"Il ne restait plus grand-chose du peloton. Les visages étaient blancs, les yeux égarés, les jambes mortes depuis des kilomètres. Et la voiture balai était déjà passée. Le seul bruit : celui du cœur. Lent. Très lent."
Il y a des étapes qu’on ne gagne pas. Il y a des albums qu’on ne termine pas. Pas vraiment. Pas sans y laisser des fibres, de la mémoire musculaire, quelques rêves devenus obsolètes.
Le Tour de France s’élance à nouveau cette année. Mais pendant que certains rêvent de maillots jaune, moi, j’ai pris une échappée solitaire, au sein d’un peloton fantôme composé majoritairement d’ombres : celui de Helllight, pionniers brésiliens du Funeral Doom. Pionnier tout court d’un style d’où émergent quelques superbes formations comme Doom:VS ou Draconian. Sept étapes. Sept calvaires. Une traversée à travers l’invisible. Et les jambes n’y suffiront pas.
Étape 1 – Echoes Of Eons Col du Silence Organique – 1re catégorie Premiers coups de pédale. Lents. Lourds. Les jambes veulent encore croire au miracle, mais déjà, l’air se raréfie. Une lourdeur incommensurable et étrange pèse sur les épaules. Une sorte de plainte s’élève des bas-côtés. Ce sont les voix des démons qui accompagnent les chutes et dont les cicatrices resteront profondément ouvertes. Rien ne presse, tout s’effondre à vitesse constante. Monstrueux prologue.
Étape 2 – As A Fading Sun We Lie Mur du Crépuscule – Hors Catégorie Un mur. Littéralement. Une montée à 13% de moyenne, de désespoir. Le soleil ne chauffe plus, il décline. Les guitares se couchent sur la route, en lames noires. Les voix s’élèvent, fragiles d’abord, claires, humaines, avant d’être balayées par un growl tellurique. On s’accroche aux poignées, on prie, on maudit. On est seul. Mais l’on continue. Parce qu’on est déjà trop haut pour faire demi-tour.
Étape 3 – Desperate Cry Col de l’Appel Inutile – 2e catégorie La souffrance a changé de forme. Elle n’est plus physique. Psychologique car dans les souvenirs. Chaque riff ressemble à un lacet qu’on connaît déjà, mais qu’on redoute surtout. La pédale double bat comme un cœur usé. Et la douleur se mue en langage. Incompréhensible. Universel. On crie au milieu de la forêt. On le sait que personne ne répondra. Mais au moins, on aura crié.
Étape 4 – We, The Dead (Interlude) Ravitaillement spectral au km 127 – Zone neutre Un fantôme nous tend une bouteille. Le silence pèse plus lourd que les watts. On respire. On meurt un peu. On laisse tomber le casque dans l’herbe. L’écho nous traverse. Et le vide nous repose. Cinq minutes d’absence pour une étape sans chrono, la plus courte aussi, au son du piano, au son des voix claires.
Étape 5 – As Daylight Fades Tunnel de l’Épuisement – Hors Catégorie L’étape reine. Treize minutes d’ascension progressive dans les ténèbres. Démarrant doucement au son d’une belle voix claire féminine. Puis inexorablement, la lumière faiblit. Les guitares se font rampantes, presque rampantes comme des cordes sur lesquelles on trébuche. On pense avoir atteint un plateau… mais ce n’était qu’une pause. Il reste encore mille mètres de dénivelé, mille notes de souffrance. On commence à se détacher de soi-même. Pas d’euphorie, pas de victoire. Juste cette douce certitude, on n’a plus besoin de jour pour avancer, juste de la clarté de quelques bougies.
Étape 6 – Obsolete Dreams Descente vers l’oubli – 1re catégorie L’étape moins bonne. Moins marquante. Mais nécessaire. Donc l’étape de transition. C’est la descente. Les mains sur les freins, les rêves accrochés à la peau. Ceux qu’on avait. Ceux qu’on a laissé mourir à l’entrée du col précédent. La voix cherche encore une lumière, mais il est déjà trop tard. Le paysage devient flou. On glisse, sans tomber dingue à genou.
Étape 7 – The Last March Ligne d’arrivée ? Non. Départ pour l’éternité. La route s’arrêtera bientôt. Mais la musique continuera elle, en boucle. Quatorze minutes sans chrono. Un peloton d’ombres, silencieux, qui marche en file indienne vers un horizon sans bannière. Pas de bouquet pour le vainqueur. Pas de coupe. Juste une dernière marche. Un dernier souffle. Une dernière boucle dans l’oubli. Final extraordinaire.
Je suis sorti du peloton, je me suis posé, et j’ai regardé les champions autour de moi. Ils roulaient tous très vite. Certains, trop vite pour être totalement clean. Leurs rythmes effrénés faisaient claquer leurs roues dans les airs, comme une urgence sans objet, un besoin de fuir on ne sait quoi, vers on ne sait quelle gloire. Je les ressentais autrement, maintenant. Le sang du Funeral Doom coulait déjà dans mes veines. Imperceptible. Silencieux. Un jour, ils regretteront de s’être obstinés à ne pas entendre cet appel salvateur promettant lenteur. Car une seule écoute suffit parfois à se sauver. Une faille. Une nuit trop longue. Une empathie un peu plus marquée. Et tout basculera, enfin.
La grande conversion pouvait commencer. Pas dans les salles de concert. Encore moins sur les réseaux. Et certainement pas dans les classements des sharts. Non. Dans les pièces sombres. Les trajets silencieux. Les silences qu’on étouffe mal.
Helllight le sait bien. Depuis trois décennies, il patiente. Tapi dans nos ombres, dans nos reculs, au cœur de nos fatigues. Pilier fondateur d’un genre que personne ne revendique, mais que chacun finira par ressentir. Un chant funèbre sans fin. Et désormais, une future révélation.
Ils iront tous plus lentement, eux aussi. Un jour. Certainement.
Tracklist de We, the Dead :
01. Echoes Of Eons 02. As A Fading Sun We Lie 03. Desperate Cry 04. We, The Dead (Interlude) 05. As Daylight Fades 06. Obsolete Dreams 07. The Last March