Je me souviens, un jour de 2002, en cherchant des groupes de metal symphonique sur un site dédié (dont j’ai complètement oublié le nom, mais qui m’a permis de connaître énormément de groupes à l’époque), je tombe par hasard sur un jeune groupe du nom de Sahara Dust, qui n’avait sorti qu’une démo me semble-t-il, introuvable. Le site mentionnait que ce nouveau groupe était emmené par Mark Jansen, qui officiait alors chez feu After Forever. Rien que cette information m’avait fait dire qu’il fallait rester à l’affût des futures informations de cette formation. 2022. Vingt ans ont passé, et Epica (qui a donc changé de nom peu avant la sortie de leur premier album, en hommage à l’album Epica de Kamelot) est devenu depuis longtemps LE mastodonte du metal symphonique que l’on connaît.
Afin de fêter dignement cette double décennie d’existence, les Hollandais ont mis les petits plats dans les grands. Actuellement en pleine tournée anniversaire (qui sortira certainement en blu-ray, vu l’importance et les moyens colossaux), le groupe vient de sortir quelques cadeaux de Noël avant l’heure pour les fans avec des rééditions. Le coffret We Still Take You With Us propose les trois premiers albums d’Epica : The Phantom Agony, Consign To Oblivion et The Score (si tant est qu’il puisse être considéré comme un véritable album) ainsi que le premier DVD, We Will Take You With Us. Vous me direz, c’est bien beau tout ça mais il n’y a rien de neuf, un die hard fan les aura déjà tous (évidemment !). Oui mais ce n’est pas tout, le groupe ayant décidé de sortir un live resté planqué dans un tiroir : le fameux live Live At Paradiso, enregistré à Amsterdam en 2006. Pourquoi fameux ? Car considéré comme un concert culte par beaucoup de fans. En effet, le groupe avait déjà sorti Road To Paradiso, une compilation retraçant la carrière du groupe jusqu’au concert au Paradiso, sous forme d’un CD+livre. Mais le live n’a jamais vu le jour (des problèmes de droits me semble-t-il, le groupe passant de Transmissions Records à Nuclear Blast). Jusqu’à aujourd’hui donc. Mais est-ce que voir un groupe aujourd’hui si puissant, dans sa première jeunesse, possède un réel intérêt ? Ne va-t-on pas trouver le show plat et sans saveur au vu de ce qu’Epica propose aujourd’hui ? C’est donc l’objet de la chronique du jour, qui peut enfin démarrer après cette longue introduction.
La réponse est bien entendu un grand OUI. Alors remettons-nous dans le contexte de l’époque. Epica est en pleine tournée afin de promouvoir son deuxième album, Consign To Oblivion. Et malgré sa jeunesse, le groupe est déjà en tête d’affiche. Même après The Phantom Agony, le groupe jouissait de ce statut. Je me souviens les avoir vu en 2005 au Metal Female Voices Fest, et le groupe était bien haut dans l’affiche, clairement tout le monde les attendait. Et on ne s’y trompe pas, la salle du Paradiso est pleine à craquer, balcons compris. Le groupe maintenant : cinquante pour cent du groupe a depuis été remplacé. Parmi les membres présents ce soir-là, seuls Simone Simons (chant), Mark Jansen (guitare et chant hurlé) et Coen Janssen sont encore dans le navire. Ad Sluijter (guitare), Yves Huts (basse) et Jeroen Simons (batterie) ont vogué vers d’autres cieux depuis. Retrouver le groupe d’origine, forcément cela fait plaisir, d’autant plus quand on les a connu dès le début, et qu’on les a vu en concert sous cette formation-là (nostalgie...). Et fatalement, on se prend un bon gros coup de vieux (et eux les premiers à mon avis). En seize ans, tout le monde change, c’est normal. On se rend vraiment compte en regardant le concert de leur jeunesse et de leur mine juvénile ! Et à un moment donné, Coen Jannssen a eu des cheveux, c’est fou ! La seule qui n’a pas beaucoup changé c’est Simone finalement.
Mais malgré la jeunesse du groupe dans tous les sens du terme, on sent d’emblée un professionnalisme et un groupe rodé à l’exercice du live. Dès le rideau tombé après l’intro Hunab K’u, les Hollandais envoient la sauce sur Dance Of Fate. Pas un seul faux-pas, le son est très bon, audible, et "brut" dans le sens où l’on entend parfaitement qu’il s’agit d’un live. Le public est bien présent aussi, le groupe est à l’aise malgré la taille de la scène qui semble bien petite (et oui, aujourd’hui ils auraient du mal à tenir dessus). Mais la promiscuité avec le public (LEUR public rappelons-le) est parfaite pour le show. Le show justement, d’entrée de jeu de la pyrotechnie, et deux cracheuses de feu à l’arrière de la scène. Excellente idée, c’est une bonne scénographie, c’est visuel, ça en jette... mais carton rouge pour le goût douteux de les avoir mises topless... mais bon ce n’est que mon avis (et ce n’est que sur le premier titre). Epica sait varier les ambiances, tantôt en tentant des velléités death et bien brutales sur Force Of The Shore ou Seif al Din pour ne citer qu’eux, et tantôt solennel avec un Solitary Ground accompagné d’Amanda Somerville et Linda Janssen. Elles accompagneront une nouvelle fois Simone, avec en sus une violoniste et un violoncelliste sur Linger, un titre bonus qui m’avait totalement échappé ! Même s’il n’est pas indispensable, je pense que pas mal de monde risque de le découvrir à travers ce concert, et permet de nous servir une rareté.
