En 1990, tout jeune adolescent, je découvre le Death Metal et je n’ai que faire de notre, déjà vieille, scène franchouillarde. Je n’ai d’yeux que pour Morbid Angel, Death, Carcass ou Obituary et je méprise royalement les représentants Français d’un Heavy Metal à mes yeux ringard et dépassé qui me proposent du Weird Visions, du Transition (Vulcain) ou du Resistances (Killers) pendant que le roi Floridien me cloue sur place avec son Altar Of Madness instantanément légendaire. La scène Française est à la traîne, engluée dans ses clichés surannés, coincée au milieu des années 80 et je n’ai alors aucune envie d’attendre qu’elle se réveille. C’est injuste, c’est irrespectueux mais c’est aussi (et surtout) ça la jeunesse ! Je veux du virulent, de la violence, de la technique, du sombre et du gore mais je ne trouve pas ça dans l’Hexagone, certains s’y essaient mais ils ont un train de retard, alors je renie cette scène qui manque de tout et je vais voir ailleurs, là où Pestilence, Bolt Thrower et Entombed m’attendent.

Mais alors pourquoi, diantre, s’intéresser en 2021 à ce Etranges Visions, ré-enregistrement d’un album originellement sorti en 1990 sous le titre Weird Visions et exceptionnellement chanté en Anglais dans l’espoir malheureusement vain de faire exister le groupe encore plein d’espoir au-delà de nos frontières ? Pourquoi s’intéresser maintenant à ADX que j’ai pris un malin plaisir à ignorer dans ses grandes années ? Eh bien justement pour rendre hommage à ces grands anciens qui ont dû braver l’insolence et l’ingratitude d’une jeunesse sans pitié, reniant le Heavy de papa et avide de sensations extrêmes venues de Floride, du Brésil ou du grand nord. Ces grands anciens, perdus entre deux époques, qui ont dû exister alors que rien n’était fait pour eux dans ce pays, dont les gros labels ne voulaient pas entendre parler (c’est français ? Ahah... poubelle !), qui se sont pris les déferlantes Thrash, Death, Black, Grunge et qui sont toujours là près de quarante ans après leur formation. Leur rendre hommage mais pas que, leur rendre justice aussi tant l’écoute de cet album au blason aujourd’hui redoré m’a bluffé à tous les niveaux.

Etranges Visions c’est une usine à riffs acérés et précis qui sentent bon le Thrash d’antan, un album ultra dynamique animé par une passion qui force le respect et un enthousiasme incroyablement communicatif. Ces mecs se font plaisir, ça se sent et ça s’entend dans chacune de ces lignes de chant déclamées, (en français cette fois-ci !), avec une conviction inébranlable par un Phil Grelaud au top de sa forme du haut de ses cinquante-neuf ans, dans chaque pattern de batterie et dans tous ces soli incroyables qui fusent un peu partout et illuminent la galette de bout en bout.  
Quel bonheur d’entendre ces envolées de six cordes lâchées par une paire de guitaristes follement talentueux et diablement inspirés qui s’en donnent à cœur joie sur chacun de ces dix titres bourrés d’énergie ! Pas de démonstration stérile, pas d’égo trip, juste du talent pur et de la musicalité... la classe de ceux qui n’ont plus besoin de prouver. Inutile de dire à quel point l’apport de ces deux gratteux d’exception, Niklos Bergen et Geo, fait instantanément passer le groupe dans une autre dimension et donne un souffle nouveau aux valeureux historiques Phil et Didier (alias Dog) qui impressionne derrière ses fûts.

Weird Visions, lorsqu’il est sorti, n’était probablement déjà plus au goût du jour, noyé sous la production impressionnante d’une concurrence impitoyable et beaucoup plus virulente, mais sa version française qui sort aujourd’hui est étrangement bien ancrée dans l’époque grâce à une production moderne absolument parfaite, (l’énorme basse de Julien qui ronronne dans le mix !), et à un style hybride qui emprunte autant au Thrash qu’au Heavy et que l’on entend pas si fréquemment de nos jours. Cette revisite d’un classique de notre histoire de France à nous est une réussite indéniable qui donnera irrémédiablement envie à ceux qui vont y poser leurs oreilles d’aller se jeter sur le véritable dernier album du groupe, Bestial, sorti en 2020... c’est en tout cas ce que je vais m’empresser de faire. Félicitations messieurs et toutes mes confuses pour ces années 90 au cours desquelles nous n’aurons, par ma faute, jamais pu nous croiser. Mieux vaut tard...

Tracklist de Etranges Visions :

01. Etranges Visions (Instrumental)
02. Le Sang De L’Ennemi
03. Génération Perdue
04. Sacrifié Pour La Cause
05. Guerre Mystique (Instrumental)
06. L’emprise
07. Le Reflet Du Mal
08. Terre De Colère
09. Trouble (Instrumental)
10. Invasion