Rush

Artiste/Groupe

Rush

CD

Clockwork Angels

Date de sortie

Juin 2012

Label

Roadrunner

Style

Metal Progressif

Chroniqueur

Didier

Note Didier

17/20

Site Officiel Artiste

Myspace Artiste

C H R O N I Q U E

Il n’est pas simple de chroniquer le dernier album de votre groupe préféré depuis trente ans. Pas facile car la plupart d’entre vous pourront me reprocher un certain fanatisme qui viendrait altérer ma subjectivité. Ceci étant dit, il faut bien que quelqu’un s’en charge, et comme il m’aurait été insupportable de laisser un autre chroniqueur s’en charger, me voilà donc.

Reprenons un peu. Cet album est le vingtième du groupe. Il fait suite à Snakes and Arrows, que j’avais trouvé fort à mon goût. Le nombre d’albums est un argument qui force le respect, mais laissez-moi vous en dévoiler quelques autres. Sur ces vingt albums studio, dix-neuf (tous sauf le tout premier en 1974) ont été enregistrés avec les mêmes trois Canadiens : Neil Peart (batterie et toutes les paroles), Alex Lifeson (guitares) et Geddy Lee (basse et chant). Tu parles d’un line up stable ? Une vraie famille oui ! Alex et Geddy sont potes depuis 44 ans ! Bien sûr les grosses années Rush sont bel et bien passées, mais le talent des musiciens, lui, est une constante. Chacun individuellement s’est retrouvé et se retrouve encore sur les premières pages des magazines de musiques. Le power trio a construit sa carrière sur cette virtuosité, le talent d’écrivain de Neal et des albums de génie (2112, Permanent Waves, Moving Pictures), qui ont inspirés la plupart des groupes de metal prog en activités depuis les années 80.

La question, avec une telle carrière derrière eux, est : comment faire à la fois plaisir aux fan inconditionnels du groupe, tout en évitant de tourner en rond ? Comment continuer à se faire plaisir et écrire de la musique qui plaise, alors qu’ils n’ont plus rien à prouver ? A ce propos, je vous suggère le DVD documentaire sur Rush, vous y découvrirez des hommes vraiment humbles et attachants, bien loin des clichés rock‘n’rollesques.

La réponse nous avait déjà été donnée avec le Snakes & Arrows : d’excellentes compositions, quelques instrumentaux mémorables, des lignes de basses atomiques, des guitares précises et soignées et une voix, moins aigus, mais plus mature. Clockwork Angels continue dans cette direction, en y ajoutant une histoire qui est racontée au fil des douze morceaux et soixante-six minutes de cet album. Car c’est bien un album concept auquel nous avons droit ici, comme à la belle époque de 2112, sauf que les morceaux ne sont pas enchaînés. L’histoire devrait aussi voir le jour sous forme de roman de science-fiction, et c’est l’auteur Kevin J. Anderson, ami de Neal, qui devrait s’en charger.

Le thème de cette histoire est le voyage initiatique d’un jeune homme qui quitte sa ferme, en empruntant un des trains à vapeur qu’il regarde sans arrêt passer. Il découvre, tout au long de cette aventure, un monde étrange et pas aussi idéal qu’il se l’était imaginé. Il poursuit néanmoins son rêve d’évasion et rencontre tour à tour la religion, l’amour, la trahison et pas mal d’autres choses. Chaque morceau représente une scène de l’histoire. Ceux qui se rappellent leurs années de lycée y verront une analogie avec Candide, de Voltaire, et d’ailleurs le préambule du dernier morceau y fait référence, puisque comme Candide, le héros revient « cultiver son jardin » au sens propre comme au figuré et conclut que seul l’amour et le respect restent de vraies valeurs à rechercher dans ce bas monde.

Coté production, on retrouve aussi le son de Snakes & Arrows et c’est un peu normal puisque le même producteur, Nick Raskulinecz, est à la manœuvre. Je trouve que si la basse et la guitare sont bien mis en valeur, la batterie me semble un peu en retrait, en sonorité et en technicité. Un coup de mou le père Neal ? La voix, qui a toujours été une signature de Rush, reste bien présente. Un peu moins haute, l’âge aidant certainement, mais au final plus mature et aboutie. Geddy vieillit plutôt bien, autant côté voix que côté lignes de basse (je vous conseille d’écouter Clockwork Angels, le morceau, pour vous faire une petite idée).

Certains morceaux ne sont pas des inconnus. En effet, deux d’entre eux étaient disponibles en téléchargement depuis un bon bout de temps et étaient même joués en live, par exemple sur le Time Machine – Live In Cleveland. Il s’agit des deux premiers morceaux sur l’album : Caravan et BU2B  (« Brought Up To Believe » / « élevé pour croire »). On note quand même une nouvelle intro calme pour BU2B qui vient s’ajouter au morceau que l’on connaissait. J’aime bien ces morceaux, même s’ils ne sont pas les meilleurs de l’album. Caravan pour son refrain accrocheur et son riff syncopé, le travail de titan de la basse. BU2B, plus complexe, pour ses superbes lignes de chant. Le morceau me rappelle un peu Red Barchetta (un peu). Les paroles touchent à la fatalité et au destin, une sorte de pamphlet contre notre éducation et la religion qui nous font croire que tout est écrit, couru d’avance et que si ça arrive c’est qu’on l’a mérité. Je trouve ce texte très édifiant et touchant (« Believe in what we’re told, blind men in the market, buying what we’re sold » / «  Nous croyons ce qu’on nous dit, comme des aveugles sur un marché, achetant ce qu’on leur vend ». Headlong Flight est un morceau qui avait aussi été mis à l’écoute, mais plus récemment. Il sonne plus Rush des années 80, c’est le morceau chanté le plus aigu par Geddy. La ligne de basse est énorme, le solo d'Alex excellent, les deux ensemble : craquant.

