-hop que dans la
funk ou Rammstein (qui pioche dans les nouveaux sons
électroniques), le choc Pantera... Et puis les années 2000, qui ne semblent pas si
marquantes, nous ont quand même offert des trucs comme Avenged Sevenfold, System Of A Down, Gojira ou Mastodon, qui sont les nouvelles têtes
d'affiche.
Tout ça, c'est beau. Belle histoire. On ne met pas tout sur le même
pied d'égalité : évidemment qu'un Led Zep est largement
supérieur à un Mayhem (à tel point que ça me fait
même sourire rien que d'y penser), faut pas déconner. Evidemment que Ride The Lightning enterre largement Hail To The King. Je ne parle pas de qualité, je parle d'impact,
de popularité, de têtes d'affiches. Mais penchons-nous maintenant sur les années
2010. Qui sont les "grands" de ces années, qui resteront gravés dans notre beau bloc de
métal, de roche, de ce que vous voulez ? Ah, là, c'est plus compliqué.
Déjà parce qu'on n'a pas encore assez de recul, certes. Et puis surtout parce qu'il n'y
a pas eu tant de grands groupes qui sont nés pendant cette décennie. Sérieux,
réfléchissons. Quels groupes ont émergé durant cette décennie et
sont maintenant de gros arguments pour les festoches ? Ghost, sans aucun doute, qui divise la communauté metal
mais qui rassemble un sacré paquet de monde. Sabaton, qui est un peu plus vieux mais qui a surtout
cartonné ces dix dernières années (et qui a le même "problème" que
Ghost, amusant). Et quoi d'autre ? Quoi de résolument rock, de
résolument metal ?
Tu m'as vu venir, ami lecteur. Le chaînon manquant, le
voilà : Kverlertak. "Oui enfin bon, avec leur nom imprononçable, 'y a
pas de quoi fédérer, blablabla". Pardon ? Ami lecteur, te voilà bien
présomptueux. Laisse-moi te contredire, puisque je suis sûr que tu as déjà
entendu parler de ce groupe, voire tu as déjà écouté un de leurs albums.
Pas mal pour un groupe norvégien qui chante en norvégien ! Je n'évoquerai
même pas la barrière de la langue, vu que ça fait vingt-cinq ans (!) qu'on
écoute Rammstein et qu'on pige pas un mot d'allemand (cette phrase s'adresse
à ceux qui ont fait LV2 espagnol, bien entendu). Les Norvégiens ont déjà
trois albums à leur actif, un sans titre et le sympathique Meir - qui montrent un
groupe foutrement efficace mais qui se cherche encore un poil - et le très réussi
Nattesferd, qui montrait déjà une évolution du son et du style.
Parce que c'est quoi au juste, Kvelertak ? C'est le truc qui marche le
mieux quand on veut révolutionner un genre : un alliage. Quoi ? J'ai pas raison ? Qui ai-je
cité d'autre, dans les groupes 2010 ? Ghost, croisement improbable mais
efficace entre Abba, Blue Oyster Cult et Black
Sabbath (pour faire simple) et Sabaton, croisement putassier mais efficace
entre Hammerfall et le hard FM à gros renforts de refrains et
de claviers qui font tut-tut (no offense meant, je vous jure !). Kvelertak sonne plus
"trve" parce qu'il ne cherche pas la facilité, il ne cherche pas le refrain qui fait mouche, le
style qui plaira même aux anti-metal. Ca ne fait pas de lui un meilleur groupe à mes
yeux, certes, mais c'est notable. Kvelertak ne va pas chercher l'accessibilité
puisqu'il prend à peu près tout ce que notre belle musique a fait au cours de sa vie, le
mélange, rajoute un ingrédient mystère qui n'appartient qu'à lui et en
ressort quelque chose de tout à fait exceptionnel : Splid, que je surnommerai "le
metal de 2020". Il n'est ici nullement question d'un passéisme nostalgique : point de revival
heavy-speed-thrash-black, point de new-wave-of-new-death-machin-chose. Juste un style, unique,
foutrement efficace.
