En 1987, Celtic Frost est toujours emmené par Tom Gabriel Warrior (chant, guitare), avec à ses côtés le batteur Reed St Mark et le bassiste Martin Eric Ain, absent lors de l’enregistrement de To Mega Therion, mais revenu au bercail très rapidement après et qui a participé activement à la composition de ce second album longue durée du groupe. Il est aussi celui qui a choisi l’artwork de ce nouvel opus, un détail du célèbre triptyque Le Jardin des Délices du peintre néerlandais Jérôme Bosch. De l’aveu même de Tom Gabriel Warrior, ce disque fut écrit et composé pendant une période difficile au niveau relationnel pour le groupe avec ses producteurs et avec son label de l’époque, Noise. Il en résulta tout de même un album qui allait changer bien des choses pour le groupe… et largement au-delà. Car faisant suite à deux EP et un album qui faisaient figure de références dans le monde du metal extrême, Into The Pandemonium est l’album totalement inattendu de la part du trio helvète. Un revirement de situation qui ne va pas plaire à tout le monde et pourtant un album qui va lui aussi devenir une référence, mais pas forcément pour les mêmes personnes.
L’album s’ouvre d’ailleurs sur une première surprise de taille : Mexican Radio, une reprise du groupe de New Wave américain Wall Of Voodoo. Surprise ou plutôt consternation du côté des fans car le changement de style est assez radical. Si l’on reconnaît quand même les riffs sombres du groupe et le chant de Tom Gabriel ainsi que ses "Uh" caractéristiques, le côté chantant du refrain et le côté mélodique du morceau ont de quoi déstabiliser l’auditeur. Drôle d’idée d’ouvrir l’album sur cette reprise, pourrait-on se dire ; mais en fait, elle reflète assez bien le contenu : un disque qui va emmener l’auditeur de surprise en surprise. La preuve avec Mesmerized qui suit, avec un chant plaintif de Tom Gabriel – une nouvelle caractéristique, très présente sur cet album - et sa rythmique bien lourde. On est ici plus proche de Black Sabbath que de Venom, influence évidente des débuts du groupe. Quelques chœurs féminins discrets sont assurés par la chanteuse Claudia-Maria Mokri, qui intervenait déjà sur l’album précédent. Avec Inner Sanctum, on replonge dans l’ambiance sombre de To Mega Therion. Ici, les fans des œuvres précédentes retrouvent leurs repères, on est à la croisée de styles qui seront définis plus tard par les étiquettes Dark Metal, Black Metal et Doom Metal. Excellent titre au passage... Puis vient Tristesses De La Lune, titre composé par le bassiste Martin Eric Ain, et c’est le second choc frontal. Il s’agit d’un poème de Charles Baudelaire récité en français par une voix de femme (Manu Moan) sur fond de violons. Point de metal ici, mais un morceau que l’on peut qualifier de visionnaire puisque Celtic Frost vient de lancer toute la vague dark ambient avec ce seul morceau. En revanche, les fans qui attendaient du groupe un To Mega Therion bis n’y comprennent plus rien. A noter que Sorrows Of The Moon, que l’on retrouve dans les titres bonus des éditions CD récentes, est une version de ce titre un peu plus Frostienne, avec de nouveau la voix plaintive de Warrior à la place du chant féminin. Les paroles sont la traduction du poème en anglais. Les deux volets de Jade Serpent sont nettement plus proches des attentes. Babylon Fell revient sur du riff lourd et sombre avec la voix agressive de Warrior et Caress Into Oblivion se permet même une petite accélération du tempo en début de morceau. Tout cela ne serait pas si éloigné que ça des œuvres précédentes si toutefois il n’y avait pas cette voix plaintive qui s'immisce régulièrement. Ces deux morceaux permettent quand même aux fans des ambiances black / doom de l’album précédent de se raccrocher à l’œuvre en cours. Mais ce seront les derniers. Car, hélas pour eux, arrive ensuite One In Their Pride qui est un titre instrumental de bidouillages indus que je trouve personnellement inintéressant et vraiment trop en décalage avec le reste. Il montre toutefois un groupe qui ne s’est posé aucune contrainte de composition et qui a balancé sur ce disque tout ce qu’il avait envie d’enregistrer. Ici, l’étiquette avant-garde que l’on va donner au groupe prend tout son sens. Mais il s’agit encore d’un morceau incompréhensible pour la plupart des amateurs de Celtic Frost. Mais le fan des premières œuvres du groupe n’est pas encore au bout de ses peines car suit un I Won’t Dance bien décalé, sorte de dark pop avec quelques apports de voix féminines. Celtic Frost aurait pu obtenir son premier "tube" avec ce morceau. Bon titre, bien entraînant, mais encore une fois très éloigné de l’univers du groupe (et même du reste de l'album, qui s'avère être un vrai patchwork). Enfin, Rex Irae (Requiem) et l’outro Oriental Masquerade ont sans aucun doute largement inspiré un groupe tel que Therion. Rex Irae propose un chant féminin façon opéra qui répond au chant de Warrior avec en plus quelques orchestrations (violons et cors) sur une base bien metal, avec rythmique bien lourde. Therion qui ne s’en est jamais caché et qui a d’ailleurs appelé un de ces morceaux To Mega Therion, en hommage à Celtic Frost justement. Tout ça pour dire que, s’il semble partir un peu dans tous les sens, s’il n’y a pas vraiment de ligne directrice, cet album a eu un impact au moins aussi important que le précédent sur toute une génération de musiciens, puisqu’on y trouve les germes de plusieurs courants musicaux en devenir dans le Metal au sens large.
Chef-d’œuvre pour les uns, trahison pour les autres, Into The Pandemonium ne laissa pas grand monde indifférent. Celtic Frost démontrait avec cet album son côté avant-gardiste et son désir de ne pas reproduire le même album à chaque fois. Il fut plutôt bien reçu par la critique à l’époque, un peu moins par les fans historiques mais réussit à toucher un nouveau public et connut un succès inédit pour le groupe, ce qui surprit ses géniteurs qui pensaient que, finalement, ils avaient été un peu trop loin dans l’expérimentation pour pouvoir plaire à un grand nombre. Ce besoin d’innover va malheureusement les pousser à sortir, un an plus tard, un Cold Lake complètement à côté de la plaque, qui hésitait entre thrash sombre et glam metal. Faire évoluer sa musique, c’est une bonne chose… mais parfois, ça conduit à s’éloigner beaucoup trop de ses fans. Celtic Frost n’aura pas réussi à éviter ce piège.
Tracklist de Into The Pandemonium :
01. Mexican Radio 02. Mesmerized 03. Inner Sanctum 04. Tristesses De La Lune 05. Babylon Fell (Jade Serpent I) 06. Caress Into Oblivion (Jade Serpent II) 07. One In Their Pride (Porthole Mix) 08. I Won't Dance (The Elders' Orient) 09. Rex Irae (Requiem) 10. Oriental Masquerade
bonus tracks (réédition 2017) : 11. Sorrows Of The Moon 12. The Inevitable Factor 13. In The Chapel In The Moonlight 14. One In Their Pride (Re-entry Mix) 15. The Inevitable Factor (alternate vocals)
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