Outre ces trois morceaux disons, connus, mon oreille est particulièrement attirée par le morceau qui donne le titre à l’album. Epique à souhait, c’est avec Headlong Flight les deux morceaux qui dépassent les sept minutes. C’est probablement mon préféré avec The Wreckers, dans la pure tradition de Rush (sans pour autant sentir le réchauffé), avec une basse et une voix franchement fantastique. Il me tarde d’entendre ça en live tant l’énergie y est débordante. Le refrain est subtil, bien chanté. Le break bluesy est étonnant : guitare acoustique slidée et voix radio-boxée. Un autre morceau qui force le respect, c’est The Anarchist. Le solo de guitare d’Alex est superbe, le chant parfait, la basse ronflante et tonitruante, c’est encore un futur morceau culte qui rappelle un peu l’époque Rush des synthé. Carnies est un morceau assez speedé, plus heavy, plus classique aussi, dans lequel Alex joue avec la voix de Geddy, tantôt en riff, tantôt en solo. Neal bourrine à l’arrière, enfin façon de parler car son jeu reste très élégant. The Wreckers est le morceau dont le refrain vous scotche par sa magnifique mélodie. C’est simple, depuis plusieurs jours, je me réveille avec ce refrain dans la tête. Enorme. Le morceau est tout en douceur, ce qui contraste avec la violence de la scène décrite (une phare dans la tempête, que les marins pensent salvateur, mais qui les drosse sur les récifs). Alex joue pas mal en acoustique et Geddy nous gratifie donc d’un somptueux et touchant refrain (« All I know is that sometimes you have to be wary of a Miracle to good to be true  » / « On devrait toujours se méfier des miracles trop beaux pour être vrais »). Il y a vraiment du contenu et de la profondeur dans un morceau comme ça, il faut juste savoir l’entendre. Quand j’entends la ligne de chant, je me demande aussi comment certains peuvent critiquer Geddy sur sa voix.

BU2B2 is un petit intermède chanté par Geddy et accompagnés de violons et de violoncelles, qui ne dure qu’une minute et demi. L’album se termine avec les deux morceaux Wish Them Well et The Garden. Le premier possède une structure assez simple, assez rock, et un bon refrain, sur lequel Geddy fait ses propres chœurs. Alex y réalise un bon solo assez heavy et contrasté. Le deuxième décrivant le jardin dont je parlais tout à l’heure, métaphore du bonheur « The measure of a life is a measure of love and respect / Une vie se mesure à sa dose d’amour et de respect ». C’est un morceau calme, quasi acoustique, où la voix de Geddy, subtile et délicate, est accompagnée d’une guitare acoustique et de violoncelles. La basse et une légère batterie les rejoignent ensuite. Finalement, un superbe piano accompagne Geddy sur un petit break et sur le final (piano joué par Jason Sniderman). Alex n’oublie pas de se rappeller à notre bon souvenir au travers d’un solo très inspiré. C’est un très joli morceau qui se cache tout au bout de cet album, comme un dernier joyaux à découvrir. Ne le ratez pas.

Les morceaux les moins accrocheurs sont pour moi, Halo Effect, manquant un peu d’originalité malgré l’accompagnement subtil de violoncelles, et Seven Cities of Gold, pour lequel je fais la même remarque malgré l’intro de basse atomique. Ils restent largement acceptables, apportant leur pierre à l’histoire globale de l’album

Au final, je pense que c’est encore un très bon album de Rush, dans la lignée de son prédécesseur, peut-être même plus homogène encore. Certains pourront reprocher un certain manque de prise de risque, mais je trouve que ça serait un peu sévère devant ce que le groupe a déjà réalisé dans sa longue carrière, toujours à contre-courant, loin des modes et totalement occultée en France. On retrouve tout au long de l’album des petites touches qui nous rappellent les étapes de cette carrière, comme si ce voyage initiatique était, par la même occasion, un voyage dans cette carrière musicale sans égale. Comme toujours avec Rush, il faut du temps pour totalement appréhender un album et tenter de se plonger dans l’histoire qui est contée, en étudiant le magnifique livret de quatorze pages inclu. Les amateurs s’accorderont certainement ce temps et cet exercice. Ceux que Rush n’a toujours pas convaincu, ou touché, passent encore à côté de quelque chose d’énorme. On notera le petit clin d’œil sur la pochette représentant une horloge indiquant 21h12, les fans comprendront…

A l’heure où la tournée Clockworks Angel se dévoile petit à petit et que le groupe est annoncé en juin 2013 sur un festival en Suède, je prie tous les saints du metal (et surtout St Barbaud) pour que le Hellfest 2013 les accueillent dignement en tête d’affiche (enfin !), eux qui ne sont pas passé en France depuis 1992 ?!

Tracklist de Clockwork Angels :

01. Caravan
02. BU2B
03. Clockwork Angels
04. The Anarchist
05. Carnies
06. Halo Effect
07. Seven Cities Of Gold
08. The Wreckers
09. Headlong Flight
10. BU2B2
11. Wish Them Well
12. The Garden

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