Groupe:

Within Fractals

Date:

27 Avril 2025

Interviewer:

Le Diable Bleu

Interview Paul, Maurad et Alexandre

Within Fractals – Les artistes des silences

Il y a des rencontres qui ne se racontent pas simplement parce qu'elles ne sont pas comme les autres. Elles ne suivent ni ligne droite ni questionnaire méthodique. Elles prennent le sentier sinueux de l’intuition, de la confiance, de la patience. Celle avec Within Fractals en fait partie. Il fallait bien un décor à la hauteur des attentes : Pontarlier, en bout de carte postale franc-comtoise, à la sortie d’un hiver encore accroché aux montagnes toutes proches, laissant poindre à peine quelques rais de lumière printanière. Un souffle de douceur, timide, qui semble murmurer : « C’est le bon moment ». Il y a des groupes qu’on découvre à distance, à coups de clics, d’ondes et de pixels. Et puis il y a ceux qu’on approche un peu, à pas mesurés, en osant frapper à la porte, avec ce trac dans la gorge. Car il faut le dire, cette rencontre me pesait au cœur. Non pas par crainte des mots, mais parce que je savais ce qu’elle allait bouleverser : cette frontière floue entre critique et confidence, entre musique et vécu. Le stress m’accompagnait, comme souvent lorsque la musique n’est plus seulement dans les oreilles mais en face, incarnée par celles et ceux qui la fabriquent. Alors j’ai convié Coline, amie de confiance et photographe de l’instant vrai. Elle ne voulait faire que des images. Mais elle a trouvé, sans le vouloir, les mots qui rendent les silences encore plus beaux, et les hommes disponibles.

Lien Photos Coline, Agence Waka

Trois temps. Trois lieux. Trois mouvements, comme dans une composition discrète.

Premier mouvement : date ou Touch

C’est là que les premières voix s’accordent. On se jauge, on s’écoute, on apprend à dire “je” sans trop de crainte de passer pour un prétentieux.  Dans un bar bien ancré, quelque part au cœur de notre France, au centre du village, lumières vives et chaleur humaine, trois silhouettes nous attendent.

Paul, d’abord, le leader du groupe — regard perçant, posture concentrée, une énergie intérieure palpable, comme un moteur qui ne se coupe jamais vraiment. Il parle lui, mais chaque phrase semble issue d’une longue réflexion, d’un monde construit avec précision. Paul, lui, en est le pont. Il parle pour relier. Son langage est celui du son, mais aussi celui de l’intellect curieux, celui qui veut comprendre pour mieux convaincre l'autre.

Maurad est là aussi, la passion dans la peau, sourire timide et pourtant éclatant, voix posée, regard captivant. Il n’aime pas la lumière, c’est vrai, mais il en dégage une forme singulière, douce et vibrante. Maurad possède le regard franc, les mots nets, le sourire naturel des gens bien ancrés dans les terres hostiles.

Enfin, il y a Alexandre, le roi des sons, prince discret des textures sonores, silhouette presque effacée, au regard profond. Alexandre, en retrait, parle avec les yeux. Il observe. Il laisse les phrases se poser. Il parle comme on improvise un riff : avec pudeur, mais densité.

Lucas, le batteur, manque à l’appel, retenu à Paris par ses obligations professionnelles. Pourtant, son absence semble habitée : on sent, dans les propos de ses compagnons, l’affection et l’admiration, la mémoire vivante de ses frappes subtiles et de son amour inconditionnel du son. Après ce premier verre et beaucoup de sourires, une évidence s’impose : ces garçons-là ne trichent pas. Leur musique est à leur image. Pas besoin des questions formelles laissées sur une trame d'un mail. On a juste laissé le moment venir. Les mots se sont posés, naturellement. Et très vite, la rencontre s’est faite. Authentique, simple, naturelle. Bientôt, nous quittons le bar pour rejoindre le studio, leur antre, finalement abandonnée à la passion photographique de Coline.

Deuxième mouvement : l'irrationnel ou Submmerged

Un lieu à part. Pas un studio classique. Un nid protecteur. Un abri de création. On y entre comme dans un sanctuaire : à voix basse, presque sur la pointe des pieds. Ici, tout est à leur image : minimal, précis, vivant. Un tout petit espace donc, à peine plus grand qu’un mini salon, baigné d’une chaleur feutrée et de douces lumières. On y sent l’odeur du travail, celui qui est bien fait, du café peut-être aussi. Mais surtout, on y sent la dévotion. Ici, on compose à la loupe, on peaufine au microscope, on cherche le grain juste, la nappe idéale, le battement parfait. Dans ce nid bien chaud, les idées éclosent au rythme des énergies et des passions. On y façonne la musique comme d’autres tailleraient une pierre précieuse.

