Il faut parfois tâtonner dans les pénombres pour trouver la juste voie, le bon chemin qui mène vers les portes de la félicité. En 2009, lorsque le guitariste Jesper Gräs a ressenti l’urgence de créer un projet aux accents de space rock, cette étape intermédiaire d’Iotunn ressemblait encore à une chimère en devenir. Ce n’est qu’aux alentours de 2014 que le son a commencé à s’ancrer, avec une stabilité inévitablement encore un peu fébrile, marquée par des tâtonnements incessants. Même la sortie d’un premier EP n’a pas suffi à éteindre les incendies du doute, inévitable et survolant toute nouvelle formation (et peut-être encore plus les anciennes). L’arrivée de Jon Aldara au chant (que certains ont pu entendre également chez Hamfero) et du bassiste Eskil Rask a permis à ce quintet venu du Nord, à ce quintet danois féroïen, d’ouvrir un horizon inattendu pour leur premier opus Access All Worlds. Aujourd’hui, nous avons affaire à Kinship, deuxième album de plus d’une heure, qui plonge ses racines dans la terre pour mieux filer embrasser les étoiles.
Alors qu’Access All Worlds résonnait tel un hymne à la découverte de l’infiniment espace, Kinship semble nous transporter à l’aube de l’humanité, dans la peau d’un membre d’une tribu originelle. Ici, le terme relation devient un fil d’Ariane, tissant des ponts entre les âmes et explorant l’étrange dualité de l’individualité et du conformisme. Ce n’est pas une simple continuité, mais une transmutation mystique : on retrouve toute l’empreinte mythologique du groupe, cette quête d’élévation spirituelle qui projettera peut-être, les lectrices et les lecteurs, au-delà des limites du corps et de l’esprit.
Les guitares se déploient avec l’ampleur des éléments déchainés, évoluant de riffs étonnants et sombres à la gloire du black Metal sur Earth to Sky vers des harmonies plus éclatantes et méditatives. Chaque solo n’est pas un simple ornement, mais une pierre d’angle de la narration sonore, où les deux guitaristes se livrent à un dialogue d’ombres et de lumières. La voix de Jón Aldará, puissante et polymorphe, porte en elle une vibration rare, un écho mystique qui nous transporte vers des terres inconnues. À la manière de Primordial, il oscille entre des registres épiques, des tessitures prog et des murmures angoissés, élevant chaque morceau vers quelque chose d’envahissant. Vérifiez par vous même avec ce somptueux Twilight.
Tout au long de l’album, la rythmique martelée par la basse et la batterie enracine l’ensemble avec une force tellurique. La basse, qui semble se réinventer à de nombreux détours, sonne par moment tel un souffle venu des profondeurs, émergeant pour enrichir le hurlement des guitares. Même si nul membre n’est placé devant un synthétiseur, des nappes sonores flottent telles des aurores boréales, illuminant l’immensité d’une scène glacée sous une nuit étoilée. Le titre acoustique Iridescent Way sert d’interlude, presque susurré, un bruissement qui rappellera aux âmes égarées que tout voyage doit trouver des étapes, des ancrages, comme un panneau détaillé lors d’un changement de direction sur le GR5. Ainsi orientés, baladez-vous sur le splendide The Coming End.
Enfin, The Anguished Ethereal conclut cette odyssée par une lente montée vers les cimes, où, dans un ultime souffle cristallin, l’album laissera l’auditeur face un sentiment d’émerveillement et de défi, l’invitant à reprendre le voyage tout en évitant soigneusement les embuches propres à un si long chemin (de 11 minutes). Alors amies lectrices et amis lecteurs, partez légers, balancez les lourds fardeaux tels que GPS, smartphone, réseaux sociaux, et en contrepartie équipez-vous légers, d’une simple montre toute banale, d’une petite boussole, d’un altimètre à aiguille et surtout d’une jolie carte de l’aventure, du genre 1/25 000 qui se lit comme un roman ... et rejoignez nous tous là-bas à Anguished Ethereal.
Chaque morceau de Kinship est un fragment d’épopée où les énergies se confrontent, où les forces cosmiques et terrestres s’unissent pour amener son lot d’envolées lyriques. Les auditeurs de Borknagar, que j’adore, retrouveront ici une parenté vibrante, plus particulièrement dans l’ampleur de la prestation vocale, confiée à un seul interprète, mais qui à lui seul résonne à l’instar d’une chorale.
Ambitieux, abondant, et surtout abouti ! Délicieux, délassant et vraiment élégant ...
Tracklist de Kinship :
01. Kinship Elegiac 02. Mistland 03. Twilight 04. I Feel the Night 05. The Coming End 06. Iridescent Way 07. Earth to Sky 08. The Anguished Etherea