Pour continuer, et finir, sur les invités, le grand Roy Khan viendra pousser la chansonnette sur Trois Vierges, comme sur l’album. A entendre les cris dans le public à son arrivée, on se rend compte à quel point il était populaire avec Kamelot à cette époque-là (Nostalgie... bis), et que lui aussi avait encore des cheveux ! Quel talent ce chanteur quand-même ! Même s’il revient un peu sur le devant de la scène avec Conception, il manque ! Ces deux ballades sont bien placées dans la setlist, et permettent de reprendre son souffle. Pour le reste, que dire... difficile de faire la fine bouche. C’est presque l’intégralité des deux albums que nous propose le groupe, un détail près, le single Feint, aux abonnés absents, c’est incompréhensible ! Pour le reste, si vous cherchez Cry for the Moon, The Phantom Agony, Solitary Ground, Quietus ou Consign To Oblivion, rassurez-vous ils sont bien de la soirée. Les Hollandais se permettent même une reprise de Death, Crystal Mountain, chanté intégralement par Mark, forcément ! Quand je vous parlais de velléités death plus haut... Si le choix peut surprendre, il montre que le groupe a toujours été plus qu’un simple groupe de metal symphonique gentillet, ce que j’ai toujours apprécié chez eux. La neige artificielle qui tombe sur le public lors de Blank Infinity, les sonorités orientales de Seif al Din avec une nouvelle fois Amanda Somerville qui accompagne brièvement Simone, Façade of Reality, les deux titres épiques de l’époque Façade of Reality et Consign To Oblivion (avec pyrotechnies et explosions), les grands moments ne manquent pas, et le show passe à toute vitesse. A propos de Consign To Oblivion, j’ai oublié de le mentionner dans les invités, mais le Hollandais Jan Chris de Koeijer viendra hurler pour ce qui sera le dernier titre de la soirée. Explosif, dans tous les sens du terme. Un superbe final.
Tout ceci ressemble donc à la perfection incarnée, mais ce ne sera pas tout à fait le cas. Il fallait bien quelques défauts. Et oui, le concert a seize ans, et ce n’est pas rien. L’image a vieilli, et malgré le passage au blu-ray, elle reste terne et moins nette, avec du grain, que ce qu’on peut trouver aujourd’hui. Mais c’est somme toute logique, ce n’est pas un défaut dont je tiens rigueur. Ça peut même rajouter du charme à l’ensemble, chacun se fera sa propre opinion (mais l’ensemble est complètement visualisable même sur une grande télé). En revanche, si vous cherchez à écouter ça bien installé sur canapé avec un home-cinema 5.1, oubliez de suite car il n’est disponible qu’en stéréo ! Là par contre j’ai du mal à saisir... En revanche si vous possédez un excellent ensemble 2.0 vous devriez vous régaler, particulièrement avec les basses, bien représentées dans le mixage. Reste que ces quelques griefs ne viennent pas entacher le plaisir du show, mais il fallait les signaler.
Alors, cette sortie tardive de ce show valait-elle la peine de voir le jour ? J’y ai déjà répondu au début, et ma chronique est très claire sur le sujet. Epica ne fait pas dans la supercherie et il s’agit là d’un bien beau cadeau. C’est un véritable témoignage du début de la carrière du groupe, les années Transmission Records. Un groupe jeune, motivé, ultra pro, qui jouait déjà dans la cour des grands, mais avec cette magie des débuts. Peu importe le groupe, à partir du moment où il devient un blockbuster dans son genre, la suite n’est plus la même (on pense forcément à Nightwish). Les shows sont de plus en plus énormes, les salles de plus en plus grandes, on gagne en intensité et on en a souvent pour notre argent, mais la magie et l’innocence des débuts ne sont plus là, ce qui est logique. C’est donc avec un énorme plaisir nostalgique (mais pas que, la qualité étant au rendez-vous) que le groupe nous offre deux heures d’une excellente première partie de carrière. Et surtout deux heures composées uniquement de morceaux des deux premiers albums, c’est fabuleux. A titre personnel et en étant objectif, les dernières productions du groupes sont plus travaillées, plus techniques et riches (bien qu’étant fan depuis le tout premier single en 2003) mais rien ne vaut cette magie des deux premiers albums. D’ailleurs, beaucoup de fans, à l’instar de Nightwish, ont arrêté de suivre le groupe une fois qu’ils ont littéralement explosé, n’y trouvant plus leur compte. Là ils pourront retrouver un groupe à taille plus humaine. Moi, de toute façon, j’aime les deux ! Un dernier mot sur le public. Quel plaisir également de ne voir aucun téléphone brandi ! C’était encore une époque où le public venait assister à un concert pour voir un groupe et non pour partager leur expérience sur les réseaux sociaux (oui j’ai quarante ans et je suis un boomer, mais tant pis).
Tracklist de Live At Paradiso :
1. Hunab K’u 2. Dance Of Fate 3. Sensorium 4. The Last Crusade 5. Solitary Ground 6. Force Of The Shore 7. Quietus 8. Linger 9. Blank Infinity 10. Crystal Mountain 11. Seif al Din 12. Façade of Reality 13. Trois Vierges 14. Another Me (In Lack’ech) 15. The Phantom Agony 16. Cry For The Moon 17. Run For A Fall 18. Mother Of Light 19. Consign To Oblivion