Groupe:

Festival Nuits Carrées

Date:

06 Juin 2018

Interviewer:

Didier

Interview Sébastien Hamard

Bonjour Sébastien, ravi de te rencontrer, nous sommes le Webzine AuxPorteDuMetal. Pourrais-tu te présenter à nos lecteurs ? Et nous expliquer comment tu es devenu responsable de ce Festival des "Nuits Carrées d’Antibes" ?

Alors je m’appelle Sébastien Hamard, je suis directeur du festival Nuits Carrées, mais aussi son fondateur et directeur de la structure qui porte ce beau projet qui s’appelle Label Note, qui est une association antiboise qui, à la découverte en 2006 de ce lieu un peu exceptionnel qui est l’amphithéâtre du Fort Carré à Antibes, a décidé de créer un événement culturel qui est donc né l’année suivante en 2007.

Avant d’attaquer, peux-tu nous dire quels sont tes goûts musicaux ?

Alors je suis totalement multi gouts. J’ai une forte attache au jazz. Au jazz au pluriel même puisque je viens vraiment de ça, j’étais musicien avant d’être organisateur de spectacles. J’ai beaucoup joué. Amoureux du rock dans un premier temps, à l’adolescence, découverte du jazz ensuite, auquel je suis resté accroché très longtemps avant de revenir à la black music, la soul, le funk, puis au hip-hop et aujourd’hui à absolument tout. Je trouve qu’il y a du bon dans toutes les musiques.

Alors on commence avec le festival qui existe depuis plus de dix ans déjà et qui a un statut assez original sur la Côte d’Azur, tu peux nous en dire un mot ?

Oui, il est original sur plein de choses. Attention, là, on va faire la douzième édition. Il est d’abord original par son contenu artistique, mais aussi par son lieu qui est dans son ADN fondamental. Il est aussi original mais par son positionnement qu’on a voulu territorial, puisque ancré à la fin du mois de juin pour favoriser les publics du territoire et pas tomber dans l’offre événementielle estivale. Il se veut aussi à taille humaine puisqu’on est sur 3500 personnes par soir, pour conserver ce lien fort avec d’un côté les artistes et de l’autre le public. Enfin il est original par son propos artistique, et qui a évolué au cours du temps, puisqu’en 2007 on proposait un festival musical et théâtral ; on a même sur certaines éditions intégré de la danse, et puis petit à petit on a glissé vers une proposition exclusivement musicale qui a vu apparaitre depuis l’année dernière les musiques rock alternatives, qui avaient, il nous a semblé après dix ans d’expérience, aussi toute leur place.

Justement, à propos du contenu, le festival était plutôt connu pour son côté pop/électro et l’année dernière une soirée metal était apparue. Cette année, il y a deux soirées metal sur trois. Explique nous ce changement de cap.

Le festival a toujours été d’abord un festival de musiques live. Donc on n'a pas trop travaillé l’électro pure, mais plutôt des musiques actuelles, black, pop, un peu électro, beaucoup hip-hop mais toujours trempé dans le live auquel on tient particulièrement. C’est vraiment la performance live qui compte avant tout. L’année dernière on a intégré cette troisième soirée qui a été un vrai beau succès qui nous a rassuré et qui nous a convaincu qu’il y avait une véritable attente sur le territoire pour ces musiques. Pour ce qui est de cette année c’est vrai qu’elle est très marquée rock metal puisqu’il y a deux soirées, même si on a aussi de l’électro, parce qu'on peut considérer que Perturbator c’est de l’électro et même Igorrr aussi. C’est pas un choix définitif, qui va durer dans le temps, la volonté n’est pas de glisser vers un festival 100% metal. On me pose beaucoup cette question cette année, mais je réponds à chaque fois que ça fonctionne beaucoup au coup de cœur et aux opportunités qui s’offrent à nous. Cette année, les choses se sont présentées comme ça et les plateaux faisaient du sens. J’essaye toujours d’avoir une cohérence et de raconter de belles histoires avec ces plateaux artistiques. On a donc décidé d’y aller comme ça mais peut-être que l’année prochaine, on n’aura qu’une soirée metal, et un retour de la pop qui n’est pas du tout présente cette année.

Outre l’aspect metal, le festival était aussi réputé pour venir y découvrir des jeunes artistes. Mais là, on trouve des cadors bien établis du style, là encore ça change un peu de cap non ? Un peu plus élitiste peut-être ?

Effectivement sur les seize artistes que nous avons cette année, on en a peut-être un peu moins de la moitié qui sont de parfaits inconnus. Mais tu sais, tout dépend de la sensibilité du public. On a un large public Nuits Carrées qui me dit « dis donc cette année, Seb, je ne connais rien ». Alors ils ne viendront certainement pas tous, mais certains viendront et pour eux ça sera des découvertes. On commence les soirées avec des groupes assez peu connus encore comme Smash Hit Combo le jeudi ou le vainqueur de notre tremplin le samedi.

