Lifelover

Artiste/Groupe

Lifelover

CD

Pulver

Date de sortie

2006

Label

GoatowaRex

Style

Black/Rock dépressif

Chroniqueur

Mythos

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Autre Site Artiste

C H R O N I Q U E

On est en 2006 quand Lifelover sort sont premier album intitulé Pulver, un an après une première démo passée plus ou moins inaperçue. Mais en 2006, que restait-il du Black Metal traditionnel et traditionnaliste d’antan, que ce soient les « true », les « satanistes » (qui se ressemblent souvent d’ailleurs) les symphonistes (même eux), les vikings et bien d’autres. Tous ces « vieux de la vieille » qui, passés le siècle précédent, n’arrivent plus à ouvrir la marche aux nouveaux et pataugent dans un marasme de Black qui se referme sur lui-même, se mord la queue ou s’écorche les veines comme si une saignée façon boucherie médiévale allait guérir une épidémie qui s’étendait alors comme la peste à la grande majorité des formations dites primitives.

Crise du Black dans les années 2000 ? Il y en aura toujours pour vous sortir un album de derrière les fagots qui prouve le contraire, là n’est pas la question. Il s’agit de montrer que la tendance, du moins générale, est à la franche débandade dans le mouvement. C’est dans cet état d’esprit qu’arrive Lifelover. Imaginez un peu la situation : on était habitué à écouter du Black de base, pas franchement novateur, parfois intéressant mais souvent la copie de la copie de la copie de la copie. Arrive sur le marché Pulver. C’est l’éclate totale ! Formé à l’origine par B et ( ) pour l’album promo en 2005 puis rejoint par 1853 sur ce Pulver, Lifelover arrache le Black de son carcan d’origine, le déplace dans un mélange acidulé de Rock gras, sali par une vie de souffrances et d’exactions en tous genres. La claque !

Evidemment plusieurs raisons à cette réussite. Tout d’abord l’éloignement musical du groupe avec le Black traditionnel, comme évoqué plus haut, mais aussi une grande liberté dans l’identité visuelle du groupe, qui se démarque des autres en ne tombant plus dans le grandguignolesque d’antan. Finies les zouaveries de blackeux true, finies les photos prisent dans la forêt avec du mascara noir et du flou artistique, finies les pochettes d’albums avec des massues pleines de clous, haches ridicules et signes occultes à la pelle, finis les pseudo empruntés au bestiaire sataniste de base, place à un style musical et visuel plus sophistiqué, je dirai même plus « intelligent » mais ça serait quand même faire offense aux autres… Lifelover n’est évidemment pas le seul groupe à ouvrir la voie d’un Black Metal avant-gardiste, d’autres si attellent aussi avec force et courage.

Dès la première piste, intitulée Nackskott, on est surpris d’entendre ce que peut produire un mélange bien ficelé de Black et de Rock dépressif. Riffs répétitifs tendance mélancolique, chant entre le guttural crade bien connu et le cri tout droit sorti d’une âme à la fois tourmentée et romantique, la réussite est là. Car oui, dans ce Pulver il y a une certaine forme de romantisme. Romantisme folklorique suédois, agrémenté de chants traditionnels (comme sur Nackskott par exemple) ou d’un piano qui joue dans les gammes aiguës. Chaque piste surprend et nous entraine dans un voyage duquel on ne voudrait plus ressortir. MS Salmonella, piste suivante, est plus violente, quoiqu’agrémentée d’un piano au phrasé rassurant et entraînant. Ce piano, joué par B, sera un peu comme une rémanence infinie, construisant à la manière du fil d’Ariane, l'indice qui permettra à l’auditeur-spectateur de se rattacher, dans cet océan de mélancolie nordique, à un fin espoir, une petite lueur de bonheur, qui donne le change à l’album dans son entier.

Nous n’allons pas nous lancer dans une description « piste par piste » qui serait bien trop longue et bien trop réductrice à mon goût, mais nous pouvons au moins expliquer où se situent les qualités du groupe. La musique de Lifelover se cale entre la violence et la noirceur du Black, les répétitions et entrainements des riffs Rock, et le romantisme folklorique du piano qui ajoute un côté mélodique à l’album. Ecoutez Kärlek - Becksvart Melankoli pour vous en convaincre, vous avez là une bonne vision de ce que Lifelover peut produire. D’une simplicité étonnante mais d’une fraîcheur musicale rarement égalée. Quand on écoute Söndag, on a l’impression d’entendre aujourd’hui ces riffs dans de nombreux autres groupes. Mais c’est tout simplement parce que la musique de Lifelover a influencé considérablement et en profondeur le genre, en ouvrant les voies de l’avant-garde Black actuelle. 

Si nous parlons au passé c’est parce que les « amoureux de la vie » n’existent plus, le groupe s’est séparé en 2011, suite à la mort très regrettable du fondateur B. De quoi rendre encore plus culte cet album, qui a marqué une génération de blackeux en quête de sens. Les albums suivants ont poursuivi dans cette voie, avec le magnifique Erotik, le très bon Dekadens et le dernier et sublime Sjukdom.

Lifelover
est un groupe compliqué qui se laisse apprécier dans ses contradictions internes et ses influences variées. Il nous tire vers un ailleurs salvateur, cet « anywhere out of the world » baudelairien, et entraîne par là-même le Black vers de nouveaux sentiers, aujourd'hui encore en construction. L’influence du groupe sur la scène avant-gardiste a été énorme et préfigure une évolution possible du culte noir. Pour conclure, il m’est apparu important de faire intervenir Baudelaire, justement, tant cette citation résume à elle seule l’effet que peut produire Pulver sur nos âmes tourmentées :

« - Dis-moi, mon âme, pauvre âme refroidie, que penserais-tu d’habiter Lisbonne ? Il doit y faire chaud, et tu t’y ragaillardirais comme un lézard. Cette ville est au bord de l’eau ; on dit qu’elle est bâtie en marbre, et que le peuple y a une telle haine du végétal, qu’il arrache tous les arbres. Voilà un paysage selon ton goût ; un paysage fait avec la lumière et le minéral, et le liquide pour les réfléchir ! Mon âme ne répond pas.

- Puisque tu aimes tant le repos, avec le spectacle du mouvement, veux-tu venir habiter la Hollande, cette terre béatifiante ? Peut-être te divertiras-tu dans cette contrée dont tu as souvent admiré l’image dans les musées. Que penserais-tu de Rotterdam, toi qui aimes les forêts de mâts, et les navires amarrés au pied des maisons ?

Mon âme reste muette.

- Batavia te sourirait peut-être davantage ? Nous y trouverions d’ailleurs l’esprit de l’Europe marié à la beauté tropicale.

Pas un mot. — Mon âme serait-elle morte ? [...]

Enfin, mon âme fait explosion, et sagement elle me crie : "N’importe où ! n’importe où ! pourvu que ce soit hors de ce monde !" » (Baudelaire, « Anywhere out of the world », Petits Poèmes en prose).



Tracklist de Pulver :

01. Nackskott
02. MS Salmonella
03. Mitt Öppna Öga
04. Kärlek - Becksvart Melankoli
05. Vardagsnytt
06. Avbrott Sex
07. Stockholm
08. Söndag
09. Herrens Hand
10. Medicinmannen
11. Nästa Gryning
12. En Sång Om Dig


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