Si je me plains souvent des albums qui dépassent les cinquante minutes, qui pourraient souvent
être amputés d'un ou deux titres, il n'en est ici rien. Splid est varié
mais pas incompréhensible. Hétérogène mais pas bordélique. Il n'est
pas question ici d'empiler les styles et les influences pour se faire mousser. Il n'est pas question
de faire tourner un million d'idées nulles pendant quinze minutes pour faire croire à un
morceau "prog". Non non. Kvelertak amasse ces cinquante dernières
années de hard et de metal et compose avec. Et même quand ils frôlent
l'excès, comme sur Delirium Tremens, ils arrivent à l'esquiver, en
synthétisant tout ça de manière logique. Si la base du groupe demeure
influencée par le black (surtout pour le chant en fait, les trémolos et les blast-beats
ont presque disparu, sauf un tout petit passage sur Delirium Tremens et sur le dernier titre,
qui se lâche un peu), d'une énergie punk et d'un son stoner, le groupe innove en
rajoutant d'autres ingrédients choisis avec soin : hard-rock (on pense à
AC/DC sur Fanden Ta Dette Hull!), rock 70’ (des harmonies à la
Thin
Lizzy sur le même titre), thrash (avec un petit break à la
Slayer ici et des ambiances Metallica là), sludge (même
que Troy Sanders de Mastodon s'invite sur la géniale et
tubesque Crack Of Doom), heavy metal... Kvelertak se permet des passages
plus soft, des douces mélodies et même des refrains qui font mouche (après tout,
le groupe avait osé le presque hard-US sur l'excellente 1985, sur l'album
précédent). On a même des notes de piano et du tambourin par moments (sur
Rogaland par exemple, magnifique ouverture d'album) ! Une vrai synthèse de toute la
musique qu'on aime !
Je pourrais également parler du son, juste parfait. Tous les
instruments trouvent leur place dans le mix, basse comprise. Mince, ces mecs ont trois guitaristes,
comme un certain Maiden. Sauf que, contrairement à ce certain
Maiden, on a vraiment l'impression qu'ils servent tous et qu'en enlever un changerait
tout ! Le mix est, son "stoner" oblige, plutôt compact mais n'oublie pas de respirer quand il
faut, tout en mettant également en valeur les effets supplémentaires, notamment les
notes de piano, les claps et le tambourin que j'évoquais plus haut. Je pourrais
également vous dire que le groupe est tout à fait à son aise sur scène,
offrant à chaque fois des prestations bourrées d'énergie.
Je pourrais
même parler de la somptueuse pochette, encore une oeuvre de John Baizley - mais
si, le chanteur-guitariste-leader de Baroness. Mais à quoi bon ? A quoi bon continuer
à écrire ? A quoi bon faire encore traîner en longueur cette chronique qui est
déjà trop longue ? Au point où on en est, il doit rester trois personnes grand
max qui me lisent. Alors pourquoi ne pas m'arrêter tout de suite, claquer la provocatrice mais
ô combien méritée mention coup de coeur et vous laisser découvrir cet
album. Merde, je vous envie. Tiens, d'ailleurs, voilà un lien pour tout écouter, cliquez
ici.
Parce
que voilà, pour votre humble serviteur, ce que le metal doit être en 2020.
Titres
préférés : les morceaux entre Rogaland et Ved Bredden Av Nihil,
hihi Le tube : Crack Of Doom A deux doigts du gros bazar mais ouf, ça va :
Delirium Tremens Pas bien : attendez, vous avez pas lu ce que je raconte depuis tout
à l'heure ?!
Tracklist de Splid :
01. Rogaland 02. Crack Of Doom (feat Troy
Sanders) 03. Necrosoft 04. Discord 05.
Bratebrann 06. Uglass Hegemoni 07. Fanden Ta Dette
Hull! 08. Tevling 09. Stevnemote Med Satan 10. Delirius
Tremens 11. Ved Bredden Av Nihil
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