Ah, la rentrée… ce doux moment où les gamins traînent des pieds devant l’école, où les profs dissimulent leur désespoir sous des blagues réchauffées, et où le Grand Pédagogue, le serviteur au service du Grand Ordonnateur, reprend son cartable en cuir élimé. Avec la même joie qu’un condamné qui retourne au bagne.
Car notre Grand Pédagogue n’aime pas septembre. Il hait septembre. Il le maudit même plus fort que ses élèves ne maudissent les conjugaisons du subjonctif. Lui qui passe l’été à ronchonner contre les chroniques de ses camarades (“pas assez rigoureuses ! pas assez référencées ! trop modernes !”), il doit maintenant se replonger dans son deuxième enfer, les salles de classe de la grande Pacification.
Mais attention : ne va pas croire qu’il s’avoue vaincu. Non. Le Grand Pédagogue est un vieux grognard, un survivant de la vieille école, celle où la musique se décortiquait à coups de schémas et où les copies doubles servaient à ranger ses rancunes. Avec lui, tout doit être carré, hiérarchisé, validé par le Grand Ordonnateur. D’ailleurs, il ne jure que par son chef, qu’il chérit comme d’autres vénèrent les tables de la loi. Un clientélisme assumé, au point que certains se demandent s’il ne cirerait pas les pompes du maître avec ses propres larmes de rentrée.
Alors le Grand Pédagogue critique, gronde, corrige. Ses contributions sont des leçons, pas des lectures. Et s’il revient de vacances encore cette année, c’est toujours à reculons, mais avec une rigueur de sergent-major. Pire encore, il a les nerfs. Parce que ses camarades, eux, sont encore en mode estival, à siroter des bières en terrasse des fests au lieu de réviser leurs classiques du Hard rock et du Heavy Metal.
Bref, il fait sa rentrée comme un prof bougon, sévère avec ses élèves, impitoyable avec ses collègues, obséquieux avec son chef. Et quand il voit ses camarades chroniqueurs se lancer dans des envolées lyriques, le Grand Pédagogue soupire, sort son stylo rouge et met une grande croix dans la marge. Chez lui, pas de poésie, pas de fantaisie, des leçons, des références, et des punitions… il distribue des coups de règle sur les doigts. Et le pire ? C’est qu’il y prend un malin plaisir.
Il y a des premiers albums qui s’installent sans fracas mais avec une évidence tranquille, comme s’ils avaient toujours été là, dans le paysage sonore. Elemental, signé First Light, est de ceux-là. Sorti le 25 juillet 2025 chez Pride & Joy Music, ce disque a le charme des rencontres inespérées : une œuvre née de la contrainte du confinement, mais qui a trouvé dans la distance géographique une force créative inattendue.
Car First Light, c’est d’abord une histoire d’amitié et de passion. Dave Hardman (guitare) et Carl Sharples (basse et mélodies) se connaissent depuis des décennies, et leur complicité donne à la musique cette assise rare, ce naturel qu’on ne triche pas. L’un écrit et sculpte la matière musicale depuis l’Espagne, l’autre cisèle paroles et lignes de chant depuis le Royaume-Uni : le reste n’est que fluidité.
Autour d’eux, ils ont réuni une équipe à la mesure de leurs ambitions : le chanteur new-yorkais Warren Passaro, voix puissante et habitée, capable de traverser l’Atlantique par sa seule chaleur ; Andy Jakeman derrière les fûts, énergie nette et sans bavure ; et surtout, la cerise nostalgique posée sur le gâteau mélodique : Didge Digital, claviériste légendaire de FM, qui insuffle à chaque titre ce parfum de l’âge d’or de l’AOR, entre éclat et profondeur.
À la production, Pete Newdeck (Vega) polit chaque détail, et Harry Hess (Harem Scarem) parachève l’ensemble au mastering. Le résultat est limpide : une modernité assumée qui n’oublie pas ses racines.
Dès Closer, l’album plante le décor : refrains taillés pour s’imprimer en mémoire, guitare limpide, arrangements carrés. Damned If You Do, Damned If You Don’t confirme la recette, un hook imparable, celui qu’on fredonne malgré soi, qui plaira aux amateurs du Rock d’une autre époque, adorateur de refrain Rushisant...
Puis viennent Forever Young, sincère et touchant, Mayday, tendu comme un appel, avec un bien joli solo, ou encore Untouchable, hymne aérien dont le titre colle parfaitement à son effet.
Elemental ne se contente pas de cocher les cases de l’AOR classique, il en assume les codes tout en les actualisant. Les claviers vintage se mêlent à des guitares inspirées, la voix de Warren Passaro apporte une belle vibration aux mots, et le tout respire une cohérence rare pour un premier album.
Au fond, First Light réussit ce paradoxe : faire de la nostalgie une force vive. Elemental est un disque qui regarde vers hier, mais qui avance droit vers demain, porté par une sincérité qui dépasse la technique. C’est un hommage, mais aussi une déclaration d’existence.
Un sans-faute ou presque, et surtout la promesse qu’une lumière vient de s’allumer. Il frôle le cœur de très peu, car il lui manque peut être un ou deux morceaux qui secouent... À recommander chaudement à tous les amateurs de Hard rock, rock mélodique aux touches de Rock Prog. Et le tout reste bien plus agréable qu’un coup de règle sur les doigts.
Traclist d’Elemental :
01. Closer 02. Damned If You Do, Damned If You Don’t 03. Forever Young 04. Mayday 05. Leave A Light On 06. Mesmerising 07. Run 08. Caught Up In You 09. Shooting For The Stars 10. Untouchable 11. The Prize