L’année dernière, la soirée metal proposait un line-up avec Trust qui drainait pas mal d’anciens fans, pas forcément fan de metal. Ne prenez-vous pas un risque cette année ?

Si ! [rires] Je te le dis comme je le ressens. Trust l’année dernière a été un moteur formidable pour ouvrir cette troisième soirée. On tenait un moteur populaire, multigénérationnel et qui s’intégrait complètement à une soirée où on accueillait aussi Sepultura. A partir de là, tout devient plus risqué parce que des Trust, en France, il n’y en a pas beaucoup. Cette année, la première accroche a été Pleymo, qui correspond assez bien à nos critères : un groupe multi générationnel, le retour d’une formation. Mais c’est forcément risqué, comme tu le fais remarquer, car on va construire des plateaux autour de ces esthétiques et c’est vraiment qu’à partir de là qu’on va voir si le public existe et s’il est si en attente que ça. On n'a pas comme l’année dernière un Trust, qui nous permettait d’avoir un succès quasiment garanti. Donc oui, ça reste un grand mystère, je ne te cache rien.

Combien de personnes attendez-vous aux différentes soirées ? Et comment se passent les préventes ?

Oui on a des indicateurs, et ça se passe très bien. C’est moins fou que l’année dernière, puisque on était sold-out l’année dernière à la soirée metal, et que là on ne sera pas sold-out. Étonnamment, la soirée du jeudi rencontre un plus grand succès que celle du samedi. Alors que j’aurais pensé l’inverse vu que le samedi est plus international avec des pointures comme Soulfly. Comme quoi on est toujours surpris.

Avec ce changement de son, avez-vous changé votre façon de travailler ? De gérer le son, les lumières ?

Non, je vais même te dire que les esthétiques rock et metal sont plus simples à travailler que des grosses productions hip-hop ou rock, où même si les plateaux ont l’air moins chargés, ils misent par contre beaucoup plus sur la technique qu’il y a autour pour faire des shows très puissants. Alors que des groupes comme Sepultura ou Soulfly, déjà, ils sont hyper encadrés techniquement, ce qui est rare dans le monde hip-hop. Du coup ils sont hyper autonomes. Ca vient de la culture rock, tournée en tourbus, avec tout leur matos. Du coup, c’est plus simple que d’accueillir des tournées d’artistes de musiques actuelles, où là tu dois t’adapter, il y a beaucoup de demandes.

Comment avez-vous organisé les ordres de passage ?

Ca a soulevé pas mal de questions. Jeudi ça a coulé de source, on est parti de Pleymo et le reste a suivi. On a juste eu des questions sur la place d’Ultra Vomit que certains auraient voulu après Pleymo. Mais bon, moi je trouve que c’est intéressant comme ça avec Smash Hit Combo et Pleymo, on commence et on finit par du Nu metal, un peu groove avec cette résonnance entre un groupe très jeune et un groupe établi. Voilà, au milieu, on retrouve Dagoba et Ultra Vomit. Le samedi ça a été plus compliqué car on a des artistes à renommée assez importante, chacun dans leur niche. DOP D.O.D dans son style hip-hop, Igorrr avec son style particulier, Soulfly avant ou après Emmure. Au final on a tranché et mis Emmure après Soulfly car on sait qu’Emmure va être plus puissant en terme de masse sonore. On avait aussi l’option de mettre Igorrr juste avant Perturbator, en fin de soirée ou plutôt en début de soirée en mode découverte. Là encore il a fallu choisir.

Le prix des places de 18 € pour une soirée avec 4 ou 5 groupes (45 € les trois soirs) est très attractif, c’était dans votre cahier des charges ?

Oui complètement. Je communique pas mal la dessus cette année pour mettre en avant la politique tarifaire et le modèle économique du festival. C’est un événement culturel qui reçoit des financements publics. Pas en majorité, puisque nous avons aussi un financement privé et un auto-financement. Mais on considère que le financement public doit revenir dans la poche du public, intégralement. Que l’auto-financement représente la part d’indépendance artistique et que le financement privé consolide l’outil de production. On tient à cette politique tarifaire. Et donc on se doit d’être populaire, accessible et relevant d’une certaine mission de service public. Après tout si on se positionne fin juin pour toucher les publics du territoire, il faut absolument qu’on leur permette d’y accéder.

J’ai vu que le samedi à 14 h il y avait aussi une conférence. C’est nouveau non ? Est-ce gratuit ? Vous pouvez nous en dire un peu plus ?

