Excitation ! Voici enfin le cinquième véritable album des Norvégiens de Conception ! Le quatuor de power progressif a bel et bien réussi son retour fin 2018, après sa trop longue absence, grâce à un single et surtout un EP où tout le talent et l'originalité qu'on lui connaissait répondaient présent. En ce mois d'avril 2020, il est temps d'accueillir la suite... vingt-et-un ans après un certain Flow, album risqué, pas forcément compris de tous, qui avait d'ailleurs d'abord déçu votre serviteur pour finir par s'imposer à lui avec le temps... mais ceci est une autre histoire (qui fera, un jour, l'objet d'une autre chronique).
Frustration : neuf pistes avec, parmi elles, une intro (In Deception) et une compo déjà connue (Feather Moves qui était la face b du single Re:Conception paru fin 2018). Il n'y a donc que sept chansons à découvrir sur cet album qui n'excède pas les trente-neuf minutes (pour trente-trois minutes de nouveauté)... bah oui, quand on aime, on en veut toujours plus.
Frustration bis : à la première écoute, pas mal de bonnes choses bien sûr et un style assez éloigné des albums références du groupe (Parallel Minds, In Your Multitude... et même Flow). Bien sûr, on croise des éléments chers au groupe et il y a une continuité logique avec My Dark Symphony (EP sorti fin 2018) mais je ne retrouve pas immédiatement certains repères ou ingrédients qui me raviraient. De plus, la production, pas mauvaise, manque tout de même un peu de clarté, ce n'est pas si incisif que cela, presque un peu brouillon par moment...
Alors, du coup... déception ? Eh bien, en fait, non. Enfin, c'est un peu compliqué, disons que ça se joue en plusieurs temps. La première écoute, comme vous l'avez compris, ne m'a pas totalement subjugué. Il faut dire que le début de ce State Of Deception surprend et peut désarçonner l'auditeur. In Deception est une intro instrumentale de moins de deux minutes, épique, avec beaucoup de clavier, pas désagréable, elle plante un décor plutôt inhabituel pour le groupe... mais j'attends surtout la première "vraie" chanson. Et là arrive Of Raven And Pigs, un morceau sombre et déstabilisant qui repose sur un seul riff (quasiment tout du long, à part au moment du refrain qu'on n'entendra qu'une fois... peut-on vraiment parler de refrain dans ce cas, d'ailleurs ?), répété en boucle, hypnotique. Roy Khan propose de beaux moments chantés alternés avec des passages de discours (s'adressant à une foule qu'on entend de temps en temps) et une intensité qui monte peu à peu... jusqu'à la conclusion où le chanteur paraît carrément menaçant avec ses "let them buuurn" finaux. Au début, je n'ai pas adoré, il m'a fallu un peu de temps pour me faire à cette compo singulière que je considère maintenant comme une des belles réussites de cet album.
Les pistes suivantes sont plus faciles à aborder, même si je ne suis pas tombé sous leur charme instantanément non plus. Waywardly Broken est tout de même plus évidente, elle a d'ailleurs été choisie comme premier single, pas un hasard. C'est un morceau heavy, mid-tempo, aux mélodies accrocheuses... il y a des restes de l'album Flow ici. Il alterne ambiance et riff lumineux sur le couplet avec une guitare plus sombre sur le refrain. L'ambiance est travaillée, quelque chose de dramatique se dégage, tous les protagonistes jouent leur rôle de façon impeccable, on louera bien entendu la voix (et l'expressivité) d'un Roy Khan majestueux. Le tempo est plus enlevé sur No Rewind qui monte d'un cran sur l'échelle du heavy... mais toujours avec des changements, quelques claviers pour l'ambiance, des lignes de chant parfois surprenantes. C'est assez excitant en fait, on retrouve bien la patte de Tore Otsby du temps où il officiait dans Ark, son groupe de metal progressif avec Jorn Lande (entre autres) au début des années 2000. Et comme le veut tradition chez Conception : changement de décor et d'atmosphère sur la chanson suivante, The Mansion, une ballade mélancolique qui commence avec du piano et sur laquelle Elize Ryd (d'Amaranthe) est invitée. Otsby propose un beau solo, sobre et raffiné, qui colle bien à la compo.
Retour au rock, plutôt hard, avec By The Blues au groove bien prononcé. Sur chaque titre, Khan adopte un style légèrement différent ; comme la musique, les lignes de chant sont variées, on n'a jamais l'impression d'entendre deux fois la même chose. J'apprécie ça chez ce groupe. Anybody Out There ramène un peu de noirceur symphonique et posée comme le morceau My Dark Symphony sur l'EP du même nom. Un violon accompagne la voix de Khan sur le premier couplet avant que tout le groupe ne les rejoigne sur le reste du morceau, la mélodie du refrain est bien trouvée et reste en tête. Tiens, il y a quelque chose dans le jeu de guitare de Mr. Otsby qui rappelle le passé sur le titre She Dragoon. Clairement, le style et la mélodie évoquent A Million Gods sur l'album In Your Multitude. C'est l'un des rares clins d'œil au Conception du milieu des 90s à se mettre sous la dent ici... et ça fait plutôt plaisir. La compo est rythmée et apporte un peu de vivacité à un album qui pourrait frustrer ceux qui souhaitaient un ensemble plus remuant. La dernière piste sonne déjà le retour au calme, c'est la fameuse (et très belle) Feather Moves dont je vous avais déjà parlé dans la chronique du single Re:Conception.
Je suis content d'avoir pu bien creuser cet album avant de vous en parler. Car, d'écoute en écoute, il m'a dévoilé sa sensibilité, sa singularité. Au début, je l'ai juste trouvé pas mal, je n'ai pas sauté au plafond. Mais ces derniers jours, je n'ai cessé de l'écouter avec un plaisir chaque fois renouvelé. Le terme "progressif" suscite parfois une certaine méfiance, certains s'imaginent une musique pour musiciens, qui va vouloir impressionner à tout prix et proposer des plans parfois ennuyeux, trop démonstratifs... pas de ça ici. Les compos sont de durée tout à fait raisonnable, le groupe est irréprochable mais n'en fait jamais des caisses, tout est au service d'une partition qui privilégie l'émotion et un certain onirisme. C'est riche (des influences hard, rock, metal, jazz se mélangent subtilement) mais pas trop, jamais indigeste. State Of Deception n'est pas forcément le disque le plus immédiat des Norvégiens mais une œuvre intéressante et unique, du pur Conception en somme. On reconnaît le groupe tout en étant surpris. Jamais à des années lumières de ce qui a précédé mais jamais dans la redite, il continue d'évoluer et nous offre un opus qui ne manque ni d'émotion ni de personnalité. Bravo !
Tracklist de State Of Deception :
01. In Deception 02. Of Raven And Pigs 03. Waywardly Broken 04. No Rewind 05. The Mansion 06. By The Blues 07. Anybody Out There 08. She Dragoon 09. Feather Moves (remastered)
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