C’est bien là que Samsara est né. Pas d’un élan, mais d’une longue sédimentation. Dix années de frictions et de fusions. Deux années de silence. Puis deux encore de recommencements. Il y a eu des doutes, des bifurcations, des reconfigurations permanentes. Le chant ou pas le chant ? Le sens ou le pur ressenti ? L’intime ou le concept ? Chaque morceau possède sa propre genèse. Il existe presque une dizaine de versions de chaque morceau. Comme si leur musique devait s’éprouver à travers mille variations avant de choisir la bonne voie. Et forcément, quand on leur demande ce qu’ils ont voulu dire, ils se taisent. Non par stratégie, mais par pudeur. Parce que leurs morceaux sont des météores intérieurs. Des fragments de vécu, de fatigue, d’espoir. Des éléments fractals trop complexes pour être dits sans se trahir totalement, des éléments fractals répétés et fusionnels, qui alimentent chaque morceau foisonnant de centaines de pistes audio... à la lumière de quelques explications levant le voile pudique sur certaines compositions, on comprend mieux la richesse du flux... le clapotis de l'eau omniprésent , le chant russe à rebours dans Deluge (Lien Youtube), les gorilles martellant, la voix de Paul sur The Misty Tower (Lien Youtube)... et si tout ne pouvait se comprendre en seulement quatre petites heures, l'essentiel est d'en percevoir l'immensité du travail. Et surtout la puissance de l'association des contributions... Paul au milieu du dispositif, mêlant et amalgamant les idées de tous, à l'origine des idées maitresses. Alexandre, en retrait, et pourtant central, apportant toute sa connaissance musicale riche, et sa passion des sons. Maurad, le passionné des mélodies épiques et des sons puissants, peut être le plus proche de l'univers du Metal Prog. En ce nid créatif, on parle peu, on écoute la musique, les sons, on sort aussi les boitiers photo, on déclenche d'autres moyens de communiquer...

 

Troisième mouvement : le réchauffement ou Entropy ...

Retour en ville, à la vraie vie, les langues se délient. Le repas partagé, maintenant réchauffe les silences du studio. Coline pose la question la plus simple, la plus essentielle : “Qu’est-ce que vous aimez ?”. Je vous traduis : " Ce qui vous touche, ce qui vous fait vibrer, vous, en dehors de la musique". Et là, une autre matière surgit : les métiers, les attachements, les enfances, les routines. Des hommes du réel, discrets, un peu montagnards dans l’âme. Peu enclins aux projections, aux grands récits. Mais soudés. Intacts. Comme un noyau dur autour duquel tout tourne. Et puis vient la question des concerts. Leurs morceaux sont pensés comme des architectures complexes, difficiles à reproduire en live. Le groupe n’a pas été conçu pour la scène, Paul le certifie. Et pourtant… Dans les yeux d’Alexandre — évoqué en creux tout au long du repas - une lueur apparaît lorsqu’on insiste. Peut-être qu’un jour… Peut-être que cette étonnante musique, née dans la chaleur d'un nid douillet et sécurisant, trouvera sa place dans un autre espace, plus grand, et incandescent.

Dans un monde pressé, Within Fractals va à rebours. Leur démarche est lente, artisanale, presque monacale. Ils construisent leur univers à la main, sans plans de carrière, sans storytelling prémâché. Leur album Samsara en est l’empreinte : riche, dense, fracturé, fractal. Il dit les cycles, les ruptures, les recommencements. Il dit surtout cette étrange beauté qu’il y a à ne pas tout dire. Découvrir un groupe chez lui, c’est entrer dans un espace de vérité. C’est accepter de ne pas comprendre tout de suite. C’est écouter autrement, avec patience et obstination. Ce jour-là, à Pontarlier, dans ce bout du monde suspendu, on a vu l’envers du décor. Et c’était beau. Merci à Paul, Maurad et Alexandre pour leur accueil d’une sincérité rare. Merci à Lucas, présent en filigrane.

Ce satané Diable Bleu s'était encore bien fourvoyé avec sa chronique de Samsara, en revanche ce qui suit était juste même s'il n'en soupçonnait à l'époque qu'une infime partie  : " Avec ce tout premier album Samsara de Within Fractals, amies lectrices et amis lecteurs, viennent déjà de toucher les étoiles. Un niveau wouah en matière d’arrangements, de créativité et de production (que l’on décèle même dans Youtube, alors je vous laisse imaginer en planète galette). Ici on vous offre une aventure musicale (sans feindre ou galvauder) qui transcende le genre, tout en gardant les pieds bien ancrés sur notre belle planète bleue. Dans cette "terre-stellaire" aventure, chaque nouveau passage sera votre étoile brillante. Une fois plongé dans l’univers fractal de ce quatuor hors du commun, il vous sera bien difficile de revenir en arrière de ce voyage musical."

Et un immense merci à Coline, qui a capté ce que moi je n’ai fait qu’effleurer.

Lien Photos Coline, Agence Waka

 

De manière à faire perdurer ces moments rares, nous vous recommandons ces liens précieux avec le studio d'enregistrement Medvedkine Studio :

Lien Medvedkine Studio

 
 
 
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