Non non, c’est entrée libre. Tu fais bien de le dire, on va le préciser mieux que ça sur nos supports. Donc c’est une conférence de Corentin Charbonnier, chercheur anthropologue adorable et passionné qui a fait un gros travail sur le Hellfest et qui a écrit un ouvrage très intéressant sur la typologie des publics et les mécanismes communautaires qui peuvent se créer autour du metal. A l’origine, on s’est retrouvé sous cet angle de la recherche puisque j’ai moi-même travaillé au CNAM sur des sujets qui concernent les publics. Il a été ravi de venir participer, ça va être très intéressant.

On trouve pas mal d’artistes à cheval sur plusieurs courants par exemple Smash Hit combo (metal/rap), Perturbator (metal/electro), Igorrr (metal/chant lyrique). Là aussi c’est un choix délibéré ?

Aujourd’hui tout est tellement hybride dans la musique. Igorrr ils appellent ça du Breakcore, franchement ça veut dire quoi ? On n'arrive plus à trouver les mots pour identifier les groupes en fait. C’est un enfer. Si tu regardes comment travaille Igorrr et d’ailleurs il le revendique, c’est un producteur d’électro. Sauf que lui, contrairement à d’autre DJ, a choisi d’y apporter du chant metal et du chant lyrique. Même chose avec Perturbator et Carpenter Brut l’année dernière.

Autre facette du festival, son côté délire, avec Ultra Vomit. C’est important cet aspect festif ?

Oui, ça ajoute une petite touche « on ne se prend pas au sérieux », il faut que ça reste un moment pour se marrer. Ultra Vomit est un phénomène hallucinant en terme de public, cette année.

On note aussi qu’après les Brésiliens de Sepultura, on a cette année les demi-frères (ennemis) de Soulfly. On dirait que vous avez de bons contact avec le Brésil ? C’est grâce à Sepultura ?

Déjà on était super content de faire notre première soirée metal avec Sepultura l’année dernière. On a réussi à les choper entre la Suisse et Barcelone, et du coup c’était leur seule date en France. Mais on a tellement eu de messages sur les réseaux à propos du fait qu’il n’y a plus les Cavalera dans Sepultura, que du coup, cette année, on est content de pouvoir leur répondre : "tu voulais du Cavalera, en ben en voilà déjà un" [rires]

En tout cas il y une belle présence française avec cette année, Pleymo, Dagoba, Ultra Vomit, Smash Hit Combo, Igorrr, Perturbator. C’est aussi une des missions du festival de promouvoir le Made in France ?

Oui, si les opportunités existent, c’est aussi une de nos missions. C’est d’abord un choix de cœur. Quand on a eu confirmation de Smash Hit Combo et Pleymo, on s’est dit qu'on allait faire une soirée française. Après si il n'y avait pas eu les opportunités, on aurait peut-être mis autre chose.

Le samedi, c’est un groupe issu d’un tremplin régional qui débute, comme l’année dernière. Explique nous un peu comment cela s’est passé ?

Ca c’est aussi une vraie mission qu’on veut porter et rendre de plus en plus visible. Et d’ailleurs ça va beaucoup se développer à l’avenir ici même dans nos locaux puisqu'on va accueillir dès l’année prochaine douze groupes et les accompagner dans leur projet artistique en voie de professionnalisation. Aujourd’hui, on organise déjà des dispositifs de découvertes, tous styles de musique confondus, toute l’année, ça s’appelle "les quatre saisons découvertes Nuits Carrées". Lors de ces événements, on a senti une demande, un besoin même de la part des musiciens de musique rock alternatives qui sont souvent très dynamiques mais très peu valorisés. Dans la région, on a peu de salles, peu d’événements d’envergure et donc on a considèré qu’avec les outils que nous avons créé ces dix dernières années, nous pouvions en faire bénéficier ces artistes émergeants et leur proposer un des outils, dont je n’aime pas trop le nom, mais bon, on va dire un tremplin. Un dispositif de découverte, en trois temps, et qui amène le gagnant jusqu’au festival. Cette année, on verra donc le samedi, From Dismay, qui est issu de ce dispositif.

N’avez-vous pas trop peur de la concurrence de la Coupe du monde, ça sera la fin des poules et même les premiers huitièmes de finale ?

Oui c’est vrai, mais il était impossible de trouver trois soirs d’affilée de libre entre le 15 juin et le 15 juillet. Il fallait bien viser, vers la fin des matchs de poules et le début des huitièmes de finale. Et c’est aussi ce qui peut expliquer nos choix de soirée metal les jeudi et samedi, soirs de match et soirée hip-hop le vendredi, où il n’y a pas de match. Car il nous a semblé que les publics rock et metal allaient favoriser leur passion pour la musique live plutôt que le foot, ce qui n’est pas du tout le cas des publics hip-hop et généralistes qui ne va rien faire en période de coupe du monde.

En tout cas, AuxPortesDuMetal se réjouit de la nouvelle direction et de voir un tel festival sur la Côte d’Azur. Je te remercie, bon festival et longue vie aux Nuits Carrées.

Merci à vous.

Venez donc discuter de cette interview sur notre forum !