En cet hiver bouillonnant, et ce dès février, les bourgeons éclosent, le pollen se répand et les petits oiseaux chantent. Donc, comme vous n’avez pas eu votre compte de froidure sur cette planète chaque année un peu plus tiède, il est encore temps de vous plonger la tête la première dans l’histoire de quelques âmes en peine qui ont connu les morsures des froids intenses.
Antrisch est un projet bavarois, formé sous un quatuor et consacré aux grandes missions d’exploration de l’humanité et, après un premier EP consacré à la haute montagne (ce qui forcément avait attiré toutes mes attentions) le groupe allemand se lance à travers les mers gelées avec ce premier album, Expedition II: Die Passage. Antrisch nous conte le drame de l’expédition perdue de Sir John Franklin, partie en 1845 à la recherche d’un chenal entre l’Atlantique et le Pacifique à travers le cercle polaire arctique, pour la plus grande gloire de l’Empire britannique. Un périple pour lequel deux navires, les Erebus et Terror, avaient été dotés des technologies les plus modernes pour résister à l’hivernage. Mais on ne les a plus jamais revus, ni d’ailleurs aucun des 129 marins et officiers à bord. Et les quelques indices retrouvés esquissent un récit tout aussi glaçant que la bise polaire.
Aussi passionnant par sa thématique que par son contenu artistique, Expedition II : Die Passage retrouve l’impulsion hivernale des premiers défricheurs et explorateurs nordiques, ces hommes qui furent les premiers à subir la solitude, le froid et la misanthropie. Par le biais d’un long voyage sans fin qui offrira à ses aventuriers plus de certitudes mortelles que de questions existentielles.
Ces dernières années, on a pu localiser les épaves de l’Erebus et du Terror, pas forcément là où on pensait les trouver d’ailleurs. De quoi rallumer l’espoir de comprendre le supplice des équipages. Difficile de toute manière d’imaginer l’horreur qu’ont vécu ces marins, mais le Black Metal moitié post moitié atmosphérique d’Antrisch nous en offre en tout cas un bon aperçu, empreint de solitude antagoniste à la promiscuité, de combats entre la discipline de fer et folie de plus en plus incrustée dans les esprits, des inévitables "tourments anthropophagiques" et de cette désolation à perte de vue depuis le pont d’une épave perchée sur sa gangue de glace.
Je suis d’autant plus déprimé (content) de retrouver ce groupe que leur seul et premier EP (et seule sortie jusqu’ici), Expedition I : Dissonanzgrat, dégageait déjà un remarquable Black Metal bestial. Et cette dernière galette si bienvenue, développe des parties intimistes, variées et surtout inspirées. Ça démarre violemment et on redécouvre le groupe très en forme, avec un son bestial très black, animé de compositions nerveuses et inspirées, d’où se dégage une force incommensurable, le tout réalisé avec beaucoup de spontanéité et de naturel, garanti sans artifice aisé.
Plongez-vous dans cet Exodus, ventre en tête, histoire de vivre un joli plat.
Je vous laisserai "Gratter les sublimes glaces sombres" dans les trois dernières pistes de l’album, celles-ci regorgent de délicieuses surprises. Et je ne perdrai pas plus de temps en influences et références, car Antrisch se passe très bien de tutelle. Le groupe est rodé, sûr de ses moyens et de ses objectifs, il déroule le tapis rouge sombre d’un premier longue-durée quasiment parfait qui laisse augurer d’une carrière en devenir et de futures grosses surprises.
Un album, merveilleusement visqueux, intensément collant, d’excellentes factures, qui j’espère saura trouver un public certes rare, mais surement interpelé. Lectrices, lecteurs, vous pourriez bien demeurer tourneboulés, presque 200 années après, par ces pauvres âmes toujours errantes sur leur triste banquise dérivante. À compter avec ce que la musique extrême peut suggérer de plus puissant.
Tracklist de Expedition II : Die Passage :
01. I Festgefroren - Packeisfalle 02. II Wahnrationen - Saturnusparusie 03. III In Perpetuum - Ewiger Schlaf im ewigen Eis 04. IIII Vltima Ratio - Antropophager Frühling 05. IIIII Exodus | Tundrataumel - Croziers Bürde 06. IIIII 68° 15′ N 98° 45′ W - 68° 54′ N 98° 56′ W